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Chapitre 3 : La rationalite du projet

3.3. L’accord contractuel du projet et les « conditionnalités »

Le projet, dans sa conception, dans le mode opératoire et les règlements généraux des organisations internationales, se conçoit dans un cadre contractuel fixant les objectifs, ressources financières, partenaires, et rapports prévus dans le calendrier de sa réalisation, mais souvent il est en plus assorti de conditions « conditionnalités » dans le langage onusien qui sont un ensemble de mixte de pré-requis et d’encadrement strict des procédures (plus que des processus) et des résultats.

3.3.1 Le contrat type du projet et ses conditionnalités

Le contrat type de projet dans le mode opératoire de nombre d’organisations internationales est souvent introduit de manière automatique une fois qu’un accord de programme est acquis par des discussions ou négociations « d’en-haut » au niveau des commissions mixtes annuelles voire quinquennales. Cela signifie que les termes du contrat et des engagements contractuels sont le plus souvent standardisés.

L’existence en elle-même de « conditionnalités » peut se révéler perverse comme l’on montré nombre d’experts analysant « l’aide au développement » et la manière dont est allouée « l’assistance des organisations financières internationales ».

Citons Hufty et Muttenzer 61 :

« le dialogue entre les bailleurs de fonds et les gouvernements est un jeu de négociation dans lequel l’Etat receveur ou emprunteur tente d’obtenir le plus haut financement aux meilleures conditions, alors que les bailleurs tendent d’imposer un ensemble de conditions de déboursement lié à leur vision des politiques que devrait adopter l’Etat receveur ».

Même dans le cas d’instruments de coopération dits plus souples ainsi les programmes de la Commission Européenne tels que le programme EIDHR « European Initiative for Democracy Human Rights » ou le programme IBPP « Institution Building and Partnership Program » visant à favoriser le développement de la société civile et de modes de fonctionnement modernes d’institutions parapubliques / régionales / locales, ces programmes procédant par appel d’offre, bien qu’il existe une certaine marge de liberté dans la présentation de projets, les termes du contrat sont définis à l’avance et sont ceux des standards de la Commission. Dans certains cas, la capacité des partenaires des projets sélectionnés à remplir ces conditions peut exister ou ils peuvent la mobiliser ; cependant le problème du problème des termes du contrat réside dans le fait que comme l’investigation du système sur le terrain n’est pas faite en commun, et qu’il n’y a pas de négociation ou de discussion des termes du contrat, c’est l’adéquation du contrat de projet à la réalité qui peut faire défaut. L’impact d’un tel projet peut alors se révéler limité au regard des énergies et ressources financières mobilisées.

Il est remarquable que dans le système technico-administratif de gestion des programmes – par exemple ceux de la Commission Européenne dans l’exemple présent mais nous aurions pu prendre des exemples onusiens – ce décalage à la réalité peut ne pas être visible. En effet des administrateurs sérieux et sincères verront des ressources dépensées en temps voulu, des rapports sur des objectifs atteints – ce qui est possible car ces mêmes

61HUFTY M., MUTTENZER F. (2002), "Devoted Friends: the Implementation of the Convention on

Biological Diversity in Madagascar", in Ph. Le Prestre (ed.), Governing Global Biodiversity, Ashgate, Londres, pp. 279-310.

objectifs sont souvent définis de manière quelque peu abstraite – un peu comme de la culture hors sol - mais cohérente par rapport au cadre logique de la matrice log frame de projet citée précédemment ou encore de manière « mimétique » par les organisations candidates aux appels d’offres cherchant à refléter au plus près les priorités et terminologies affichées par les bailleurs de fonds potentiels.

On peut d’ailleurs constater dans nombres de pays hors Union Européenne, que beaucoup d’organisations « non gouvernementales » (parfois parapubliques) vivent et prospèrent grâce à cette relation de commensalité avec les organisations internationales pourvoyeuses de ressources et de reconnaissance.

Le contrat type standard de projet est ainsi difficilement porteur de réalisation et d’impact en milieu complexe mais s’adjoint à cela, une deuxième difficulté majeure:

Ce contrat peu ou pas négocié peut s’avérer en opposition ou divergence latente par rapport aux obligations « locales » des acteurs en jeu.

3.3.2. Le contrat du projet au regard du contrat sociopolitique local et

des trajectoires spécifiques de développement

Les partenaires du pays dit bénéficiaire ou partenaires locaux s’ils s’engagent contractuellement par la signature d’un contrat de projet de coopération, n’en ont pas moins nombre d’autres obligations/engagements plus ou moins explicités – ce que nous appellerons « les contrats sociopolitiques locaux ». Nous employons ici le terme contrat sociopolitique, au sens de relations formalisées et d’engagements d’individus ou de groupes d’individus et associations par rapport à l’environnement social et administratif notamment local, et ce sous leurs différentes modalités. Nous introduisons le terme politique pour signifier que ces obligations sont dans de nombreux cas fixées de manière normative ou conditionnelle comme obligation collective au niveau étatique, régional ou local.

