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L’Aire Marine Protégée de Bamboung, un impact sur le peuplement de poissons ?

Avec ses 85 espèces de poissons inventoriés au cours des 9 années, le bolon de Bamboung, malgré sa surface réduite (300 ha), peut être considéré comme un milieu à forte richesse

spécifique, au regard des 114 espèces recensées par Diouf (1996) à l’échelle de l’ensemble du

Sine Saloum. Six des espèces observées lors de la présente étude dans l’AMPc de Bamboung n’avaient pas été recensées précédemment à l’échelle du Sine Saloum (Diouf 1996 ; Simier et al. 2004 ; Ecoutin et al. 2010).

L’étude de référence en 2003 a permis d’identifier 45 espèces ; sur cet inventaire, seules 4 espèces n’ont jamais été revues par la suite dans l’AMPc ; parmi ces 4 espèces, l’une fait partie des espèces non inventoriées par Diouf (1996). En conséquence, 8 années d’échantillonnage dans l’AMPc ont permis l’identification de 40 autres espèces de poissons non observées lors de l’étude de référence. Cette augmentation de la richesse spécifique peut avoir 2 explications : d’une part, elle serait la conséquence de l’augmentation de l’effort d’échantillonnage du peuplement et donc une plus forte probabilité de capturer une espèce peu abondante ; d’autre part, elle serait le résultat d’un effet attracteur d’espèces de l’AMPc. L’effet de l’augmentation de l’effort d’échantillonnage serait conforté par :

• la comparaison, à nombre de coups de pêche identique par campagne, de l’augmentation de la richesse spécifique par année entre le suivi fait à Bamboung et celui fait dans le site témoin de Sangako. A Bamboung en quatre années, l’augmentation de richesse est de l’ordre de 45% alors qu’à Sangako, cette augmentation pour les mêmes quatre ans est de l’ordre de 65% ;

• la richesse spécifique par coup de pêche est plus faible à Bamboung qu’à Sangako autant pour l’année de référence que dans la comparaison inter sites entre 2008 et 2011. Donc la probabilité de capture d’une espèce par coup de pêche est plus faible dans l’AMPc ; or la richesse totale y est plus forte quelle que soit l’année ;

• la richesse spécifique annuelle du bolon de Bamboung, comprise entre 26 et 45 et observée en diminution au cours de l’étude, indique bien au regard de ce dénombrement de 85 espèces qu’il existe régulièrement un remplacement d’espèces et que cette richesse totale est liée à la durée de l’étude.

La seconde explication pourrait être mise en avant pour plusieurs raisons :

• Le nombre d’espèces que l’on pourrait appeler rares, c'est-à-dire représentées par un seul individu observé une seule fois au cours de l’étude est faible, de l’ordre de 13% de la richesse totale identifiée dans l’AMP. A Sangako, au cours des quatre années de suivi, la proportion d’espèces rares est du même ordre (15%).

L’augmentation de la richesse spécifique au cours de l’étude est sans doute liée à la durée de celle-ci et donc à un effet de sur-échantillonnage, mais dans un bolon déjà riche en espèces. Le peuplement observé en 2003 dans le bolon de Bamboung, peuplement de référence pour la présente étude, est principalement formé d’espèces estuariennes d’origine marine de catégorie herbivore dominante. Ce peuplement de référence est comparable à celui observé

dans le bolon de Sangako entre 2008 et 2011 : richesse spécifique similaire avec plus de 70% d’espèces en commun, composition écologique et trophique de même nature, caractéristiques des peuplements similaires sauf pour l’indicateur biomasse plus important à Bamboung, peu d’individus de grande taille. Ce peuplement peut aussi être comparé au peuplement général du Sine Saloum observé en 2002-2003 (Ecoutin et al. 2010) : richesse par coup de pêche, abondance et biomasse similaire, composition spécifique proche. La différence majeure porte sur la composition par guilde fonctionnelle ; à l’opposé du peuplement du bolon de Bamboung, le peuplement général de l’estuaire est formé en biomasse très majoritairement d’espèces marines estuariennes de catégorie zooplanctonophage. Le protocole spatial pour cette étude du peuplement du Sine Saloum comportait majoritairement des stations d’échantillonnage de pleine eau privilégiant ainsi les espèces pélagiques souvent planctonophages. Au contraire, le peuplement de Sangako ressemblant sur ce point à celui de Bamboung, on peut mettre en avant l’existence d’un peuplement plus spécifique pour les bolons, peuplement composé principalement d’espèces d’herbivores. Ces peuplements de bolon sont constitués par des individus de taille petite ou moyenne correspondant soit à des juvéniles de grandes espèces, soit à des espèces ne dépassant pas 25-30 cm de longueur. L’interprétation par catégories écologiques ou trophiques de l’évolution du peuplement de référence vers un peuplement d’AMP fournit les mêmes conclusions que l’analyse comparative de 2 peuplements de poissons sous exploitation halieutique différenciée. Ces 2 approches sont complémentaires, mais l’approche comparative fournit des valeurs d’indicateurs souvent significativement différentes en faveur de l’AMP.

