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L’ ACCOMPAGNEMENT À L ’ AUTONOMIE ET À LA CONSTRUCTION DE L ’ IDENTITÉ PROFES

Dans le document Récits de formation (Page 128-131)

SPÉCIALISÉS : ENTRE CONSTRUCTION DE L’IDENTITÉ PROFESSIONNELLE

L’ ACCOMPAGNEMENT À L ’ AUTONOMIE ET À LA CONSTRUCTION DE L ’ IDENTITÉ PROFES

SIONNELLE

Outre l’intérêt des formateurs pour le travail d’ana- lyse collégiale de pratiques réalisé au cours des ré- unions du groupe « Accompagnement et dynamique de formation », nous avons précisé que ses membres souhaitaient mettre en œuvre une recherche collé- giale plus formalisée sur l’accompagnement proposé à l’institut. Ce projet a donné naissance à un processus de « recherche action formation », c’est-à-dire que le lien entre recherche et action annonce que les savoirs produits sont retournés aux membres du groupe so- cial « objet » de la recherche, devenant ainsi outils de changement. Dès lors, l’articulation entre recherche et action participe du processus de formation en lui- même. Il ne s’agissait donc pas d’entreprendre une recherche fondamentale, philosophique ou docu- mentaire, (même si ces dimensions ne sont pas ab- sentes du projet) mais bien de s’engager dans une re- cherche de type praxéologique, c’est-à-dire proche de la demande des participants et centrée sur une lo- gique d’action. En d’autres termes, ce groupe de tra- vail s’est interrogé sur les modalités de capitalisation de savoirs existants afin de mieux comprendre ses

propres pratiques andragogiques. L’objectif vise ainsi à construire des outils conceptuels à partir des pra- tiques afin de produire des savoirs qui serviront de re- pères pour l’action.

Trois thématiques émergentes ont été identifiées par les participants :

– La première thématique travaillée dans le groupe recouvre la problématique de la place et de la fonc- tion des groupes d’approfondissement des pratiques dans la formation dispensée à l’institut.

– La seconde thématique interroge les notions de construction de l’identité professionnelle et de la pro- fessionnalisation des étudiants de l’institut.

– Enfin, la troisième thématique questionne la no- tion de « réciprocité éducative ».

Développons plus avant ces différents aspects : En ce qui concerne la première thématique, si tous les membres du groupe s’accordent pour souli- gner l’importance des GAP dans l’accompagnement des étudiants, il reste que la conduite de ces groupes ne saurait se résumer à la seule application de « re- cettes » préétablies. À la lumière des échanges menés entre les participants, on mesure combien cet accompagnement mis en œuvre dans les GAP s’étaye sur l’expérience singulière et sur la sensibilité clinique de chaque formateur amené, à un moment ou un autre du processus, à prendre des « risques mesurés » dans l’animation. Si l’ensemble des for- mateurs du groupe poursuit globalement les mêmes fins au plan du suivi pédagogique des étudiants, il est rapidement apparu qu’ils n’accompagnent mani- festement pas toujours ces derniers de la même ma- Autrement

nière. Il existe en effet des « styles » d’accompagne- ment diversifiés. Or, ces styles paraissent corres- pondre à des figures prototypiques de l’accompa- gnement que les accompagnateurs utilisent aux fins de respecter la « variété des façons d’apprendre » des étudiants.

L’on peut ici tenter d’opérer un lien avec le propos d’Eugène Enriquez9 qui identifie sept modèles et fantasmes qui organisent habituellement le travail des formateurs :

– Un modèle qui s’appuie sur le souci de « donner une bonne forme », c’est-à-dire d’offrir la possibilité d’actualiser en formation une forme supposée « nor- male ».

– Un modèle qui insiste sur la volonté thérapeu- tique de « guérir et restaurer » en exploitant le fan- tasme d’un formateur démiurge chargé de répondre à tous les problèmes.

– Un modèle maïeutique qui vise à faire accoucher l’autre de son projet en s’appuyant sur le postulat Rous- seauiste de la « bonté originaire de l’homme » et qui évacue bien souvent les dimensions transférentielles et contre transférentielles à l’œuvre dans les processus re- lationnels qui marquent la relation pédagogique.

