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L’apogée du discours individualiste sur les droits

Dans le document tel-00798611, version 1 - 9 Mar 2013 (Page 94-121)

L’internement et les soins psychiatriques au Québec

2.1 L’apogée du discours individualiste sur les droits

Au début des années 1980, on parle de « crise de l’État social352 ». Cette crise aurait un double fondement, puisqu’elle serait à la fois matérielle – le manque de moyens – et doctrinaire – le manque de croyance dans les capacités effectives de l’État social de régler réellement la « question sociale353 ». Après s’être imposé, nous l’avons vu, dans presque toutes les sphères de la société civile, l’État, à bout de souffle, compose difficilement avec la crise économique, le vieillissement de la population, l’internationalisation du commerce et l’accroissement des régionalismes dus à l’inégalité du développement économique sur le

351 Lire Commaille et Dumoulin, supra note 26 et Commaille, Juridicisation, supra note 26.

352 Fournier et Coutu, supra note 53, p. 47 et Pierre Rosanvallon, La crise de l’État-providence, Paris, Seuil, 1981. Pour François Ewald, la crise de l’État providence se caractérise par un changement d’optique sur le contrat social, dans « A concept of Social Law », dans Gunther Teubner, Dilemmas of Law in the Welfare State, Berlin, Walter de Gruyter, 1985, p. 41. Pour Alain Supiot, il s’agit de la « privatisation de l’État social », dans supra note 186, p. 46.

353 Commaille, Question sociale, supra note 60, p. 8.

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territoire354. La multiplication des acteurs détenant un pouvoir décisif sur les éléments déterminants et indispensables à la formation des politiques économiques et sociales, en dehors de la sphère étatique, a provoqué un effondrement du rôle de la représentation politique355. En même temps, il semble que la crise de l’État tienne à la difficulté de gérer adéquatement le « vivre-ensemble » d’individus composant un tissu social auquel ils ne se sentent plus réellement appartenir. La protection sociale, véritable « protectorat » étatique, aurait paradoxalement favorisé une exacerbation de l’individualisme et un affaiblissement de l’esprit civique356. Ainsi, en 1983, Alain Touraine affirmait que :

« Les demandes sociales ne sont plus celles de citoyens mais plutôt d’individus privés qui demandent moins à réorganiser la vie publique qu’à s’en débarrasser. Le langage des élus eux-mêmes n’est plus celui de la représentation mais celui de la gestion de l’économie dans un environnement international incontrôlable. [...]

La société civile n’a d’existence autonome que si on reconnaît qu’elle repose sur des rapports sociaux fondamentaux, rapports qui résistent à la représentation politique en même temps qu’ils l’appellent. Si les acteurs sociaux sont définis par les acteurs politiques, ils n’ont plus de consistance. [...] Il faut que les intérêts sociaux, pour être représentés, ne soient pas définis essentiellement par leur identité ou leur particularité, pas plus que leur distance au centre, mais par les rapports sociaux dans lesquels ils sont engagés357. »

On reprochait au Code civil du Bas-Canada358 sa résistance au changement, son statisme, alors que « la société et les mœurs n’en continuaient pas moins leur évolution et les besoins de justice des citoyens se faisaient plus pressants359 ». De sorte que, si le code ne changeait pas, les règles étaient néanmoins modifiées par le biais d’autres lois, par les

354 Lire par exemple Lizette Jalbert, « Régionalisme et crise de l’État » (1980) Sociologie et sociétés 12 (2), p. 65-74 et Charles-Albert Michalet, « États, nations, firmes multinationales et capitalisme mondial » (1979) Sociologie et sociétés 11 (2), p. 39-58.

355 Alain Touraine, « La crise de la représentation politique » (1983) Sociologie et sociétés 15 (1), p. 137.

356 Marcelino Oreja, « Les rôles respectifs de l’État et du citoyen » (1987) C. de D. 28 (3), p. 520.

357 Supra note 355, p. 133.

358 S prov C 1865 (29 Vict), c. 41 [« C. c. B.-C. »].

359 Marie-Josée Longtin, « Fragilité et résistance des codes » (2005) C. de D. 46, para. 16. Dès les années 1960, Jean-Louis Baudouin parlait de « crise du droit civil », dans « Le Code civil québécois : crise de croissance ou crise de vieillesse? » (1966) R. du B. can. 35 (3), p. 391.

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pratiques professionnelles ou des décisions ponctuelles, ainsi que par des normes à caractère juridique émanant de sources privées. En même temps, les progrès scientifiques forcèrent des débats de société importants auxquels il fallait impérativement répondre360; la réforme du code était l’occasion d’une « réflexion collective sur les institutions fondamentales du droit civil361 ». La difficulté principale consistait à réconcilier droits individuels – élevés au rang de valeur collective, voire « d’idéologie ou de fondamentalisme » – et droit civil – droit du groupe, « lieu du compromis362 ».

