• Aucun résultat trouvé

3. Cadre théorique et état de la question

3.2 Les théories traductologiques

3.2.1 L’approche fonctionnaliste et la théorie du skopos

L’approche fonctionnaliste, qui a vu le jour dans les années 1970, regroupe diverses théories traductologiques qui s’articulent autour du principe que toute traduction doit être effectuée en fonction de son contexte de production. La traduction est vue avant tout comme un acte de communication, accompli dans un cadre situationnel précis et avec des participants bien définis (Mason 2001 : 29). Selon cette approche, il ne faut pas s’arrêter au contexte de production du texte source puisqu’avec la traduction vient un changement non seulement langagier, mais aussi – dans la plupart des cas – culturel. Vermeer soutient même que « culture is the wider phenomenon, embracing language » (Reiss et Vermeer 2014 : 42). C’est ainsi que les fonctions de la langue et du texte cibles sont mises de l’avant, au même titre que celles du texte source, et parfois même prioritairement à celles-ci. Appliquant cette approche plus précisément à la traduction littéraire, Tatilon (2003 : 114) indique que le traducteur doit se mettre, « humblement, au service de l’œuvre, de l’auteur et surtout d’un nouveau lectorat, raison première de toute traduction ».

L’une des théories les plus influentes se rapportant à cette approche est la théorie du skopos d’Hans J. Vermeer. Cette théorie se fonde sur l’idée que tout texte est une offre d’information

23

unique et que sa traduction est une nouvelle offre d’information, dans une langue et une culture cibles, à propos de cette première offre, faite dans une langue et une culture sources (Reiss et Vermeer 2014 : 69). Ce glissement d’une offre à l’autre (de l’original à la traduction) peut impliquer un changement de fonction. Par exemple, un discours électoral rédigé et lu en allemand vise vraisemblablement à convaincre le peuple allemand de voter pour le parti concerné. Cependant, si ce même discours est traduit en français et publié dans une revue québécoise, il n’aura plus ici pour but de gagner des votes. La fonction de la traduction sera plutôt de renseigner le lectorat sur la politique ou les procédés rhétoriques allemands. C’est donc en fonction de cette nouvelle finalité, du skopos de la traduction, que le traducteur devra orienter sa démarche, accordant ainsi, à l’instar de l’approche fonctionnaliste, une importance primordiale au contexte de production du texte cible : « It is not the source text as such, or its effects on the source-text recipient, or the function assigned to it by the author, that determines the translation process […] but the prospective function or skopos of the target text as determined by the initiator’s, i.e. client’s, needs » (Schäffner 2001 : 236). En conséquence, chaque texte peut, dans des situations différentes, mener à diverses traductions, selon l’intention du donneur d’ouvrage et les attentes ou les besoins du lectorat cible. Il est toutefois important de souligner que Vermeer n’exclut pas la possibilité d’une traduction conservant le skopos du texte original, ce qui lui semble justifié si « the non- verbal cultural phenomena are assigned a value of "zero" » (Reiss et Vermeer 2014 : 71). Évidemment, chaque traduction peut également avoir plusieurs skopoi, s’appliquant à l’ensemble du texte ou encore chacun à des segments distincts.

Sorte de postulat traductif – concept défini par Collombat (2010 : 58) comme la « démarche précédant la traduction elle-même et visant à établir une stratégie de traduction fondée sur le type de texte, son origine, ses destinataires et sa fonction » –, la définition du skopos permet au traducteur de suivre une ligne de conduite, implicite ou explicite, imposée ou personnelle. Plus précisément, une fois le skopos fixé, le traducteur peut réévaluer la pertinence de chaque élément du texte source et faire des choix éclairés, en décidant notamment de conserver les « conventions » (Reiss et Vermeer 2014 : 171) de la culture source ou de les remplacer par des conventions propres à la culture cible.

24

La théorie du skopos vise avant tout la traduction de textes pragmatiques : dans un tel contexte de travail, on a souvent affaire à un donneur d’ouvrage réel, avec un objectif bien précis – que ce soit de convaincre, de vendre ou de sensibiliser – et à un public circonscrit, dont on peut connaître ou prévoir les besoins. Le skopos met alors le traducteur en perspective et lui permet de s’éloigner si nécessaire du texte source afin de se concentrer sur la finalité du texte cible, l’original et sa traduction pouvant, sur ce point, différer grandement l’un de l’autre.

Appliquée à la traduction littéraire, cette approche attire toutefois quelques critiques. On lui reproche notamment de ne pas tenir compte des questions stylistiques, qui représentent un facteur important en littérature, domaine où les textes seraient plus complexes (Schäffner 2001 : 238). À ce propos, certains praticiens sont d’avis qu’en présence d’éléments stylistiques marqués comme des régionalismes, « il est souhaitable de créer un effet équivalent dans le texte d’arrivée, surtout dans le domaine littéraire » (Collombat 2012 : 33). Bien que ces réserves semblent de prime abord justifiées, nous croyons que la théorie du skopos reste d’un grand intérêt dans un contexte littéraire, car contrairement à ce qu’on pourrait croire, cette approche n’empêche aucunement le traducteur de rester « fidèle » au texte source s’il le souhaite, sur les plans tant stylistique que sémantique (Schäffner 2001 : 236). En fait, ce désir de fidélité, ou de non-variation, est selon Vermeer (1989) l’objectif de la plupart des traducteurs littéraires, qui peuvent ainsi s’efforcer de conserver une ambiguïté intentionnelle de l’auteur s’ils la considèrent comme essentielle, ou vouloir reproduire dans le texte cible l’effet que produisent certains passages sur le lecteur du texte source. Dans une telle situation, plutôt que d’être établi par le donneur d’ouvrage, le skopos s’impose à la suite d’une réflexion sur l’œuvre elle-même : « Quelle traduction pour quelle œuvre? pour quel public? » demande Roux-Faucard (2008 : 105). Vermeer insiste d’ailleurs lui aussi sur l’importance du public cible, affirmant que le « skopos cannot be set unless the target audience can be assessed » (Reiss et Vermeer 2014 : 91). Et bien qu’il soit parfois difficile de circonscrire son lectorat en littérature, le contexte paralittéraire offre une tout autre perspective, la notion de genre y occupant une place prépondérante.

25

Documents relatifs