– Un modèle appuyé sur l’intention analytique d’interpréter, de faire prendre conscience et qui masque souvent la volonté de puissance de celui qui se trouve dépositaire d’un supposé savoir sur autrui.

– Un modèle militant qui s’emploie à faire agir, à promouvoir le changement dans une vision parfois manichéenne des rapports de domination-soumis- sion qui traversent la société.

– Un modèle « réparateur » qui s’organise autour

du désir de se dévouer pour prendre en charge les problèmes de l’apprenant mais qui évacue trop sou- vent les bénéfices secondaires inconscients qui orien- tent son action.

– Un modèle « transgressif » qui vise à libérer les ta- bous et les interdits, occultant du même coup l’aspect structurant des interdits qu’il s’emploie à combattre.

– Et enfin, un modèle « destructeur » qui, faisant l’impasse sur la compréhension des injonctions para- doxales qui accompagnent tout acte de formation, s’emploie à rendre l’autre « fou ».

Pour Enriquez, tout projet formatif se trouve né- cessairement pris dans ces références princeps. L’ad- hésion univoque à tel ou tel modèle ne peut que conduire à concrétiser un projet qui risque de dépos- séder le sujet de sa propre expérience et invalider du même coup son accès à l’autonomie. Les débats menés dans le groupe montrent combien chaque for- mateur se trouve, à un moment ou à un autre, habité par un ou plusieurs de ces projets et combien un tra- vail de réflexion individuelle et collective sur la pos- ture clinique du formateur apparaît nécessaire pour tenter de se penser un travail d’articulation et de dé- gagement de ces figures d’aliénation : « Toute situa- tion de formation est une situation dangereuse, où le mal rôde là où on croit édicter le bien, où la bonne volonté se heurte constamment à un désir d’être le maître, le maître à penser, maître de la vie des autres, de leurs désirs et de leur développement. C’est bien pourquoi une expérience analytique ou clinique me semble indispensable pour le formateur. Non pas qu’elle puisse prétendre résoudre tous ses problèmes. Mais qu’elle puisse l’amener à s’interroger sur ses

propres affects, ses propres pulsions, son contre- transfert et sur le piège où il peut entraîner ses clients et où il peut s’entraîner lui-même : être un élément de mort au lieu d’un élément de vie10. »

En ce qui concerne la seconde thématique, les échanges menés dans le groupe montrent que les for- mateurs apparaissent particulièrement attentifs à mener un accompagnement exploitant les situations de groupe et les interactions individuelles pour tenter d’articuler deux logiques distinctes en terme de fina- lité andragogique : la nécessité de promouvoir la ma- turation et l’épanouissement personnel d’un sujet en formation, mais aussi l’exigence de contribuer à la professionnalisation des étudiants en exploitant des aspects très pratiques de l’exercice du métier d’éduca- teur spécialisé.

Afin de favoriser la maturation et l’épanouisse- ment personnel du sujet en formation, les formateurs insistent sur la nécessité de voir se développer, au fil des trois années d’accompagnement, l’implication personnelle des étudiants dans le groupe. L’un des indicateurs pertinents semble être le repérage du mo- ment de déploiement d’une parole « juste » par et entre les participants de ces groupes. Ce serait alors la circulation de cette parole qui viendrait signifier, du même coup, la mise au travail du processus de professionnalisation des éducateurs. Dès lors, tout l’art du formateur consisterait à repérer avec les étu- diants de quelle manière s’opère dans les GAP le passage d’une identité de groupe, fortement surdé- terminée par pression de conformité qui limite dans un premier temps cette « parole juste », à un senti- ment d’appartenance permettant néanmoins à

chaque membre de développer une parole plus incar- née, susceptible d’être alors interpellée dans le groupe au bénéfice de la construction d’une identité professionnelle.

En ce qui concerne la troisième thématique, il ap- paraît que les processus de formation et de construc- tion de l’identité professionnelle se trouvent égale- ment au travail du côté des formateurs. Ainsi, plusieurs d’entre eux estiment que si les GAP visent à fonder l’identité professionnelle des étudiants, ce sont sans doute ces mêmes GAP qui assurent une grande partie de l’identité professionnelle des forma- teurs de l’institut.