« Il fallait en somme faire du nouveau Code civil le reflet des réalités sociales, morales et économiques de la société québécoise d'aujourd'hui; un corps de lois vivant, moderne, sensible aux préoccupations, attentif aux besoins, accordé aux exigences d'une société en pleine mutation, à la recherche d'un équilibre nouveau363. »

Une réforme profonde du Code civil du Bas-Canada s’imposait donc. Bien qu’un travail important de mise à jour ait commencé au milieu des années cinquante avec l’adoption de la Loi concernant la révision du Code civil364, la réforme de 1980 fut néanmoins envisagée comme un « moment historique365 ». La responsabilité du législateur dans cette tâche était

360 Lire Jean-Louis Baudouin, « Droit, éthique et soins de santé: la décennie 1980-1990 – un bilan des succès et des échecs », dans ICAJ, Soins de santé, éthique et droit, Montréal, Thémis, 1990.

361 Paul-André Crépeau, « Les lendemains de la réforme du Code civil » (1981) R. du B. can. 59 (4), p. 626 [« Les lendemains »].

362 Michel Grimaldi, « "Codes et codification": pour souligner le dixième anniversaire de l’entrée en vigueur du Code civil du Québec et le bicentenaire du Code Napoléon » (2005) C. de D. 46, para. 50. Lire également Jean Pineau, « La philosophie générale du nouveau Code civil du Québec » (1992) R. du B. can. 71 (3), p.

443.363 Paul-André Crépeau, président de l'Office de révision du Code civil de 1965 à 1977, tel qu’il est cité dans Marcel Guy, « Le Code civil du Québec: un peu d'histoire, beaucoup d'espoir » (1992) RDUS 23, p. 464.

Lire également Crépeau, Les lendemains, supra note 361.

364 SQ 1954-55, c. 47. Lire Sylvio Normand, « La première décennie des travaux consacrés à la révision du Code civil » (1994) R.D.McGill 39, p. 828-844 et Baudouin, supra note 359, p. 394 et suivantes. Tirant parti de l’expérience de réforme du Code civil en cours, mais commencée 36 ans plus tôt, le ministre de la Justice proposa la création d’un Institut québécois de réforme du droit, chargé de formuler des propositions de réformes législatives de manière à « maintenir de façon permanente l’effort de révision et de modernisation de notre droit afin qu’il soit toujours mieux adapté aux valeurs et aux besoins de la société ». Cet institut ne verra néanmoins jamais le jour, faute de moyens. Voir Loi sur l'Institut québécois de réforme du droit, LQ 1992, c. 43, jamais entrée en vigueur.

365 Québec, Assemblée nationale, Sous-commission des institutions, « Projet de loi n° 125 — Code civil du Québec (1) » dans Journal des débats de la sous-commission des institutions, vol. 34, n° 3 (27 août 1991), p.

45 (monsieur Yvon Lafrance, Président) et p. 51 (madame Louise Harel, porte-parole de l’Opposition officielle).

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d’autant plus lourde que le Code civil est considéré comme « la trame sur laquelle se construit le tissu social366 », une sorte de « Constitution civile367 ». L’entreprise était ambitieuse, le projet de loi initial comportant 3144 articles. Cette réforme profonde entraina dans son sillage la révision de plusieurs lois à des fins d’harmonisation, dont la LPMM et la Loi sur le Curateur public368.

Quant aux personnes souffrant de maladie mentale ou de déficience intellectuelle, plus précisément, les critères contenus au Code civil du Bas-Canada, notamment concernant l’interdiction, dataient du siècle antérieur et ne correspondaient plus aux normes scientifiques et juridiques; ainsi, pouvaient être déclarées incapables, et donc interdites, les personnes atteintes de fureur, d’imbécillité, de démence, d’ivrognerie ou de narcomanie369. Relativement au consentement aux soins, nous l’avons vu, bien que le principe soit expressément reconnu depuis 1971, il ne faisait l’objet d’aucune disposition particulière quant à la cure fermée et son application se faisait apparemment au détriment des patients.

