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Au cours de cette thèse, nous avons manipulé l’activité cérébrale chez l’Homme à l’aide de la SMT afin d’étudier les processus de modulation visuelle, et en particulier la possibilité d’améliorer la perception visuelle.

L’utilisation de courants électriques pour interagir avec le corps humain n’est pas nouvelle. Certains médecins de l’Empire Romain utilisaient le poisson torpille, animal de fond ayant la capacité de produire de l’électricité, appliqué sur la tête ou le pied pour soigner respectivement les migraines ou la goutte. Cependant, la connaissance des lois de l’électromagnétisme et la maitrise du courant électrique n’étant apparue qu’au XVIIIe siècle, le fonctionnement de ce poisson ainsi que l’idée de ce traitement par décharge devait s’avérer bien éloignés de notre conception moderne de l’électromagnétisme. Galvani et Volta ont montré pendant les années 1790 que l’on pouvait stimuler les nerfs ou les muscles grâce à des courants éléctriques. Ces découvertes sont les prémices de l’ensemble des techniques électromagnétiques qui permettent aujourd’hui de moduler l’activité cérébrale. En alternative au courant électrique direct, qui peut être douloureux et limité par la haute résistance électrique du crâne, l’idée basée sur la découverte récente de l’induction magnétique d’utiliser les courants électriques induit par

un champ magnétique a vu le jour à la fin du XIXe siècle (Wagner et al. 2007). Arsonval rapporta

voir des phosphènes en plaçant sa tête entre deux bobines alimentées par un courant alternatif. Il

s’avéra plus tard que les phosphènes étaient dus à la stimulation directe de la rétine (Rossini et

al. 1994). D’autres scientifiques tentèrent l’expérience de stimuler le cerveau par des champs magnétiques (Figure 4.2).

FIGURE 4.2:SYLVANUS P.THOMPSON (A GAUCHE) ET MAGNUSSON OU STEVENS (A DROITE) EN TRAIN DE TESTER UN STIMULATEUR MAGNETIQUE AU DEBUT DU XXE

SIECLE.

Adaptée de Walsh & Pascual Leone. 2003.

Il fallut attendre 1985 pour que l’équipe dirigé par Anthony Barker à Sheffield réussisse à développer la technologie nécessaire pour faire traverser le crâne par un champ magnétique assez bref et intense, permettant d’induire de façon indolore un champ électrique à l’intérieur du cerveau capable de dépolariser les neurones, marquant ainsi le début de la Stimulation

physique où une différence de potentiel électrique est créée dans un conducteur électrique soumis à un champ magnétique variable. En neurostimulation, un courant bref et intense (entre 4 et 8 kA déchargé pendant 100 à 200 microsecondes) circule dans une bobine et crée un champ magnétique. Si l’on cible une région particulière du cerveau avec ce champ magnétique, celui-ci traverse le crâne et les méninges pour atteindre le cortex. Le champ magnétique variable induit un champ électrique, dont l’intensité dépend de la variation dans le temps du champ magnétique, qui provoque la dépolarisation des neurones.

Cette technique permet d’agir directement sur l’activité de certaines régions cérébrales et d’établir des relations causales entre des régions anatomiques et leur rôle fonctionnel. La première démonstration de cette technique par Barker et al. en 1985 a consisté à stimuler les aires motrices d’un participant et à observer le mouvement consécutif des muscles correspondant

à la région stimulée (Barker et al. 1985). La preuve était faite qu’il est possible d’activer grâce à

un champ magnétique une région corticale particulière. Quatre ans plus tard, Amassian et al. utilisent la stimulation magnétique au niveau du cortex visuel primaire et montrent une suppression de la perception visuelle lorsque l’impulsion est appliquée entre 80 et 100 ms après

l’apparition d’une cible visuelle (Amassian et al. 1989). Cette première façon d’utiliser la SMT est

dite à impulsion unique. Elle permet de stimuler une région du cortex afin de dépolariser les neurones et d’induire un effet comportemental. Sur des régions primaires comme les aires motrices ou les aires visuelles, l’activation de la région par stimulation est directement perceptible grâce au mouvement induit des muscles ou l’apparition de phosphènes. Appliqués au niveau d’aires associatives, le résultat comportemental est moins directe et sera mesuré lors de tâches psychophysiques. L’effet de la stimulation sera comparé à une condition sans stimulation réelle. Ainsi, remarquer des différences comportementales entre la condition avec et la condition sans stimulation permet d’inférer une relation causale entre la modulation comportementale

obtenue et le rôle de la région stimulée (Valero-Cabre et al. 2011). Le rayon d’action de la SMT à

été estimé dans des études de marquage d’activité par 2-Deoxyglucose chez l’animal entre 10 et

15 mm2(Valero-Cabré et al. 2005, 2007). Cependant, la modélisation du champ magnétique sur la

surface corticale suggère qu’au-delà de la petite aire corticale qui se trouve au niveau du pic du

champ magnétique, des régions sur une surface de 1 à 2 cm2 peuvent être affectée (Wagner et al.