Il s’agit, pour le formateur, d’incarner une position singulière où l’écoute, le respect de valeurs de justice et de responsabilité, la reconnaissance de l’altérité, vont s’organiser au travers la mise en place de règles communes aux fins de permettre à chacun, animateur compris, d’analyser sa relation aux autres dans les si- tuations de communication. Cette réciprocité, assu- mée par le formateur, s’oppose alors à la volonté de toute puissance d’un supposé détenteur des savoirs théoriques et pratiques. Paradoxalement, les savoirs du formateur apparaissent alors tout à la fois relatifs et néanmoins consistants, car en cohérence avec le modèle d’accompagnement proposé. C’est donc par le témoignage de la capacité du formateur à méta- communiquer à partir de ses « manques » que son discours pourra alors acquérir une crédibilité suffi- sante auprès des adultes apprenants. Cette réversibi- lité momentanée des positions qui privilégie la circu- lation de la parole, l’écoute et la mise en commun des savoirs des participants, qualifie ce que Jean-Marie Autrement

Labelle nomme « réciprocité éducative ». Au plan conceptuel, c’est donc au travers de la notion d’ac- compagnement andragogique et de la mise en œuvre du concept de « réciprocité éducative » que l’on peut tenter d’identifier plus clairement le travail au quoti- dien des formateurs de l’institut.

C’est à la fin du XIXesiècle que le terme andragogie

(du grec anèr, homme) va apparaître en référence aux problèmes inédits posés par « l’éducation des adultes ». C’est un terme cousin et bâti sur le modèle de pédagogie qui, d’un point de vue étymologique, se rapporte aux enfants (du grec païdos, enfant). Cepen- dant, l’utilisation du terme « andragogie » n’obéit pas ici à une simple coquetterie de langage. Si l’enseigne- ment dispensé à l’ITS s’adresse bien évidemment à des adultes, le point essentiel qui justifie pleinement le recours à la notion d’andragogie s’enracine dans la nécessité de prendre en compte les acquis expérien- tiels et existentiels singuliers des apprenants dans les processus de formation. Cette attention à la singula- rité des étudiants et à leurs pré-requis définit ce que Labelle conceptualise sous la notion de « prévenance andragogique ». Il précise à ce propos : « La préve- nance andragogique consiste d’abord à regarder l’ap- prenant, quel qu’il soit, comme quelqu’un d’unique et d’important, car possédant a prioriles capacités né- cessaires à son propre développement. Un tel témoi- gnage de confiance enclenche les processus éducatifs dont l’issue est, elle aussi a priori, fructueuse. L’an- dragogue manifeste cette attitude en écoutant d’abord et en parlant ensuite : son comportement et son discours expriment alors équivalement que l’ou- verture à l’altérité est l’enjeu de l’éducation. Il atteste

aussi de la sorte que les apprenants sont respectés comme des partenaires libres et autonomes, car la re- connaissance des libertés fonde leur épanouisse- ment11. » Ainsi, l’adresse du formateur ne s’appuie pas ici sur les seuls savoirs théoriques qu’il va trans- mettre mais également sur des compétences moins clairement formalisées. Il va accepter de se mettre en danger, de se voir déstabilisé par la confrontation avec l’autre et par les savoirs dont il est porteur. C’est à ce prix qu’il pourra préserver sa capacité à se trouver surpris, à expérimenter une éventuelle rupture avec ses représentations, avec ce qui est habituellement vécu et qui fait parfois obstacle à la remise en ques- tion. Lorsque cette situation se présente au décours de l’accompagnement, le formateur aura à dépasser une situation de doute et d’inconfort relatif. Cepen- dant, c’est cette même situation qui lui permettra de découvrir en lui-même ce mouvement de formation que vivent les étudiants qu’il est amené à accompa- gner. C’est aussi par le témoignage en acte de ce pro- cessus et surtout par sa capacité à métacommuniquer à ce propos que son discours pourra alors acquérir une crédibilité suffisante auprès des adultes appre- nants.

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