En effet, dans les années 1980, il était de pratique courante de traiter contre leur gré les patients sous cure fermée, et le fait de refuser un traitement entraînait le plus souvent une hospitalisation prolongée370. En même temps, malgré l’absence de dispositions législatives habilitantes, il arriva que les tribunaux substituent leurs consentements à celui d’un patient légalement apte, la tendance générale étant à assimiler refus médicalement déraisonnable

366 Ibid., p. 45 (monsieur Gil Rémillard, ministre de la Justice).

367 Longtin, supra note 359, para. 6. « [L]e Code civil n’est pas une loi ordinaire. Il ne vient pas déroger ni ajouter à d’autres règles ou principes. Il est lui-même l’expression de la loi d’application générale à laquelle les autres lois viennent ajouter ou déroger »: France Allard, « La Charte des droits et libertés de la personne et le Code civil du Québec: deux textes fondamentaux du droit civil québécois dans une relation d’"harmonie ambiguë" », dans (2006) R. du B. (numéro thématique hors-série), p. 38.

368 Supra note 268.

369 Supra note 358, art. 325 et suivants.

370 Jean-Pierre Ménard, « Capacité de consentement éclairé: les droits du patient psychiatrique », dans Pierre Migneault et John O’Neil, Consentement éclairé et capacité en psychiatrie: aspects cliniques et juridiques, Montréal, Éditions Douglas, 1988, p. 125 [« Capacité et consentement »] et Daniel Gervais, « Le droit de refuser un traitement psychiatrique au Québec » (1985) C. de D. 26 (4), p. 810 et 811. Pour Andrée Lajoie, Patrick Molinari et Jean-Marie Auby: « Bien évidemment, [le refus de traitement d’une personne internée]

peut entraîner un retard dans sa libération »: supra note 176, p. 312.

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de traitement et inaptitude, voire maladie mentale et inaptitude371. De plus, aucun jugement québécois portant sur la question ne faisait état des droits constitutionnels des personnes refusant un traitement372. Concernant la cure fermée, des acteurs importants, tant des domaines juridique que médical, réclamaient depuis 1977 une révision en profondeur373; en outre, la Uniform Law Conference of Canada avait proposé, dès 1986, à la suite de travaux auxquels le Québec avait participé, une loi-type374. La réforme législative sera achevée en deux temps: d’abord par la réforme du Code civil au début des années 1990, puis par l’adoption de la Loi sur la protection des personnes dont l’état mental représente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui375 [« LPEMM »] en 1998.

Lors de l’étude du projet de loi concernant le nouveau Code civil en assemblée parlementaire, le ministre de la Justice expliqua ainsi la démarche:

« [O]n a dit de notre époque qu'elle était celle de l'éphémère et de l'individualisme.

Paradoxalement, c'est de la stabilité et de l'équilibre des rapports humains qu'il sera aujourd'hui question pour l'étude de principe de la réforme du Code civil. [...]

Le Code civil se propose d'encadrer harmonieusement l'ensemble des rapports entre les personnes. Il ne s'agit pas de réglementer les individus, mais bien la part de leur vie qu'ils doivent concéder pour vivre en société. Chacun doit savoir qu'il n'est pas seulement un individu, mais une personne et qu'à ce titre, il a des devoirs et aussi des droits garantis par la société. [...]

[U]n des objectifs fondamentaux de la présente réforme du Code civil […] est d'insuffler dans les rapports privés l'esprit de la Charte des droits et libertés de la personne que nous

371 Voir par exemple Institut Philippe Pinel c. Dion, [1983] CS 438. Jusqu’en 1989, la compétence des tribunaux à cet égard était nébuleuse: Margaret A. Somerville, « Refusal of medical treatment in "captive"

circumstances » (1985) R. du B. can. 63 (1), p. 59-90.

372 Gervais, supra note 370, p. 836 et suivantes.

373 Association des hôpitaux du Québec en 1977; Association des médecins psychiatres du Québec, Comité de la santé mentale du Québec et Commission des droits de la personne du Québec en 1978; un comité spécial du ministère des Affaires sociales en 1980 et un comité de travail des ministères de la Justice et de la Santé et des Services sociaux en 1990, dans Comité de la santé mentale du Québec, Recommandations pour enrichir la Politique de santé mentale, Québec, 1994, p. 55 [« Recommandations »].

374 Il s’agit du Draft Uniform Mental Health Act.

375 LPPEM, supra note 24.

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nous sommes donnée. La personne sera donc l'axe fondamental du futur Code civil: la personne reconnue dans sa valeur humaine, valeur qui constitue le principe des devoirs et des responsabilités; inséparables des droits des citoyens et des citoyennes. Les droits des uns constituent les devoirs des autres. Nous ne pouvons échapper à cette nécessaire réciprocité dont le Code civil de 1866 était déjà porteur. [...]