Il importe ici de noter que ces relations de contrat sociopolitique qui conditionnent la vie des acteurs locaux, régionaux, nationaux sont beaucoup plus déterminantes « a priori » que toute nouvelle relation de coopération contractualisée avec une organisation « bailleurs de fonds » externe. Celle-ci représente a priori un caractère déstabilisateur.

Cela signifie que l’élaboration d’une relation réellement authentique et d’un projet « commun » demandent a priori des efforts importants d’investigation et d’établissement d’un niveau de confiance suffisant et le balisage d’un chemin d’intégration au tissu local d’activités bien calibré et parcouru ensemble pour avoir une chance d’impact réel.

A la limite, tout projet, surtout s’il est proposé de l’extérieur de manière standardisée, non seulement risque d’avoir peu d’impact, mais peut a priori être perçu comme déstabilisant et ce non seulement par les autorités de tutelle de différents niveaux mais aussi par la

population résidente du territoire.

Au niveau des bailleurs de fond de la coopération, notamment dans le cas de l’aide au développement ou à la transition économique et démocratique, la réflexion sur ces thèmes s’est approfondie et la nécessité de voir les projets intégrés servir les processus locaux de développement s’inscrit désormais dans la mobilisation pour la « gouvernance », thème que nous traiterons plus loin dans le détail, mais à ce stade citons le Ministère des Affaires Etrangères 62 : « la gouvernance est un processus. A ce titre, elle permet de donner tout son sens, et une autonomie accrue, au concept d’appropriation qui est aujourd’hui au cœur des politiques de développement. La transposition d’un modèle de développement démocratique « clé en main » repose ainsi sur une contradiction si elle conduit à préempter les choix locaux. Elle risque de creuser l’écart entre légalité et légitimité. Il s’agit donc de favoriser l’émergence et la maturation de modes de gouvernance démocratique propres à chaque société, respectant les valeurs universelles fondatrices de l’idéal démocratique reconnues notamment par les conventions et accords internationaux ».

Dans l’orbite des modes de gouvernance démocratique s’insère la coopération décentralisée entre communautés territoriales, villes ou régions du Nord et du Sud. Une telle coopération au premier regard tient compte des réalités et des « contrats sociopolitiques » des territoires concernés, mais cette équation n’est pas sans équivoque.

Ainsi Petiteville 63 dans son analyse de l’essor la coopération décentralisée entre le Nord et le Sud montre, exemples à l’appui, que la coopération décentralisée est « a priori » valorisée comme « bénéficiant d’un crédit fondé sur l’idée qu’elle associe sans intermédiaires les « acteurs de terrain » et les « forces vives » des sociétés civiles. Forte de cette présomption pour cause de subsidiarité ambiante, la coopération décentralisée fait ainsi l’objet d’un discours de valorisation préconstruit sur le thème d’une coopération « souple », « partenariale », à « échelle humaine » qui s’opposerait aux arcanes bureaucratiques traditionnelles de ma coopération multilatérales et aux réseaux clientélistes de la coopération bilatérales. » L’auteur, au travers d’exemples de coopération animée par les collectivités locales ou les communes urbaines, montre que dans un certain nombre de cas, l’éthique de respect pour une amélioration des conditions de développement des collectivités locales du Sud partenaires et pour les paramètres spécifiques de ce que nous appelons le contrat sociopolitique local, est absente.

Pour en revenir au cas de projets standards, notamment ceux qui sont promus dans le

62

MINISTERE DES AFFAIRES ETRANGERES (2006) : Stratégie Gouvernance – Document de synthèse, p.2, Paris

63

PETITEVILLE F. (1996) : La coopération décentralisée Nord-Sud : « vieux vin, nouvelle bouteille » ?

cadre de procédures lourdes multilatérales pour « le développement » , lorsque l’investigation préalable du terrain et la négociation préliminaire avec les acteurs locaux et partenaires potentiels se révèlent insuffisantes, le risque est réel de voir les acteurs/partenaires partagés, « tiraillés » entre des obligations contractuelles sociopolitiques de leur milieu - qui se situent à la fois dans le court et le long terme - d’une part et le contrat du projet d’autre part, sans qu’une cohérence soit atteignable.

L’autre cas de figure que l’on constate aussi est le cas d’organisations partenaires du projet qui dans cette relation de mimétisme à l’approche standardisée ayant répondu à des appels d’offres vont « réaliser » le projet mais sans impliquer nombres d’acteurs locaux. Cette approche opportuniste vis à vis de l’appropriation de ressources de coopération entraîne à l’évidence peu de gains en termes de changements positifs locaux et après quelques projets de ce genre, la possibilité de voir la majeure partie des acteurs locaux en jeu poser la question du bien-fondé de la coopération internationale grandit.

Ce phénomène parmi d’autres est lié à la nature et la substance dirions-nous des relations contractuelles qui dans leur ensemble posent la question des notions de responsabilité et de légitimité de et par l’action de coopération.