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LES SAVOIRS EXPERTS SUR L’ACTIVITÉ DE CONSULTATION D’INFORMATION

2 L’approche technologique de l’objet à enseigner

2.1 Les différents types d’analyses technologiques

Nous considérons avec Ginestié (1999, p.106) que ce qui fait l’objet de la technologie c’est la fabrication et l’utilisation d’objet technique :

Selon Haudricourt (1987, p.38) , « si la technologie doit être une science c’est en tant que science des activités humaines ». Notre étude nous conduit à ajouter à cette définition « sciences des activités humaines de production et d’utilisation des objets techniques ».

L’interrogation du rapport homme-machine fait apparaître des logiques distinctes. Logiques de production et logiques d’utilisation ne sont pas indépendantes l’une de l’autre alors que l’usage relève d’une logique différente. Nous réserverons le terme d’usagers pour désigner ceux qui utilisent effectivement les machines dans une activité alors que nous emploierons les termes d’utilisation et d’utilisateurs pour désigner l’anticipation de l’action des usagers par les concepteurs. L’utilisation suppose l’anticipation de l’usage lors de la conception comme, par exemple, dans les notices d’utilisation, alors que l’usage dépend de l’activité humaine dans laquelle s’exerce réellement la mise en œuvre de la machine.

Les approches technologiques rendent traditionnellement compte des logiques de production, et donc d’utilisation, rarement des logiques d’usage.

2.2 L’analyse du système technique

La logique de production est naturellement prégnante en technologie. La justification de l’existence de l’objet technique lui-même et l’étude à laquelle il donne lieu à d’autres niveaux d’enseignement dans les filières STI et STT66 vouée à sa production en sont certainement deux des causes les plus importantes. C’est dans cette logique que l’essentiel des études technologiques d’objets techniques ont été menées jusqu’à présent. Les études fonctionnelles et structurelles de systèmes techniques67 dans une perspective de conception englobant aussi la maintenance constituent l’essentiel des études menées dans ces disciplines. Après s’être affranchie de l’analyse des besoins sociaux justifiant la production, cette approche se concentre sur la conception du système technique. Pour Rabardel cette approche « technocentrée » où domine une logique de conception (Rabardel, 1995, p. 20) ne rend pas suffisamment compte de l’activité humaine à qui elle octroie une place résiduelle.

L’analyse de système technique rend compte des principes (Deforge, 1990, 1995) mis en œuvre dans le système, de l’agencement et du rôle des différentes parties du système, il engendre des calculs de vitesse, d’autonomie, de dimensionnement, etc. Ce type d’analyse permet de disséquer le cas étudié afin d’exercer tous les calculs et traitements pertinents par rapport à ses propriétés.

L’analyse en terme de système technique comme nous avons pu le voir dans notre première partie n’ouvre pas de voie directe vers l’explication de l’activité de l’utilisateur. En retour, une facilité d’accès aux caractéristiques propres du système ne garantit pas son utilisation (dans l’aviation, pilotes et

66 Disciplines STI (sciences et technologies industrielles) et STT (sciences et technologies tertiaire

67 l’Étude de système technique est un intitulé d’épreuve du baccalauréat au CAPET en passant par les BTS

mécaniciens remplissent des rôles distincts). Tout au plus, l’étude du système technique d’un point de vue de l’utilisateur devrait nous conduire à considérer ce que l’utilisateur peut être amené à prendre en compte dans l’utilisation voire l’installation ou la maintenance du système qu’il met en œuvre et qui est relatif aux conditions habituelles de fonctionnement du système (connectique, alimentation, etc .).

2.3 L’analyse fonctionnelle

L’analyse fonctionnelle permet d’étudier les objets ou systèmes techniques du point de vue des fonctions qu’ils remplissent. Ces réalisations humaines sont produites (conçues et fabriquées) dans un univers industriel dans le but de rencontrer l’expression de la demande d’une économie de marché. Si dans ce système économique valeur d’usage et valeur d’échange ne coïncident pas toujours, l’adaptation des fonctions aux désirs des utilisateurs constitue un des moteurs de la production. La construction historico-sociale des organisations productives (Mintzberg, 1990) a, petit à petit, fait plus de place à la prise en compte de l’utilisateur final (Larroche, Tucny, 1985).

L’usage anticipé de l’objet est devenu une préoccupation dont la logique a influencé la division sociale du travail avec la création de services marketing (Kotler, Dubois, 1994, Lendrevie, Lindon, 1990). Piloté et régulé selon des principes concourants de rentabilité économique à plus ou moins long terme, les différents sous systèmes des organisations peuvent entrer en tension.

Marketing, Recherche et Développement confrontent parfois des logiques différentes. La prise en compte de l’utilisateur occupe une place privilégiée dans l’analyse fonctionnelle qui constitue une approche industrielle formalisée en entreprise par la société Apte68 puis dans le système scolaire

68 La DPI (démarche de projet industrielle) introduite dans l’enseignement est une émanation du cabinet de conseil en management spécialisé en Analyse de la Valeur et Analyse

français. La prise en compte de l’utilisateur a des conséquences directes sur la conception de l’objet. Les fonctions de service que l’objet doit remplir pour satisfaire les besoins de l’utilisateur peuvent être exprimées dans un cahier des charges fonctionnel69, élément important de l’enseignement, qui réunit l’ensemble des contraintes et des conditions de réalisation de l’objet. A l’image de la société, l’enseignement intègre l’utilisateur dans la conception en tenant compte de l’utilisation prévue de l’objet technique.

