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L’application de l’autopsie psychologique dans la problématique suicidaire

définitions et applications

1. L’application de l’autopsie psychologique dans la problématique suicidaire

a) Cadre général

Généralement, l’autopsie psychologique se traduit par des entretiens auprès d’informants, c’est-à-dire auprès des proches, comme des membres de la famille et des amis, et même auprès de professionnels qui ont été en contact avec la personne suicidée (Ebert, 1987 ; Henry & Greenfield, 2009 ; Séguin et al., 2007). Interroger les personnes survivantes2 au suicidé pose certaines questions éthiques et pratiques et la méthodologie à appliquer se doit d’être rigoureuse et de s’appliquer dans le respect et la dignité des personnes interrogées.

2 « Survivantes » est ici le terme employé dans la littérature, et notamment par le rapport INSERM « Suicide :

Partie Théorique – Chapitre IV

67 Ainsi, les entretiens peuvent être complétés par des outils standardisés et également par une exploitation conjointe du dossier du patient (Fortune et al., 2007 ; INSERM, 2008 ; Séguin et al., 2007). Il est alors important pour les investigateurs de porter attention à leurs propres ressources psychologiques pour faire face aux difficultés et aux souffrances que pourront amener les proches interrogés. La temporalité est une dimension essentielle dans la mise en place d’une autopsie psychologique. Le respect et la dignité non seulement des personnes suicidées mais aussi des personnes proches qui sont interrogées, sont les points primordiaux à respecter. C’est pourquoi il est nécessaire de respecter un laps de temps de 3 mois minimum entre le décès et l’interview, afin de ne pas perturber le travail de deuil des proches (INSERM, 2008 ; Séguin et al., 2007). L’un des objectifs premiers de l’autopsie psychologique dans le cadre de suicide est d’apporter des informations permettant une prévention optimale du suicide, en partie en identifiant des groupes à haut risque (Ebert, 1987). La mise en place de life charts, que nous pourrions appeler lignes temporelles en français, fournit une meilleure visibilité sur les relations temporelles entre les facteurs biologiques, psychologiques et sociaux tout au long de la vie de la personne (Fortune et al., 2007). Cette construction pose ainsi la question de la comparaison du suicide dans différentes institutions afin de mieux identifier les causes du suicide et d’optimiser les différentes prises en charge mises en place par les services de soins.

b) Les effets bénéfiques de l’autopsie psychologique sur les informants L’autopsie psychologique constitue une opportunité de s’approcher au plus près de ce qu’a vécu la personne suicidée et ainsi, dans une démarche préventive et thérapeutique, de proposer aux personnes suicidaires, ainsi qu’aux familles de victimes, une aide et un soin adaptés à leurs besoins. L’intervention auprès des proches dans le cadre de l’autopsie

68 psychologique intervient dans un contexte émotionnel lié à la perte du membre de la famille ou de l’ami. Cela nécessite de prendre des précautions éthiques et méthodologiques mais aussi de prêter attention aux conséquences de l’autopsie psychologique sur les interviewés. Il est alors important de percevoir l’autopsie psychologique comme un levier thérapeutique. En effet, les différents entretiens qui la composent peuvent établir un lien entre la souffrance de la personne interrogée et le soin, permettant justement de répondre à ces difficultés (Henry & Greenfield, 2009 ; INSERM, 2008 ; Séguin et al., 2007). Ainsi, outre les aspects négatifs, qui ne sont pas clairement dus à l’autopsie psychologique mais qui tiendraient plus d’une vulnérabilité préexistante et d’un barrage défensif en réaction à la perte d’un proche, il est possible d’observer plusieurs effets bénéfiques sur les personnes interrogées. Henry et Greenfield (2009) en observent certaines : la recherche de sens par le survivant, l’autopsie psychologique permet une vision plus élargie du suicide et pourrait réduire ainsi le sentiment de culpabilité ; la participation par altruisme avec la sensation de transformer sa souffrance en quelque chose d’utile à la société ; l’acceptation de la perte comme étant réelle, c’est-à- dire que les entretiens permettraient à la personne de poursuivre un travail de deuil inachevé ; ou encore la recherche de soutien car le suicide, par la stigmatisation dont il fait part, engendre parfois l’isolement de la famille. Dans l’autopsie psychologique, la communication autour du suicide entre les investigateurs et les personnes proches de la personne décédée, permet de rompre certains silences ou non-dits qui peuvent être à l’origine de souffrances chez les personnes survivantes.

