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A la mort de Fernando Álvarez de Sotomayor en mars 1960, Francisco Javier Sánchez Cantón est nommé directeur du musée du Prado. Ce dernier est l’un des premiers professionnels en matière d’art nommé à la tête du musée. Jusqu’à Sotomayor, il était de tradition de nommer un peintre à la direction du musée mais cette habitude a rencontré ses limites. La venue d’un professionnel de l’art a donné un nouveau souffle à ce monument madrilène.

32 Archives du musée de Pontevedra, fonds Sánchez Cantón, correspondance professionnelle de Sánchez Cantón,

1960, caja 137-8, Lettre datée du 12 janvier 1963 de Carlos Robles Piquer à Francisco Javier Sánchez Cantón.

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La disparition de Sotomayor n’est évidemment pas souhaitée mais la venue de Sánchez Cantón est vécue comme un soulagement. Sous-directeur du musée depuis plusieurs décennies, Sánchez Cantón est perçu par ses pairs et ses amis comme celui qui devrait être le directeur du musée.

Le 12 avril 196034 l’ambassadeur d’Espagne, le duc de Baena écrit une lettre à Sánchez

Cantón dans laquelle il lui exprime ses sincères félicitations. Il se réjouit pour lui que cette reconnaissance officielle vienne compléter la reconnaissance morale que bon nombre de ces amis et admirateurs lui confèrent depuis de très nombreuses années. Cela montre que dans le monde culturel, la figure de proue du musée du Prado est Sánchez Cantón et non Sotomayor. Sánchez Cantón s’est imposé comme l’homme qui gère le musée alors qu’il n’en a pas encore la fonction officielle.

Sa nomination est relayée par la presse écrite et notamment en Galice, région natale de Sánchez Cantón. Selon l’un de ces amis, Pedro Echevarria35, l’annonce de sa nomination au

musée national est parue dans les nouvelles de la presse régionale ce qui n’est pas étonnant car Francisco Javier est depuis longtemps l’enfant chéri de Pontevedra et de la Galice. Il est d’ailleurs une figure importante de Pontevedra puisqu’il y a créé et dirige un musée. L’un de ces anciens élèves, José María Laso González36 lui adresse ses félicitations pour sa nouvelle

nomination. Celui-ci l’a appris dans la presse madrilène. Ces deux dernières lettres montrent que l’information est parue non seulement dans la capitale mais aussi en région et même à l’international.

Le 1er avril 1960, un article d’un journal rédigé en anglais37 publie la nouvelle sous le titre

« Directeur du musée du Prado ». Cet article, précis et concis, donne les principales informations, à savoir que Sánchez Cantón est nommé directeur du Prado à la suite de la récente mort de Sotomayor et que cette nomination a été approuvée par le Conseil des ministres. Le nouveau directeur est présenté comme étant une personnalité de notoriété publique dans le milieu de la culture et membre de nombreuses académies espagnoles. Enfin trois de ces ouvrages sont cités : Les grands thèmes de l’art chrétien en Espagne (1948), Naissance et

34 Archives du musée de Pontevedra, fonds Sánchez Cantón, correspondance professionnelle de Sánchez Cantón,

1960, caja 137-8, Lettre datée du 12 avril 1960 de l’ambassadeur d’Espagne, le duc de Baena à Sánchez Cantón.

35 Archives du musée de Pontevedra, op. cit., Lettre datée du 4 mai 1960 de Pedro Echevarria, envoyée de Saint-

Jacques-de-Compostelle à Sánchez Cantón.

36 Archives du musée de Pontevedra, op. cit., Lettre datée du 4 avril 1960 de José Maria Laso Gonzalez, adressée à

Sánchez Cantón.

37 Archives du musée de Pontevedra, op. cit., Coupure d’article d’un journal rédigé en anglais, daté du 1er avril 1960

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enfance du Christ, (1948) et Les portraits du musée du Prado (1919). Cet article indique que le

gouvernement approuve la nomination du Conseil d’administration du musée, son parcours a donc été analysé et jugé en accord avec la politique menée en Espagne. Le second point important est la notoriété de Sánchez Cantón qui n’est plus à prouver. Le choix des trois ouvrages est intéressant puisqu’il cite deux ouvrages publiés en 1948 sous le régime autoritaire de Francisco Franco et qui aborde la question de l’art chrétien en Espagne. Or en 1964 une exposition de la direction générale des Beaux-Arts célèbre la venue de saint Paul en Espagne, exposition patronnée par l’archevêque-cardinal de Tarragone qui lui demande de l’aide pour son organisation. Sánchez Cantón s’accommode de la censure et publie des ouvrages susceptibles d’être acceptés par le ministère de l’Information et du Tourisme.

Pourquoi cette nomination est-elle si encensée ? Pourquoi arrive-t-elle à point nommé ? En 1960, l’Etat franquiste amorce une nouvelle politique économique et géopolitique. L’autarcie et l’isolation diplomatique sont finies, on laisse place à une économie plus libérale et surtout on s’ouvre sur le monde extérieur, principalement l’Europe de l’Ouest et l’Amérique. Ce changement de cap a été opéré dès 1957 avec l’arrivée au gouvernement de membres de l’Opus Dei, ces technocrates qui ont étudié dans les plus grandes universités mondiales et qui reviennent en Espagne avec une vision de la politique beaucoup plus pragmatique que les ministres phalangistes des premières décennies de la dictature franquiste. C’est dans cette perspective de réintroduire l’Espagne dans le giron des grandes puissances internationales que les institutions culturelles sont utilisées.

Le musée du Prado est l’une des vitrines favorites du gouvernement car il est un symbole national pour le peuple espagnol. Les expositions temporaires, les commémorations, toutes les occasions sont bonnes pour créer l’événement et montrer un nouveau visage de l’Espagne. Il s’agit non seulement de plaire au monde extérieur mais aussi de perpétuer la propagande franquiste qui vise à véhiculer les symboles nationaux récupérés ou transformés par le gouvernement afin de créer une unité.

Francisco Javier Sánchez Cantón est le candidat idéal pour diriger le musée du Prado car il jouit depuis plusieurs années d’une reconnaissance pour son travail tant en Espagne qu’à l’international. C’est la carte de visite idéale pour le gouvernement espagnol. Par ailleurs, Sánchez Cantón connaît parfaitement le musée car il y travaille depuis 1919, de manière quasiment interrompue. Dans la sphère culturelle et intellectuelle, il est déjà considéré comme

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le directeur du musée. Cette candidature est donc naturelle. C’est en cela que son arrivée à la tête du musée est attendue et considérée par ses pairs en Espagne et dans le monde.