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TITRE IV POUR UNE CAPACITÉ D’ACTION AUTONOME ET CRÉDIBLE

Section 4 L’ambivalence de la coopération militaire avec la Chine

L’étude des cas précédents semblerait témoigner de la constitution d’un front commun des alliés de Washington contre la Chine. Il est tout à fait vrai que Canberra s’inquiète de la montée en puissance de l’appareil militaire chinois et condamne sa politique expansionniste en mer de Chine. Cette appréhension des autorités australiennes pour la Chine est quasiment palpable puisque, selon les calculs de Laurent Charroud : « il est intéressant de noter que l’occurrence « China » parmi les Livres blancs de 2000 à 2016 a connu une nette augmentation. De seize en 2000, il atteint soixante-quatre en 2016 et soixante-cinq en 2013. Cela témoigne bien des préoccupations nouvelles de la diplomatie australienne.28 » Pour autant, l’Australie se doit de jouer un numéro d’équilibriste vis-à-vis de son homologue chinois qui demeure son premier partenaire commercial. En cas de regain de tension entre la Chine et les Etats-Unis, l’Australie se retrouverait dans une position inconfortable assise entre deux chaises : tiraillée d’une part par son grand allié traditionnel et d’autre part par ses velléités de voir émerger un dialogue stratégique avec la Chine. En effet, Il serait réducteur de limiter la politique de défense australienne à un front unique tournée contre la Chine. Au contraire, l’Australie tente de naviguer subtilement dans la complexité du monde asiatique pour faire émerger un dialogue de défense avec la Chine sur des questions de sécurité communes. Ainsi, les relations militaires entre les deux pays ne sont pas au point mort malgré le renforcement de l’alliance entre l’Australie et les Etats-Unis. Les relations diplomatiques entre les deux Etats ne souffrent pas non plus de crispations particulières comme en attestent les visites du Président Xi Jingping en Australie en 201429. De toute façon, L’Australie n’a ni

l’intérêt ni la masse critique suffisante pour croiser le fer avec la Chine. Cette stratégie irait à l’encontre même de ses intérêts économiques sur lesquels reposent la prospérité de la nation.

27 HARTIGAN Brian, « Australia participates in multilateral maritime interdition exercice », Contact Magazine,

7 novembre 2017 [en ligne], URL : http://www.contactairlandandsea.com/2017/11/07/multilateral-maritime- interdiction-exercise/

28 CHARROUD Laurent, « L’Australie et le monde asiatique parmi les Livres blancs sur la défense (2000-

2016) », Revue de la Défense Nationale, n° 793, octobre 2016 p. 72-73.

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Nous voyons bien au cours de cette étude que Canberra fait preuve de maturité en favorisant l’éclosion de coopérations stratégiques avec tous les pays de son environnement stratégique, y compris la Chine. Et c’est justement là qu’intervient toute la subtilité de la politique de défense australienne au sein de la zone indopacifique : le renforcement de l’alliance avec les Etats-Unis ne ferme pas la porte au développement des relations militaires avec d’autres nations, quelles qu’elles soient, tant qu’elles préservent ses intérêts stratégiques. L’émergence d’une coopération stratégique de défense avec le Chine n’en demeure pas moins très lente. Les relations militaires entre les deux pays prirent d’abord la forme de simples échanges bilatéraux sur des problématiques stratégiques. Ces échanges se structurèrent ensuite sous la forme d’un dialogue stratégique annuel (Defence Strategique Dialogue) au milieu des années 2000. A ces échanges, toujours actuels, s’ajoutèrent des visites réciproques entre les forces navales de l’Armée Populaire de Libération de Chine et la marine australienne30. Par exemple,

à l’occasion des 40 ans depuis le début de l’établissement des relations diplomatiques entre l’Australie et la Chine, le HMAS Ballarat a visité Shangaï et réalisé un exercice maritime avec la frégate Anqing du 17 au 21 mai 201231. Depuis 2008, le dialogue stratégique entre les deux nations s’élève désormais au plus haut niveau entre le Secrétaire de la Défense et le Chef de la Force de Défense australienne et leurs homologues chinois. Le Livre blanc de 2009 affirmait l’année suivante que le renforcement des relations de défense entre les deux pays était devenu une priorité32. Au tournant des années 2010, l’Australie et la Chine sont allées un peu plus loin en coordonnant leurs réponses en cas de missions d’aide humanitaire et de catastrophes naturelles. L’Australie put aussi être à son tour un intermédiaire privilégié pour faire exister un dialogue entre la Chine et les Etats-Unis. Par exemple, l’exercice Kowari en 2014 (reconduit en 2015), impliquait trente personnels (dix de chaque nation) pour un stage de survie de cinq jours dans le bush australien près de Daly River33. Le but de l’exercice, outre le partage des techniques opérationnelles de survie, devait renforcer la confiance réciproque entre les trois pays. Dans le Livre blanc de 2016, le gouvernement accueille favorablement la participation croissante de la Chine dans les opérations de maintien de la paix, l’aide humanitaire, le secours lors des catastrophes naturelles et les missions de lutte contre la piraterie34. En avril 2017, la frégate HMAS Ballarat participa à un exercice de tir et de

30 Département de la défense de l’Australie, Defence White Paper 2009 – Defending Australia in the Asia Pacific Century : Force 2030, 2009, p. 95.

31 Département de la défense de l’Australie, Defence White Paper 2013, ibid., p. 62.

32 Département de la défense de l’Australie, Defence White Paper 2009 – Defending Australia in the Asia Pacific Century : Force 2030, doc. cit., p. 95.

33 Département de la défense de l’Australie, Defence Annual Report 2015-16 volume 1, 2016, p. 15. 34 Département de la défense de l’Australie, 2016 Defence White Paper, ibid., p. 42-43.

sauvetage en mer avec le vaisseau Huangshan de l’APL35. Ces exercices ont pour but premier de renforcer la confiance mutuelle avant même d’avoir une réelle plus-value opérationnelle. Aujourd’hui, la coopération entre les deux pays reste modeste, et les soupçons d’espionnages militaires de la Chine rythment aussi, parfois, la coopération stratégique de défense entre les deux pays. En tout état de cause, la position de l’Australie est délicate et un affrontement entre les deux grands pourrait en faire une des premières victimes collatérales.