Le peuplement de référence du bolon de Bamboung évolue rapidement, de l’ordre de 2 à 3 ans, d’un peuplement typique de bolon vers un peuplement composé :

• d’espèces à plus forte affinité marine ; la contribution des espèces marines estuariennes devient dominante ;

• d’espèces prédatrices à haut niveau trophique, prédateurs généralistes ou piscivores ; • d’individus de grande taille tout en maintenant une présence très forte des petits

individus le plus souvent juvéniles.

Dans ce nouveau peuplement, la part des espèces herbivores est réduite alors qu’au même moment, elle reste stable dans le site témoin. La mise en défens entraine une transformation forte de la structure du peuplement. L’AMP devient un lieu de prédation pour les espèces à affinité marine alors que le site témoin, peu éloigné pourtant, ne montre aucune tendance, même faible, similaire à celles identifiées dans l’AMP. Cette fonction trophique se porte sur les individus de petite et de moyenne taille avec, comme conséquence, la diminution de l’importance de certaines classes (principalement 15-25 cm). Pour certaines espèces présentes majoritairement dans cette gamme de taille, cela a entrainé leur quasi disparition (cas des Mugilidae).

La seconde caractéristique liée à la mise en défens du bolon de Bamboung porte sur l’augmentation de la variabilité d’un certain nombre d’indicateurs. Cela se vérifie au cours de l’évolution interannuelle, mais aussi dans l’étude comparative. La principale source de cette variabilité est liée au cycle saisonnier ; en particulier, l’importance de cette variabilité observée en saison sèche froide a été mise en avant. Cette forte variabilité saisonnière est aussi observée dans le site témoin. Elle est expliquée en particulier par l’émigration vers la mer en fin de saison sèche chaude, d’un grand nombre d’espèces soit pour des raisons de reproduction, soit en fonction de l’arrivée de la saison des pluies. Toutefois, dans le site témoin, le peuplement étant plus estuarien que marin, cette émigration serait plus réduite.

celui de l’année de référence ou du site témoin. Cela est une conséquence de la transformation du peuplement vers une tendance plus marine et plus prédatrice de haut niveau. En effet, ces espèces, moins inféodées à l’estuaire même si la plupart y sont observables, utilisent l’AMP pour une fonction de nourricerie vraisemblablement pour des temps courts voire très courts. Comme elles ne sont souvent pas observées dans le site témoin, l’hypothèse serait soit qu’elles partagent le site de l’AMP et les zones hors AMP mais très proximales, soit qu’elles retournent sur le plateau continental marin peu éloigné de l’AMP.

La troisième caractéristique que cette étude met en avant, est liée au changement de fonctionnement d’un estuaire. De nombreux travaux ont montré la fonction de nurserie que joue un estuaire (Albaret 1999 ; Vidy 2000 ; Blaber 2002 ; Elliott et Whitfield 2011). Cette fonction de nurserie assure aux larves et juvéniles de poissons qu’ils soient d’origine marine, estuarienne ou continentale, protection et nourriture. Or la mise en défens de l’AMP montre le rôle trophique de prédation de grands individus que permet l’AMP, rôle pourtant non joué par le site témoin.

Le suivi du peuplement de poissons du bolon de Bamboung par des méthodes acoustiques n’a pas répondu à tous les espoirs initiaux investis dans ce projet. Plusieurs explications sont développées dans cette étude. Cette approche du peuplement fournit 2 indicateurs principaux, un indicateur d’abondance-biomasse et un indicateur de taille ; ces 2 indicateurs font partie de la famille des indicateurs globaux, car ils ne peuvent être reliés à l’identification des espèces. Or, au regard de l’explication écologique, sans caractérisation par guilde, il est difficile de proposer un schéma interprétatif d’évolution du peuplement. L’indicateur de taille décrit le cycle saisonnier (recrutement des juvéniles en octobre, grossissement en saison sèche, émigration avant la saison des pluies), mais ce cycle est en grande partie celui, naturel, d’un peuplement d’estuaire.

La modélisation n’a pas encore fourni ce que l’on attend de ces outils ; principalement cela est lié à la définition de nouveaux scénarios d’aménagement qui font l’objet d’analyses en cours. Toutefois, la mise en place de ces modèles a imposé un effort de synthèse et d’intégration des données ciblant ainsi les compartiments mal identifiés ; ainsi la place du benthos, et principalement des mollusques et des crustacés, semble être un compartiment mal appréhendé des cycles trophiques dans le système Bamboung. Une fois la pertinence des données et de leur synthèse validée, la modélisation permet de comparer son résultat aux observations de terrain et, suivant les contraintes imposées par le modèle, d’identifier les divergences et de tenter de les interpréter. Les scénarios déjà utilisés intégrant l’ensemble de notre connaissance de ce système ont permis d’estimer certains indicateurs complémentaires de fonctionnement de l’aire marine ; l’AMPc exporterait environ 10 à 15% de sa biomasse. Le devenir de cette exportation n’est pas bien identifié : enrichissement des zones proximales ou migration vers des lieux plus éloignés.