Cette réforme du Code civil veut recentrer le Code sur la personne. Dès lors, les rapports privés devront tendre à se faire, non plus entre des individus présumés d'emblée libres et égaux, mais entre des personnes qui tendent, dans les faits, à une plus grande équité et qui doivent l'une et l'autre se respecter dans leur intégrité et leur valeur. Il s'agit d'un devoir de réciprocité qui doit se situer obligatoirement dans la perspective d'un juste équilibre des rapports humains376. »

La crise de l’État et de sa légitimité, au Québec comme dans plusieurs pays occidentaux, semble s’être dénouée à la faveur d’un nouveau processus de légitimation fondé sur les droits de la personne377. Ce discours sur les droits en tant que valeurs témoigne d’une

« mutation culturelle » fondée sur le développement de l’individualité et de la responsabilité individuelle378, s’opposant aux exigences d’efficience et d’efficacité

376 Québec, Assemblée nationale, Journal des débats, 34e lég., 1e sess, n° 133 (4 juin 1991), p. 8761 (monsieur Gil Rémillard).

377 D’après Pierre Noreau, « [l]’égalité juridique est […] conçue comme la transposition normative du principe démocratique, fondé sur la souveraineté populaire d’un côté et l’égalité d’exercice des droits subjectifs de l’autre, toutes conditions qui participent de la légitimité politique contemporaine »: Égalité formelle, supra note 52, p. 8. Pour Niklas Luhmann, cependant, le concept de légitimation ne s’applique plus qu’à la question de l’élection ou de la réélection des gouvernements: Politique et complexité, Paris, Éditions du Cerf, 1999, p. 149 [« Politique »]. Pour Marcel Gauchet, le discours sur les droits, individualiste, n’a fait que « désintéresser [l’individu] de la conscience de l’existence sociale [et l’encourager] de s’enclore strictement dans sa propre sphère privée »: Démocratie, supra note 14, p. 23 et 328 et suivantes. Par comparaison, le droit social exige de chacun qu’il fasse des compromis au sujet de ce qu’il considère comme étant son droit absolu: Ewald, supra note 352, p. 48.

378 Noreau, Droit préventif, supra note 15, p. 58, se référant à Simon Langlois et Kristin Bumiller, The Civil Rights Society – The Social construction of Victims, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1988, p.

4. Pour Jacques Derrida, il s’agit d’un processus de « déconstruction du Droit » par lequel « l’idée de justice n’[est] au fond rien d’autre qu’un désir individuel »:dans Supiot, supra note 186, p. 47. Marcel Gauchet, lui, parle « d’individuation », un processus qui renvoie plutôt à la « désagrégation de l’encadrement collectif »:

Marcel Gauchet tel qu’il est cité dans Castel, Métamorphoses, supra note 56, p. 759. Ainsi, l’individu « est reconnu pour lui-même, indépendamment de son inscription dans les collectifs. Mais il n’est pas pour autant assuré de son indépendance, au contraire »: Castel, Insécurité, supra note 20, p. 12.

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caractéristiques des interventions de l’État providence379. Ainsi, dorénavant, l’intervention active du pouvoir judiciaire – en tant qu’« une des expressions possibles de l’individualisme380 » – deviendra nécessaire pour garantir l’effectivité des droits, et par le fait même, la légitimité de l’État381. « L’inflation législative et judiciaire s’expliquerait dès lors par l’effet domino qui accompagne inévitablement la succession des législations sociales qui se justifient en cascade, les unes après les autres382. » Dans la foulée, les tribunaux se verront attribuer de nouvelles compétences, notamment en matière de protection des mineurs et des majeurs inaptes. En même temps, cette judiciarisation imposera les juristes en tant que nouveaux experts des questions sociales.

C’est ainsi que, reprenant les principes qui fondent la Charte383, et plus particulièrement celui de l’égalité384, le livre premier du nouveau Code civil – rompant avec le Code civil du Bas-Canada auquel on reprochait de porter « la marque de doctrines individualistes et libérales des siècles passés, dont on sait pourtant, aujourd’hui, qu’elles sont largement dépassées385 » – portera le titre Des personnes, « mettant en lumière [...] la primauté accordée à la personne humaine386 ». Le titre premier, De la jouissance et de l’exercice des droits civils, énonce les grands principes gouvernant l’application du Code, certains y voyant même une « mini charte387 », assurant « la protection de ce qui constitue

379 CDPDJ, Charte québécoise, vol. 1, supra note 200, p. 16. Pour certains, cependant, les interventions de l’État providence favorisent l’apparition d’une dépendance et d’un besoin d’assistance: Aubert, supra note 188, p. 33.