La conception d’interfaces hommes-machines à propos d’Internet n’échappe pas à ce type d’analyse « orientée usager » (Reneault, Gaillard, 2002) même si elle ne va pas sans poser de problèmes aux ergonomes :

Que l’on considère [encore], dans le domaine des IHM des sites Web par exemple, le fait d’oublier que le site fait partie d’un ensemble. À une application traditionnelle correspond une expérience unique de l’interface par l’utilisateur (même si le multifenêtrage permet de passer d’une application à l’autre). Sur le Web, l’usager se déplace d’un site à l’autre et la frontière entre les différentes apparences des sites est floue. L’usager ressent l’impression qu’il utilise le Web comme un tout. En conséquence, l’interface d’un site donné est interprétée selon les " conventions " les plus fréquentes adoptées pour d’autres sites, quand bien même cette interface serait plus astucieuse et innovante que le reste. (Fanchini, 1999).

D’ailleurs, de nouveaux laboratoires dits laboratoires d’usage se créent dans le domaine des STIC comme la plate-forme MultiCom du laboratoire CLIPS-IMAG du CNRS70 et le laboratoire des usages en technologie de l’information numérique (LUTIN) qui doit être créé à la Cité des Sciences à La Villette. Ils ont pour objectifs de développer de nouvelles applications informatiques.

L’étude de la structure, des fonctions et des solutions techniques d’un point de vue de la conception ne peuvent permettre que de façon « périlleuse » (Rabardel, 1995) de raccrocher à l’usage qui est fait d’un système. L’étude

Fonctionnelle Apte (http://www.methode-apte.com/) De La Bretesche B., 2000, La méthode Apte Analyse de la valeur Analyse fonctionnelle Ed. Petrelle

69 Dans sa démarche la société Apte a aussi formalisé le CDCF (cahier des charges fonctionnel) document de travail commun aux différents acteurs, central pour la conception et la régulation du projet.

70 Cf. site de CNRS à l’adresse http://www.cnrs.fr/Cnrspresse/n402/html/n402rd18.htm dernière consultation le 10 mai 2003.

même approfondie d’Internet ne permet pas d’accéder à l’activité de consultation des utilisateurs. Il en est ainsi de beaucoup de systèmes comme par exemple l’automobile. Il n’est pas interdit que le conducteur71 actuel s’y connaisse en mécanique ou en électronique mais il doit avant tout s’y connaître en conduite, ce qui relève d’un apprentissage réel qui ne se limite pas seulement à la conduite, indépendamment, rappelons-le, de l’obligation légale. Du reste, cette activité est si bien ancrée socialement que toute modification du système qui entraîne des changements de conditions d’utilisation sont difficiles à envisager ; comme par exemple déplacer du plancher au volant la commande de frein.

2.4 La logique d’usage

Toutes les analyses centrées sur la prise en compte de l’utilisateur sont développées en référence à la conception. Le système technique est étudiée dans son processus d’élaboration (en tant que produit dans un système de consommation) mais pas dans le rapport que ce système entretient avec l’usager.

Pourtant la logique d’usage est centrale par rapport aux enseignements mettant en œuvre du matériel. L’informatique est au cœur de cette problématique. Vermersch (1976) a montré l’insuffisance des approches classiques pour aider les étudiants à se servir d’un oscilloscope. Les lois électroniques ou la conception de l’appareil ne suffisent pas à faire fonctionner l’appareil de mesure.

Vygotski explique les propriétés de la pensée verbale sans séparer la pensée du langage (Vygotski, 1985), cette posture nous conduit à vouloir

71 chauffeur continue à désigner le conducteur alors qu’il n’a pourtant plus rien à chauffer (chauffeur de taxi)

analyser conjointement les différents constituants de l’activité72. Pour Rabardel (id. 95 pp. 33-34) pour qui l’usage est aussi un lieu de production de savoir technique, la sphère de l’utilisation et les processus de production de connaissances qui y sont associés sont méconnus.

Les enseignements autours de l’outil informatique présentent des traits communs (notice d’utilisation, check list) mais aucun type d’analyse identifié en tant que tel ne tient suffisamment compte des processus cognitifs que l’usager doit mettre en œuvre. Aussi nous ne disposons pas de méthode déjà éprouvée dans les enseignements technologiques pour analyser l’activité de consultation d’information. Il nous faudra procéder à une analyse technologique de l’activité qui tienne compte non seulement du système technique mis en œuvre, mais aussi des processus psychologiques que l’usage requiert de manière non séparée (Clot, 1997)73.

L’élaboration des savoirs à transmettre concernant l’activité de consultation d’information sur Internet devra s’appuyer sur la logique d’usage qui la sous-tend.