• Aucun résultat trouvé

PARTIE III : L’ADN MITOCHONDRIAL

CHAPITRE 5 - ÉVOLUTION DE L’ADN MITOCHONDRIAL

5.2. L’ADN mitochondrial des Métazoaires

L’ADN mitochondrial de la lignée des Métazoaires correspond, avec quelques exceptions, à un chromosome circulaire unique, qui rappelle celui de l’ancêtre bactérien, d’une taille variant entre 14 et 17 kilobases. Cette petite taille par rapport au génome nucléaire, s’explique, en plus du transfert de gènes vers le noyau, par des séquences intergéniques presque absentes, contrairement à ce qui est constaté, par exemple, chez les plantes, où les régions non codantes et les espaceurs peuvent faire monter la taille du mitogénome au-dessus des 100kb.

Les exceptions à la configuration circulaire correspondent à des cas où le mitogénome est présent sous la forme de plusieurs chromosomes linéaires, condition ayant évolué plusieurs fois et de manière indépendante dans des groupes aussi divers que les Cnidaires Médusozoaires [Kayal et al., 2012], Nématodes [Armstrong et al., 2000] ou encore divisé en plusieurs chromosomes circulaires comme chez les poux [Cameron et al., 2011], sans que les causes à l’origine de ces remaniements soient connues.

D’autre part, et à la différence du contenu en gènes qui est plus ou moins conservé chez les métazoaires, l’ordre des gènes et leur répartition sur les deux brins de la molécule d’ADN mitochondrial sont tellement variables qu’ils sont parfois utilisés comme caractère phylogénétique. C’est le cas par exemple de clades comme les éponges [Lavrov et Lang, 2005] ou les tuniciers [Rubinstein et al., 2013], pour lesquels nous avons mis en évidence que l’ordre des gènes peut varier de manière considérable même entre des espèces congénériques (Figure 5.1) (voir article dans la section « Collaborations »).

Dans le cas concret des Mammifères, le cercle contient 37 gènes qui incluent :

(i) L’ARN des deux sous-unités du ribosome mitochondrial (ARNr 12S et 16S) ;

(ii) 13 gènes codant le même nombre de sous-unités de la chaîne respiratoire (ATP6, ATP8, CO1, CO2 CO3, ND1, ND2, ND3, ND4L, ND4, ND5 et ND6);

(iii) 22 ARN de transfert (ARNt), spécifiques aux acides aminés mitochondriaux ; et

(iv) une partie non-codante connue sous le nom de région de contrôle et qui contient les régulateurs et promoteurs de réplication et transcription des gènes mitochondriaux.

Ces gènes sont pour la plupart contenus sur le brin appelé lourd (H, pour Heavy), sauf pour les gènes ND6 et certains ARNt, qui vont être placés sur le brin léger (L, pour light) (Figure 5.2).

Le mitogénome présente aussi quelques différences importantes par rapport au génome nucléaire, notamment son hérédité et la manière dont les forces évolutives agissent sur les gènes qu’il contient. D’abord, sa transmission est, dans la plupart des cas, exclusivement maternelle, quoique quelques cas de transmission paternelle ont été identifiés, par exemple, chez les moules Mytilus [Zouros et al., 1992]. Ceci va avoir comme conséquence l’absence de recombinaison et une taille efficace de population réduite par rapport au génome nucléaire.

Ensuite, les gènes encodés par le génome mitochondrial, étant impliqués dans des fonctions métaboliques essentielles, sont soumis à de fortes contraintes sélectives et sont donc une cible prioritaire de la sélection naturelle qui va venir constamment éliminer les mutations délétères. En conséquence, ce sont surtout les mutations neutres ou quasi-neutres qui vont s’accumuler [Galtier et al., 2009].

Puis, une des caractéristiques les plus remarquables du mitogénome, à la base de son succès comme marqueur moléculaire, est sans doute son taux d’évolution qui va présenter aussi une série de particularités. En effet, ce taux va varier à trois niveaux, détaillés ci-dessous : (i) comparé au génome nucléaire ; (ii) d’un gène à l’autre au sein d’une même espèce ; (iii) entre lignées.

