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L’apport des recherches sur la technique de porte-au-nez et leurs limites

L’expérience princeps de Cialdini et al. (1975) a donné lieu à de nombreuses recherches dans le but de mieux comprendre les conditions d’application de la technique de porte-au-nez mais également pour tenter d’apporter une explication à l’augmentation du taux d’acceptation de la requête cible après le refus d’une requête extrême. Leurs résultats, étudiés dans pas moins de six méta-analyses (Dillard et al.,

Chapitre 1. La technique d’influence de la porte-au-nez : Phénomène, variables modératrices et explications

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1984; Feeley et al., 2012, 2016; Fern et al., 1986; O’Keefe & Hale, 1998, 2001), soulignent une efficacité générale relativement faible mais dans les normes comparativement à d’autres techniques d’influence (Sénémeaud et al., 2008). Les effets moyens qui sont reportés semblent similaires et varient entre 8% (Dillard et al., 1984), 10% (O’Keefe & Hale, 1998) et 13% (Feeley et al., 2012) pour la soumission verbale mais avec des écarts assez importants. En effet, les tailles d’effet vont de .038 (Tybout, Sternthal, & Calder, 1983) à .589 (Reeves et al., 1991) et ces différences sont principalement dues aux manipulations des variables modératrices. L’étude de ces variables modératrices a tout de même le mérite d’avoir permis de délimiter les conditions optimales à l’application de la technique.

Les différentes explications que nous avons présentées montrent que l’effet de porte-au-nez se base soit sur la présentation successive des deux requêtes, l’élément déclencheur de l’effet se situant au moment de la présentation de la seconde requête, soit sur ce que suscite le refus de la première. Dans cette deuxième explication, le refus a été envisagé comme suscitant soit une menace à l’image de Soi (Pendleton & Batson, 1979), soit la violation d’une norme de responsabilité sociale (Tusing & Dillard, 2000), soit une émotion particulière qui correspond à la culpabilité (Foehl & Goldman, 1983) ou enfin, comme éveillant une tension motivationnelle (Terrier & Joule, 2008). Ces quatre explications, si elles ont comme point commun de considérer la nature pro- sociale des requêtes comme un prérequis à la production de l’effet de porte-au-nez, laissent en suspend plusieurs points.

La première limite concerne les variables modératrices qui ont été étudiées parmi les quatre interprétations qui se basent sur la conséquence du refus de la requête extrême. Ces interprétations ont clairement une orientation dispositionnelle, dans la mesure où elles prennent en compte des justifications qui proviennent de la personne. Seulement, les chercheurs à l’origine de ces explications n’ont à aucun moment manipulé ou contrôlé la variable qui selon eux justifie soit le fait de vouloir donner une bonne image de soi soit le niveau d’adhésion à la norme de responsabilité sociale. Pourtant, en manipulant uniquement des variables situationnelles, ils en arrivent à conclure que l’acceptation de la requête cible provient soit de la volonté de paraître pour une personne serviable, soit de se comporter comme le prescrit une norme sociale, soit pour réduire une tension motivationnelle.

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La deuxième limite renvoie à la nature pro-sociale des requêtes qui semblent indispensables à son efficacité. L’étude de Dillard et Hale (1992) montre qu’il existe une variabilité de la pro-socialité dont les quatre interprétations qui se basent sur ce critère n’ont jamais pris en compte. Plus particulièrement, ces chercheurs ont distingué trois niveaux de pro-socialité (faible, moyen et élevé) qui se fondent sur quatre critères d’évaluation correspondant à : « aide la société (vs. nuit à la société) », « pro-social (vs. non pro-social) », « bon (vs. mauvais) » et « bien (vs. mal) ». Aux vues des résultats de Patch (1988), ces niveaux de pro-socialité ont une incidence sur l’acceptation de la requête cible en condition de porte-au-nez car un niveau qualifié de moyen ne permet pas de reproduire les effets contrairement à un niveau qualifié d’élevé. De plus, les deux derniers items qui permettent d’évaluer ce critère sont couramment utilisés dans les mesures d’attitude (Hale & Laliker, 1999). Sachant que plus les mesures de la perception sociale augmentent et plus les mesures de l’attitude sont favorables, sommes-nous face à un effet pro-social comme défendu ou plutôt face à un effet pro- attitudinal ? Aucun élément de réponse n’a été apporté par les quatre interprétations qui pourtant se fondent sur cette variable pour amorcer leurs explications.

Finalement, si nous considérons comme nous l’indiquent les résultats de Dillard et Hale (1992) que les attitudes des personnes sont favorables lorsque la cause présentée est hautement pro-sociale, alors nous pourrions nous attendre à ce que les personnes acceptent la première demande. Seulement, le coût extrême de celle-ci force les personnes à la refuser, c’est-à-dire à refuser un comportement qui serait en accord avec leur attitude (Sénémeaud et al., 2008). Ce type de situation n’est rien d’autre que de l’inconsistance, inconsistance qui a été étudiée dans un autre champ de la psychologie sociale et plus particulièrement dans différents paradigmes relevant de la dissonance cognitive (Festinger, 1957).

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LINCONSISTANCE DANS DIFFÉRENTS PARADIGMES

D’INFLUENCE SOCIALE

Entre les années 60 et 80, de nombreuses études ont été menées sur les stratégies d’influence qui visaient à changer les comportements. Parmi ces stratégies, nous trouvons la technique du pied-dans-la-porte (Freedman & Fraser, 1966) qui consiste à obtenir un premier comportement peu coûteux de façon à en obtenir un second qui l’est davantage. La technique d’amorçage (Cialdini et al., 1978) comprend également deux phases dont la première amène les personnes interrogées à prendre une décision sur la base d’avantages fictifs ou sans avoir entièrement connaissance de son coût réel. Une fois la décision prise, la vérité est rétablie et on observe que les personnes maintiennent leur première décision. Sur le même principe, la technique du leurre (Joule, Gouilloux, & Weber, 1989) consiste à inciter à prendre une décision intéressante qui ne pourra finalement pas aboutir. Ensuite, on propose en guise de substitution une autre possibilité qui sera par contre moins intéressante, mais qui se retrouve en conséquence acceptée par les personnes. L’interprétation de ces techniques repose principalement sur la théorie de l’engagement (Kiesler, 1971; Kiesler & Sakumura, 1966), définit comme le lien qui unit l’individu à ses actes comportementaux. Les effets de cet engagement auront pour conséquence de déboucher sur un phénomène de persévération décisionnelle. Autrement dit, réaliser un premier comportement ou

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