380 Noreau, Droit préventif, supra note 15, p. 58.

381 Fournier et Coutu, supra note 53, p. 51 et 52.

382 Noreau, Droit préventif, supra note 15, p. 57 (en italique dans le texte).

383 La disposition préliminaire du Code civilénonce que celui-ci « régit en harmonie avec la Charte des droits et libertés de la personne et les principes généraux du droit, les personnes, les rapports entre les personnes, ainsi que les biens ».

384 Monique Ouellette, « L’égalité sous le Code civil: la réalité et l’espoir » (1990) RJT 24, p. 421-431.

385 Paul-André Crépeau, « Centenaire du Code civil du Québec » (1966) R. du B. can. 35 (3), p. 389. Pour Adrian Popovici, il ne s’agit pas d’une réforme du Code civil, mais plutôt de la mise en place d’un « Ordre juridique nouveau »: « Repenser le droit civil: un nouveau défi pour la doctrine québécoise » (1995) RJT 29 (2), p. 548.

386 Québec, Ministère de la justice, Commentaires du ministre de la justice: Le Code civil du Québec, t 1, Québec, Les publications du Québec, 1993, p. 3.

387 Monique Ouellette, « Livre premier: Des personnes », dans Barreau du Québec et Chambre des notaires du Québec, La réforme du Code civil, vol. 1: Personnes, successions, biens, Québec, 1993, PUL, p. 16.

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l’individualité propre de la personne, son essence, sa dignité388 ». D’après Jean Pineau, les changements linguistiques témoignent, tout au long du nouveau code, de la primauté de la personne389. D’après les commentaires du ministre de la Justice, le fait d’affirmer que toute personne est titulaire des droits de la personnalité « consacre le fait que la personne est au centre de cette législation fondamentale390 ». Le Code civil fera la différence entre la jouissance des droits, un attribut essentiel de la personnalité et dont on ne peut se départir, et l’exercice des droits, une réalité contingente à laquelle une personne peut ou doit parfois renoncer391. Le Code civil consacre ainsi, après la « protection collective » de la personne humaine sanctionnée par les Chartes ou les instruments internationaux, une « protection personnelle » de la personne humaine cristallisée dans les rapports privés392.

Quinze ans plus tard, pourtant, force est de constater que l’harmonisation entre Code civil et Charte n’a pas donné les résultats escomptés. D’abord, comme le soulignent Michel Coutu et Pierre Bosset, la question de la hiérarchie des normes n’a jamais été réellement abordée malgré la demande expresse de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse393 [« CDPDJ »]. Les tribunaux auraient eu tendance à considérer le Code civil comme une loi fondamentale, sur un pied d’égalité avec la Charte. Ainsi, si la jurisprudence et la doctrine n’ont pas hésité à reconnaître à la Charte une place prépondérante dans l’ordre juridique québécois394, la disposition préliminaire du Code civil aurait souvent été interprétée comme « la volonté du législateur de rattacher les deux textes dans un rapport égalitaire et de placer le Code civil en haut de la hiérarchie des normes

388 France Allard, « Les droits de la personnalité », dans École du Barreau du Québec, Personnes, famille et successions, Cowansville, Yvon Blais, 2006, p. 59. En effet, les droits de la personnalité se distinguent des autres droits subjectifs par leurs caractéristiques d’insaisissabilité, d’imprescriptibilité, d’intransmissibilité et d’indisponibilité: Robert P. Kouri et Suzanne Philips-Nootens, L’intégrité de la personne et le consentement aux soins, Cowansville, Yvon Blais, 2005, p. 77 et suivantes [« L’intégrité de la personne »].

389 Supra note 362, p. 436.

390 Supra note 386, p. 3.

391 Ibid., p. 4.

392 Grégoire Loiseau, « Le rôle de la volonté dans le régime de protection de la personne et de son corps » (1992) R.D.McGill 37 (4), p. 972.

393 Supra note 199.

394 Par exemple, Gosselin c. Québec (Procureur général), supra note 142, para. 416: « [L]a Charte québécoise joue le rôle de loi fondamentale, dont la spécificité se manifeste à plusieurs niveaux. [...] [Elle]

est pratiquement la seule loi fondamentale au Canada, voire en Amérique du Nord, à protéger expressément des droits sociaux et économiques. »

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législatives395 ». À ce sujet, en 1997, la Cour suprême du Canada, sous la plume du juge Gonthier, affirmait que:

« Le Code civil du Québec énonce plusieurs principes directeurs du droit. Sa disposition préliminaire souligne d’ailleurs qu’il constitue le fondement des autres lois portant sur les

« Le Code civil du Québec énonce plusieurs principes directeurs du droit. Sa disposition préliminaire souligne d’ailleurs qu’il constitue le fondement des autres lois portant sur les

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