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69 c) Des trajectoires pour expliquer le passage à l’acte suicidaire (Séguin

et al., 2007 ; Séguin et al., 2014)

Pour amener une compréhension globale du passage à l’acte suicidaire et des interactions entre les différents facteurs de risque en jeu dans le processus suicidaire, Séguin et al. (2007) ont cherché dans une première étude à apporter une visibilité sur l’évolution de ces facteurs au cours de la vie. En population générale, les auteurs ont mené une étude basée sur la méthode d’autopsie psychologique en interrogeant des membres de la famille de personnes suicidées. L’objectif était de modéliser le « fardeau d’adversité » par une ligne temporelle. Ce « fardeau » se compose de l’accumulation des facteurs de risque tout au long de la vie. Ainsi deux trajectoires principales ont pu être identifiées : une première trajectoire caractérisée par des événements aversifs qui surviennent très tôt dans la vie de l’individu et associés à des troubles psychiatriques ; et une seconde trajectoire marquée par des expériences aversives plus tardives et par des troubles de l’usage de substance. Le « fardeau d’adversité » observé dans les deux trajectoires se différencie ici par l’accumulation soit précoce soit tardive dans la vie de la personne suicidée.

Dans une seconde étude (Séguin, Beauchamp, Robert, DiMambro & Turecki, 2014) ces deux trajectoires ont été précisées. La première trajectoire peut se subdiviser en deux sous-trajectoires : l’une a pour caractéristiques une continuité temporelle des difficultés

débutant dès l’enfance (abus sexuels, violence intrafamiliale, difficultés scolaires) et une forte prévalence de troubles mentaux au moment du passage à l’acte ; l’autre comprend des antécédents d’adversité au plus jeune âge mais également une rupture avec le système familial dysfonctionnel, rupture qui amène une période de stabilité puis une dégradation en rapport avec des difficultés de vie (e.g., professionnelles, financières). La seconde grande trajectoire

70 de vie, davantage en lien avec des événements de vie moins importants, se divise également en deux sous-trajectoires : l’une où les événements de vie négatifs surviennent plus tardivement et sont influencés, voire causés, par des abus de substances. Le suicide serait ici précédé d’un événement marquant (perte d’un proche, rupture sentimentale), notamment associé à des consommations abusives de substances ou à des troubles de l’humeur. Enfin, l’autre sous-trajectoire de vie concerne les suicides inexpliqués : les personnes suicidées ne semblent présenter aucun facteur de risque ni de fardeau d’adversité en fonction des éléments explorés. Une vulnérabilité dissimulée reste la piste privilégiée par les auteurs. Cette étude montre l’importance de l’évolution des facteurs de risque et de la nécessité à rechercher et à approfondir les profils dynamiques de suicidés.

L’autopsie psychologique permet d’avoir un regard global sur la personne et rentre dans une perspective développementale. La modélisation de la trajectoire de vie par cette méthode d’analyse dans la problématique du suicide en prison ainsi que dans la compréhension du passage à l’acte sexuel transgressif, nous apporterait une étude plus approfondie des facteurs et des processus impliqués dans ces deux passages à l’acte, auto- agressif et hétéro-agressif.

Problématique

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Problématique

La psychopathologie développementale est un courant de pensée permettant de tisser des liens entre différents facteurs intra et extras individuels, précocement et tout au long du parcours de vie de l’individu. Les caractéristiques propres d’un individu vont interagir avec l’environnement dans lequel il évolue et se modulent en fonction des événements vécus. Dans cette perspective théorique, nous avons vu que les troubles internalisés, comme les troubles de l’humeur, et les troubles externalisés, tels que des troubles d’abus de substance, peuvent s’inscrire dans des trajectoires développementales permettant de rendre compte des processus sous-jacents de ces troubles.

L’objectif de la thèse est ainsi d’approfondir nos connaissances sur les mécanismes en œuvre dans la mise en acte de comportements externalisés violents auto agressif et hétéro agressif. Nous cherchons à retrouver l’impact d’événements à différentes périodes de vie sur ces troubles externalisés violents, périodes qui devraient se caractériser par l’occurrence ou l’absence de certains facteurs à la fois mentaux, sociaux et environnementaux.

Afin de répondre à notre objectif, nous choisissons d’adapter la méthodologie de l’autopsie psychologique pour la construction de trajectoires de vie tout en l’associant à deux problématiques externalisées sur le plan auto-agressif et hétéro-agressif. Cette méthodologie permettra la modélisation des parcours de vie investigués sur une ligne temporelle (life chart.)

Le geste suicidaire en prison est une problématique majeure à laquelle les professionnels intervenant auprès des détenus sont confrontés régulièrement. La littérature a permis de repérer les caractéristiques du détenu suicidaire. Dans une première étude empirique, notre objectif sera de rechercher des profils dynamiques de détenus suicidaires à

72 partir de l’étude de leur trajectoire de vie. Nous examinerons comment la période de pré- incarcération interagit avec la période de détention actuelle, et comment certains facteurs peuvent prédire un geste suicidaire en milieu carcéral.

Concernant le passage à l’acte sexuel transgressif, depuis plus d’une décennie, les théories développementales se succèdent et amènent plusieurs typologies d’auteurs d’agression sexuelle. Dans la continuité de ces recherches, nous proposerons dans une seconde étude d’étudier des profils d’AICS avec cependant un regard différent sur l’individu en tenant compte de toute sa trajectoire de vie dans une perspective développementale en sortant d’une compréhension basée sur le passage à l’acte sexuel transgressif.