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Chapitre V : INTERPRETATIONS

III) La question de l’accompagnement

1. L’accompagnement : élément crucial …

A travers l’analyse des entretiens, nous avons pu voir que l’activité des travailleurs sociaux n’est quasiment jamais abordée de façon explicite et concrète. Elle est évoquée soit par le prisme de la composition des équipes, soit par celui des publics accompagnés. Si la notion d’accompagnement est souvent évoquée pour définir ce qu’est le travail des professionnels, ce terme est utilisé de manière générique, sans qu’il soit permis de distinguer ce qu’est réellement cet accompagnement. Dès lors, il est permis de s’interroger d’une part sur le sens que chacun met derrière ce mot, et d’autre part sur les raisons mêmes qui font qu’il semble être employé comme unique vision de la pratique des travailleurs sociaux. Il semble pour le moins délicat de tenter ici de répondre à la première question, à savoir celle du sens par lequel est entendu par les interviewés l’accompagnement. En effet, les formes polymorphes que cache ce terme mériteraient sans doute un travail spécifique qui nous éloignerait du sujet de notre recherche. De plus, c’est surtout la signification en elle-même du « flou » entourant l’utilisation de ce terme qui nous intéresse.

Nous pouvons donc poser que cet « accompagnement », quel qu’il soit, représente l’essence même de l’activité des travailleurs sociaux, comme l’indique l’article D451-41 du code de l’Action Sociale, modifié par décret n°2007-899 du 15 mai 2007 : « Le diplôme d'Etat d'éducateur spécialisé atteste des compétences nécessaires pour accompagner, dans une démarche éducative et sociale globale, des personnes, des groupes ou des familles en difficulté dans le développement de leurs capacités de socialisation, d'autonomie, d'intégration ou d'insertion ».

S’il y a donc une logique à retrouver cette notion d’accompagnement dès lors que l’on évoque le travail social, il y a aussi un paradoxe à la voir présentée de façon si abstraite. Comment expliquer que ce qui est présenté comme « le cœur de métier » des travailleurs sociaux ne puisse pas être décrit par ceux qui, ayant par ailleurs un vécu de l’accompagnement, ont comme mission d’encadrer ces professionnels ? Nous touchons ici un point crucial dans le sens où, nous l’avons évoqué plus haut, une des dimensions fondamentales de la professionnalisation est précisément celle qui concerne l’activité. Sans

71 revenir en détail sur l’aspect intrinsèquement évolutif et dynamique de la professionnalisation, il convient néanmoins de rappeler qu’il s’agit avant tout d’un processus. Il est donc possible de lire cette impossibilité, de la part des encadrants, à décrire l’activité des travailleurs sociaux comme un frein majeur à l’accompagnement de ce processus.

2. … mais mouvant !

Pour éclairer ce point, il convient d’évoquer la mouvance du champ du travail social. Dans le N° 109 de la revue EMPAN, parue en mars 2018, Gisèle Dambuyant-Wargny introduit ainsi son propos : « Ces trente dernières années, le secteur de l’intervention sociale a connu des modifications impactant l’ensemble de sa structure : réorganisation des institutions, transformation des pratiques, mais surtout, élargissement du groupe professionnel en fonction des nouvelles problématique sociale »24. Ainsi, ce sont les fondements mêmes de ce secteur qui sont réinterrogés. Les trois niveaux de réorganisation évoqués ici trouvent à la fois leur origine et leur prolongement de façon très concrète sur le terrain. Par exemple, alors que le nombre d’enfants accueillis en établissement médico-social est globalement resté stable entre 2010 et 2014 (+ 0,4%25), celui des enfants suivis par un Service d’Education Spécialisée et de Soins à Domicile (SESSAD) a progressé de plus de 15%. Ces chiffres reflètent une évolution de l’accompagnement des personnes en situation de handicap vers une plus grande inclusion. Cette évolution a, de fait, des conséquences majeures dans la pratique des travailleurs sociaux. En effet, alors que derrière les murs, la pratique éducative pouvait se vivre à l’abri des regards et en vase clos, la dynamique inclusive, impulsée par loi « pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » du 11 février 2005, a donc amené les travailleurs sociaux à « extérioriser » leur pratique, exerçant alors sous les regards de partenaires, mais aussi et surtout celui des familles.

Au-delà, les « nouvelles problématiques sociales » citées par Gisèle Dambuyant-Wargny, ont notamment eu comme effet de voir apparaître de nouveaux métiers. Les professions d’assistante de service social d’éducateur spécialisé et de moniteur-éducateur sont parfois appelés les « métiers canoniques » : l’expression est un peu dure, mais elle situe bien

24 Dambuyant-Wargny, G. (2018). Du travail social à l’intervention sociale: Quand le sens fondamental de la prise en charge du corps vulnérable affirme les complémentarités professionnelles et éloigne du corporatisme. Empan, 109(1), 18-26. doi:10.3917/empa.109.0018.

72 dans le temps leur antériorité (début du siècle pour les assistantes de service social, fin des années 50 pour les éducateurs spécialisés, fin des années 60 pour les moniteurs-éducateurs). Ils ont été pendant un certain temps les principales –les animateurs socioculturelles voient également le jour dans les années 60- professions dans le champ du travail social. Sont ensuite apparus, pour répondre à une mutation du secteur de l’intervention sociale, d’autres professions. Citons à titre d’illustration ceux de conseillers en insertion d’agents de développement local dans le secteur social, ou encore ceux d’accompagnant éducatif et social et de socio-esthéticien dans le secteur médico-social.

Il apparaît donc clairement que « les politiques d’action sociale, en créant de nouveaux moyens de lutte contre l’exclusion, contre la précarité et les situations de ruptures, impulsent également une réflexion sur les pratiques d’accompagnement ainsi que des formations répondant aux réalités du travail social »26.

C’est dans ce contexte qu’il nous faut appréhender le résultat de l’analyse des données recueillies lors des entretiens. Comme nous venons de le voir, ces pratiques nouvelles et variées d’accompagnement sont venues enrichir des pratiques existantes. Par conséquent, si l’idée d’accompagnement reste logiquement la plus prégnante dans le secteur social, c’est la forme, ou les formes, que prend cet accompagnement qui a changé. La difficulté des cadres interrogés à décrire plus précisément les pratiques des travailleurs sociaux nous conduit à avancer l’hypothèse selon laquelle elle est peut-être liée à une difficulté d’accès au réel de l’activité, tel que nous l’avons vu plus haut, de ces professionnels en termes d’accompagnement.

La question se pose alors de l’accompagnement de la professionnalité par les cadres, puisqu’en tant qu’: « adjoint de l'équipe de direction ou responsable d’unité, il assure l’encadrement d’une équipe et des actions directement engagées auprès des usagers»27. Nous voyons bien ici la difficulté à laquelle ils sont confrontés : directement au contact non pas des usagers, mais des actions menées auprès de ces usagers, ils doivent les encadrer alors que, nous venons de le voir, ils ne peuvent de fait en avoir qu’une vision que très parcellaire. Le lien avec la démarche de professionnalisation telle qu’explicitée plus haut est fort. En effet, comment ces cadres peuvent-ils accompagner et soutenir les travailleurs sociaux dans un

26 Tourrolier, C. (2009). Les nouveaux métiers du travail social. Nîmes, France: Champ social. doi:10.3917/chaso.tourr.2009.01.

73 mouvement de professionnalisation sans identification de leur activité et d’évolution de leur activité ?

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