2009). La résolution temporelle est de l’ordre de la milliseconde, ce qui permet une excellente précision pour l’étude de la dynamique temporelle des fonctions cognitives. La latence des enregistrements par l’espace péridural de l’activité des neurones dans la moelle épinière après stimulation du cortex moteur a suggéré que les neurones les plus sensibles à la SMT étaient les interneurones qui, après une connexion synaptique, permettaient l’activation des neurones moteurs cortico-spinaux (Di Lazzaro et al. 2012).

Au-delà de l’utilisation de la SMT par impulsion unique, il est également possible d’utiliser la SMT de façon répétée, c’est-à-dire pendant un temps plus long sans interruption, pour induire un changement relativement durable de l’excitabilité de la région. Les effets de ce type de stimulation, selon les paramètres de stimulation et notamment le temps de stimulation, la fréquence et l’organisation des rafales d’impulsions dans le temps, peuvent induire des effets excitateurs ou inhibiteurs de la région ciblée et de son réseau associé qui peuvent durer plusieurs minutes après la stimulation. Il est donc possible de provoquer un changement dans le temps de l’activité cérébrale. La SMT répétitive est utilisée dans certaines pathologies comme la dépression

sévère ou la schizophrénie (Wagner et al. 2007). Nous n’avons pas utilisé cette dernière méthode

de stimulation dans ce travail de thèse. Appliquée chez le chat, elle a permis d’observer des modulations de la consommation de glucose dans la région stimulée mais également dans des régions distantes connectées de façon anatomique à la région cible (Valero-Cabré et al. 2005).

Cette technique est utilisée dans un nombre croissant de laboratoire de neurosciences cognitives et de services hospitalier depuis bientôt 30 ans. Il existe plusieurs limites à l’utilisation de la SMT et il est important de suivre les recommandations d’utilisation pour éviter les effets

indésirables (Rossi et al. 2009). Une contre-indication absolue est la présence de métal à

proximité de la bobine (pacemaker ou implant cochléaire par exemple) et il existe également un risque épileptogène chez les personnes sensibles. Au niveau des expériences en laboratoire, la SMT fait du bruit et donne une légère sensation de tapotement sur le crâne. Elle peut donc avoir des effets non spécifiques de l’aire stimulée. Des conditions contrôles doivent donc reproduire au mieux le bruit et la sensation de tapotement.

Nous avons vu précédemment que l’activité oscillatoire du cerveau joue sans doute un rôle important dans nos fonctions cognitives. Récemment, l’idée d’utiliser des patterns rythmiques de SMT pour entrainer ou moduler cette activité oscillatoire a émergé. Romei et al. ont ainsi stimulé les cortex pariétaux et occipitaux à une fréquence de 10 Hz avec l’idée d’augmenter l’activité des régions postérieures du cerveau dans cette bande de fréquence. Les modulations comportementales observées sont parfaitement cohérentes avec les corrélations observées dans d’autres études entre l’activité alpha et les performances visuelles. La détection visuelle est améliorée dans l’hémichamp ipsilatéral à la stimulation et détériorée dans l’hémichamp

controlatéral (Romei et al. 2010). Cette méthode de stimulation est appelée SMT rythmique est

permet donc de moduler l’activité oscillatoire cérébrale. Cet entrainement d’oscillation a été démontré lors d’une expérience de SMT et d’EEG combinées. Des courtes rafales d’impulsions magnétiques à une fréquence spécifique provoquent un entrainement des oscillations naturelles

de la région corticale stimulée (Thut et al. 2011). Cette façon récente d’utiliser la SMT dans le but

de moduler et d’interférer avec les rythmes cérébraux a été utilisée lors de ce travail de thèse

(Chapitres 6 et 8).

Les effets de la SMT ont longtemps été considérés comme focaux, agissant simplement sur la région stimulée, et moins comme impactant un réseau dont la région stimulée est une porte d’entrée. Chez le chat, il a été montré que la taille des effets métaboliques à distance de la région stimulée dépendait de la force des connexions anatomiques observées à l’aide d’un traceur neuronal (Valero-Cabré et al. 2005). Des expériences utilisant deux sondes de SMT ont montré qu’une première impulsion sur une région du cortex pouvait influencer l’excitabilité corticale d’une deuxième région. Par exemple, au repos, une première impulsion sur les régions pré-motrices ventrales va inhiber le potentiel moteur évoqué par une deuxième impulsion sur la

région motrice primaire (Davare et al. 2008). Cependant, peu d’études chez l’Homme se sont

intéressées au rôle de la substance blanche dans la propagation du signal neuronale induit par la stimulation et toutes proviennent de l’équipe de Matthew Rushworth à Oxford. L’équipe d’Oxford a observé que l’anisotropie fractionnelle, un marqueur de la densité et du diamètre axonal, corrélait dans certains faisceaux avec la modulation que la première impulsion crée sur l’effet comportemental de la deuxième (Boorman et al. 2007; Buch et al. 2010; Neubert et al. 2010). Autrement dit, l’influence d’une région cérébrale sur une autre dépend des faisceaux anatomiques qui les relient et ces différences dans la substance blanche sont mesurables par imagerie de diffusion.

4.3.L’IMAGERIE PAR RESONNANCE MAGNETIQUE DE DIFFUSION