Figure 5.2. L’ADN mitochondrial des Mammifères. En gris foncé et rayé, les deux ARN ribosomiques ;

en blanc, les gènes codant pour les sous-unités de la chaîne respiratoire ; en gris clair, les ARN de transfert pour les acides aminés mitochondriaux ; en gris pointillé, la région de contrôle. H : Brin lourd ;

OH : Origine de réplication du brin lourd ; L : Brin léger ; OL : Origine de réplication du brin léger. Les noms des gènes sont placés sur le brin qui les contient.

(i) La comparaison des taux d’évolution des génomes nucléaire et mitochondrial chez les animaux a été abordée par plusieurs études qui ont constaté de manière cohérente que le deuxième tend à évoluer avec un taux plus élevé que son partenaire nucléaire [Pesole et al., 1999; Nabholz et al., 2008]. En revanche, cette tendance n’est pas retrouvée chez les plantes où, au contraire, la mitochondrie est le compartiment évoluant le plus lentement, derrière le chloroplaste et le génome nucléaire et par plusieurs ordres de magnitude [Wolfe et al., 1987].

Dans le cas des animaux, les différences entre les deux compartiments correspondraient d’abord à l’effet de la population efficace réduite et à l’absence de recombinaison chez le mitogénome qui vont avoir comme résultat une fixation plus fréquente des mutations faiblement délétères [Galtier et al., 2009]. Pour les Mammifères, par exemple, le taux d’évolution de l’ADN mitochondrial des lignées à évolution rapide peut être 100 fois plus élevé que celui des gènes nucléaires. En revanche, pour les espèces évoluant lentement, le ratio entre les taux mitochondrial et nucléaire serait inférieur à 20 [Nabholz et al., 2008].

(ii) Pour les variations entre gènes, une première explication a suggéré que le taux de substitution d’un gène particulier pouvait être expliqué par sa distance à l’origine de réplication, donc au temps passé à l’état simple brin pendant la réplication de l’ADN mitochondrial [Reyes et al., 1998]. L’état simple brin est considéré mutagénique car l’ADN devient plus susceptible à l’action des radicaux oxygénés produits par la respiration et subirait notamment une désamination des cytosines en thymines et des adénines en guanines.

Une étude récente a aussi mis en évidence que les gènes les plus fortement exprimés présentent des taux d’évolution moins importants que ceux qui sont exprimés en plus faible proportion [Nabholz et al., 2013]. Les auteurs proposent comme explication pour cette relation le fait qu’un gène qui est fortement exprimé doit être contraint à avoir un taux d’erreur minimal pour maximiser le nombre de molécules viables et fonctionnelles.

(iii) La variation du taux de substitution du génome mitochondrial entre les différentes lignées animales a été l’objet de plusieurs études comparatives, notamment au niveau des Mammifères, qui ont suggéré qu’une partie importante de ces différences pourraient être associées à des variations dans les traits d’histoire de vie.

Dans un premier temps, il a été montré une corrélation négative entre la masse corporelle (et indirectement la taille) et le taux de substitution, c’est-à-dire, les organismes les plus grands (donc plus lourds) vont avoir tendance à présenter des taux d’évolution moins importants que ceux de petite taille [Martin et Palumbi, 1993]. Ensuite, il va être suggéré l’existence d’une corrélation positive entre le taux métabolique et le taux d’évolution mitochondrial sous l’hypothèse qu’un métabolisme plus élevé résulterait en un environnement cellulaire oxydatif plus marqué [Bromham et al., 1996]. Ceci serait en accord avec la corrélation précédente puisque les organismes lourds auront des taux métaboliques plus faibles que les organismes de masse corporelle réduite.

En 2008, une nouvelle hypothèse est proposée mettant cette fois-ci en relation le taux d’évolution du mitogénome et la longévité [Nabholz et al., 2008]. À partir de l’analyse d’un jeu de données incluant plus de 1500 séquences du gène du cytochrome-b pour des représentants de toutes les lignées de Mammifères, cette étude a montré que les taux de substitution des organismes vivant plus longtemps tendraient à être inférieurs à ceux des organismes ayant des durées de vie courtes. Cette étude a aussi mis en évidence la magnitude de variation du taux d’évolution à travers les lignées de Mammifères. En analysant les substitutions aux troisièmes positions du codon, qui sont censées être majoritairement neutres donc moins contre-sélectionnées et en conséquence un bon proxy du taux réel de mutation, les auteurs ont mis en évidence une variation de deux ordres de grandeur entre les lignées à évolution rapide comme les gerbilles, les souris et les campagnols, et celles à évolution lente comme la baleine, le chimpanzé et l’homme.