• Aucun résultat trouvé

De l’anonymat à la consécration De l’ombre à la lumière.

E. Accueil de l’œuvre d’Almodovar par la critique et le public.

1. De l’anonymat à la consécration De l’ombre à la lumière.

Après que le film Dans les ténèbres ait été projeté aux festivals de Venise et de Miami en 1983, le cinéma d'Almodóvar c’est exporté à l'étranger et il devient alors un ambassadeur improbable de la culture espagnole à l’international, largement assimilé à Franco et au catholicisme. Après l’accueil mitigé en Espagne de ses deux premiers longs métrages, qui furent pourtant des succès cultes dans le réseau underground de la Movida, bien que mis à mal par les critiques, Almodóvar va réaliser dix sept longs métrages en environ trente cinq ans. L'une des preuves les plus tangible de son succès en tant que réalisateur est que tous ses films ont généré un bénéfice, en dépit de son amateurisme, de ses modestes débuts, des sujets tabous qu'il a persisté à traiter, et cela jusqu’à la maturité et la maitrise de ses dernières productions.

Almodovar est un vrai enfant terrible de l’Espagne. Les voix qui faisaient autorité dans le cinéma espagnol d’il y a trente ans, ont longtemps méprisé le jeune réalisateur jusqu'à ce qu'il atteigne un succès certain à l'étranger. Ils lui ont alors donné la validation initiale dont il avait besoin et ont encouragé ses œuvres ultérieures. Ses derniers films ont tous été exécutés avec le plus grand souci de la maitrise technique, esthétique et narratologique, plaçant Almodóvar comme un auteur et un ambassadeur du cinéma espagnol respectable, et cela pour longtemps.

La comparaison avec Andy Warhol est maintenant galvaudée, mais néanmoins valide. La réception initiale du pop art par les élites américaines dans le monde de l'art, marquée par l'ambivalence, le dégoût, et même l'hostilité, était tout à fait semblable à celle d’Almodóvar par les élites espagnoles du cinéma dans les années quatre vingt, qui grinçaient des dents face à sa technique amateur, ses thèmes sordides et même son style narratif décousu.

Pour un cinéaste autodidacte, il apparait logique que ses premiers films soient évités d'un point de vue technique et esthétique. Mais il est aussi un des représentants de la movida, et est parallèlement proclamé « agent provocateur » du mouvement underground de l’époque. Son amateurisme n’est pas la seule raison de son impopularité auprès du public et de la critique. La forte tradition d’un cinéma réaliste en Espagne avait depuis longtemps mis en place des notions de ce qu'était et n'était pas le cinéma national. Or les films de comédies grossières ou faisant référence à la culture populaire, n'en étaient certainement pas aux yeux de la critique. Ce n'est pas seulement ce que dit Almodóvar qui a d'abord irrité les spectateurs de ses films, mais la manière dont il le dit, l’habille, le peint et l'enveloppe dans un récit satirique et maladroit. La critique espagnole de l’époque considérait ses films comiques comme un signe d'immaturité. Inversement, un réalisateur comme Carlos Saura était perçu comme un réalisateur établi et très honoré. C'est ce dernier qui constituait alors le capital culturel traditionnel pour la promotion du cinéma espagnol à l'étranger.

À bien des égards, et bien que produite par un espagnol, en Espagn,e en langue espagnole, et pour être vue par un public espagnol, l’œuvre d’Almodovar a engendré l’étude des interprétations transculturelles en raison de ses références au camp et au mélodrame, importés de la tradition Hollywoodienne. Alors que certains chercheurs examinent les interprétations transculturelles d’Almodóvar en dehors de l'Espagne, quelques-uns ont tendance à voir sa réception domestique comme une autre forme d'interaction interculturelle entre la contre-culture et la culture de masse.

Dans le contexte international et interculturel, Almodóvar a été à la fois défendu par les élites et blâmé par la droite conservatrice lors de ses exportations à

l'étranger. Indépendamment de la réception de ses films à l’international, il est une figure notable dans le cinéma pour sa capacité à créer des films dont les thèmes universels font écho auprès du public de nombreux pays, aux langues et cultures différentes. Le succès d’Almodóvar est sans doute lié à sa capacité à communiquer avec une certaine profondeur avec un public multiculturel. L'originalité du cinéma d'Almodóvar réside dans son hybridité : il emprunte beaucoup au monde du cinéma hollywoodien, mais maintient un scepticisme européen plus intellectuel, une distance marquée par l'ironie et l'autoréflexivité. Par sa dextérité, le réalisateur espagnol combine les éléments du mélodrame hollywoodien, dont le style est largement diffusé et reproduit, avec des farces et références locales espagnoles, qu'il mélange à une sensibilité européenne. Il possède alors, d'un point de vue marchand, un produit qu'il peut commercialiser en Espagne, mais aussi exporter aux États-Unis, en Europe et dans les pays hispanophones du monde entier.

A partir de Femmes au bord de la crise de nerfs (1988), dont la nomination aux Oscars suppose la reconnaissance internationale du cinéaste, les critiques de ses films deviendront de plus en plus favorables. Le critique Thierry Jousse dit « il est peut-être temps, au moment où sort son septième long métrage, de parler de Pedro Almodovar autrement que comme d’un pur effet de mode23.».

C’est avec Tout sur ma mère en 1999 qu’Almodovar devient une valeur pérenne du cinéma international. Il obtient alors son premier Oscar du meilleur film étranger, en plus du Golden Globe, du César, de trois prix du cinéma européen, du David di Donatello, de deux BAFTA, sept Goya et quarante cinq autres prix. Trois ans après, il récidive avec Parle avec elle, et fait même mieux en recevant l'Oscar du meilleur scénario, cinq prix du cinéma européen, deux BAFTA, le Nastro d’Argento, un César et de nombreux autres prix partout dans le monde... sauf en Espagne.

23