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L’évolution de la ville d’Alger

Chapitre I : Croissance et hiérarchies urbaines dans les pays du Maghreb

1. Alger durant la période précoloniale

1.2. L’évolution de la ville d’Alger

Les frères Barberousse entrent à Alger en conquérants libérateurs, ils vont s’y installer à long terme et confier les postes de responsabilité militaires et administratifs aux seuls turcs et à leurs alliés du moment; tout en puisant dans la caisse de l’État algérien à leur guise.

Aroudj, le frère ainé, après avoir écarté ses adversaires et notamment après l’assassinat du Sultan d’Alger « Salim El Toumi » (élu par les notables d’Alger) est proclamé Sultan d’Alger. Les forces d’Aroudj, mal armées ne pouvaient venir à bout de la forteresse espagnole du Penon ; elles font appel à Salim, le Sultan de l’empire Ottoman qui accepte la demande, les espagnols quittent le Penon en 1529.

Rapidement, une nouvelle organisation est née, les nouveaux maitres des lieux choisissent leurs vassaux parmi leurs soldats et même parmi les « Renégats » chrétiens, recrutés hors du pays, écartant ainsi des autochtones de la conduite des affaires(1). Les turcs vont faire d’Alger une forteresse et une puissance maritime qui va contribuer à son tour à rehausser la grandeur de l’empire Ottoman. À titre illustratif de la force de la marine d’Alger, les historiens évaluent à 70 000 personnes le nombre de musulmans andalousiens ramenés d’Espagne au

cours de 7 voyages. Les andalousiens ont été transportés à Alger par 36 bateaux, beaucoup resteront à Alger, auquel ils apporteront leur savoir être et savoir-faire.

Le gouvernement de la ville d’Alger, à l’époque, relevait d’une structure centralisée avec un système qui va évoluer en trois étapes :

La 1ère étape, incarnée par les Beylerbeys, titre attribué initialement à Kheireddine, les Beylerbeys sont désignés par le Sultan Ottoman, ce sont de véritables rois d’Alger ; les Beylerbeys se sont enrichis par la gains de la course, ils érigèrent un État en Algérie et prélèveront surtout les impôts.

La 2ème étape qui verra les Beylerbeys remplacés par les Aghas de la milice, commence au milieu du 17ème siècle quand la richesse d’Alger a atteint son apogée ; Alger devient une ville riche, sa force navale est importante, elle est redoutée par les riverains de la Méditerranée. C’est l’âge d’or de la course et de la piraterie, la Régence d’Alger, devient autonome, elle se libère de la porte sublime, sa population atteint 100 000 à 150 000 personnes).

La période des Aghas va être brève, c’est l’avènement des Deys élus qui perpétuera les pouvoirs de la Régence d’Alger, qui devient indépendante et qui s’organise autour de Dar Soltane, incarné et dirigé par le Dey à Alger, le reste du pays est divisé en trois provinces : Constantine, Titteri (Medea) et Oranie (Mascara puis Oran).

L’État d’Alger est né et est organisé sur une base militaire, il va durer plus d’un siècle et demi (159 ans). Dans ce cadre, Icheboudene (1979) souligne la force du pouvoir central du Dey et les pouvoirs limités des gouverneurs des régions et des Watans (subdivisions de Beyliks) et des Caïdats (subdivisions des Watans).

Les gouverneurs locaux ne devraient pas s’occuper des affaires internes des tribus pour éviter les troubles.La ville d’Alger a subi de légères modifications par la réalisation du molle du port, son renforcement, la consolidation de la muraille, la réalisation d’une citadelle, elle dispose désormais de canons pour sa protection et de navires pour fructifier la course. Pour les besoins des nouveaux maitres des lieux, des palais, des casernes, et des constructions administratives ont été érigés pour répondre aux besoins de la caste qui réside à Alger. Ville musulmane par excellence, les actes quotidiens sont dictés et/ou puisés de la religion comme le Djihad (guerre sainte). Sur le plan administratif, elle avait son ministre des finances ou du

trésor (Khaznadji) et le responsable de police de la ville (Cheikh El Bled)(1) chargé de la surveillance de l’industrie et des constructions urbaines et du maintien de l’ordre, mission relevant aussi des tribunaux et des Cadis (juges).

1.2.2. Évolution de la population d’Alger

Selon Dylton, il est difficile d’estimer les populations dans les villes des pays de l’islam médiéval, étant donné l’inexistence de statistiques sur les populations urbaines. Les hypothèses de l’estimation sont parfois basées sur l’analyse des espaces physiques de la ville. Il faut attendre la deuxième moitié du 16ème siècle pour trouver une première estimation faite par Hassan Ibn Mohammed Al- Wazzan Al-Zayat, selon lequel la ville d’Alger disposait de 4 000 feux(2). Selon Cresti, la population d’Alger s’accroit jusqu’au début du 17ème siècle, puis elle décroit à partir de la moitié du 18ème siècle.

Durant le 18ème siècle, la ville compte jusqu’à 100 000 habitants. Le nombre d’esclaves est estimé à 40 000 et celui de la population juive à 15 000 entre 1725 et 1738. La ville d’Alger connait une certaine prospérité durant le quart de siècle ayant précédé l’invasion coloniale française. Les équipements les plus importants recensés à cette époque : un hôpital, les bâtiments publics, le développement de la vie religieuse. D’autres signes urbains sont visibles, les Hammams et bains publics ; De Haidos signale 50 ou 60 bains qui servent également de dortoirs la nuit pour les étrangers à la ville.

L’économie reposait sur trois principales sources, d’abord, l’échange des produits des activités agricoles, Alger constituait le lieu d’échange par excellence ; ensuite, les prélèvements des impôts et taxes sur tout le royaume destiné au Dey pour l’entretien de l’armée, de l’administration et autres frais ; enfin, la course et les actions de piratage. La croissance de la ville devenue capitale, est due à la croissance rapide de la population et

(1) Icheboudene, Larbi., Op Cit, p.42

« Alger était administrée sous l’autorité du Khaznadji (trésorier, Ministre des finances) et par des préposés aux fonctions techniques ou sectorielles selon les nécessités du fonctionnement de l’organisme urbain, il y avait à Alger un Cheikh El Bled, désigné par le pouvoir central, qui était chargé des tâches de police, de la surveillance des corporations industrielles et…les réparations des maisons et autres attributions urbaines… ».

(2) Chez Jean Leon L’Africain, la description de l’Afrique dont la rédaction fut terminée en 1526 parut pour la première fois à Venise en 1550 dans le recueil des « Navigation Et Voyage De Ramusion Sur Alger XXVI et XXIX »

l’arrivée massive de refoulés d’Andalousie(1), au moins à trois dates connues, 1492, 1566 et 1609 et aussi de l’installation d’une armée ottomane qui comptait 6 000 janissaires envoyés d’Istanbul.

La population est un brassage turc, européen, autochtone et revenant d’Andalousie. Le système ottoman et son influence sur Alger, a été indéniable, il se caractérise par deux traits distincts : au niveau central à Alger, tout est basé sur le prélèvement de l’impôt et la consolidation de la course, l’État national central d’Alger n’a pas une politique nationale pour les autochtones. Au niveau local, il se caractérise par une forte décentralisation, les gouverneurs et Caïds locaux deviennent des potentats avec les pleins pouvoirs.

Sur le plan économique, le Gouverneur et les Caïds délèguent leurs pouvoirs aux notables locaux qui abusent de leurs nouveaux pouvoirs, ce qui contribue à entrainer le monde rural dans une grande pauvreté. Le système de propriété est resté précaire, la propriété foncière est restée indivise et le travail de la terre était basé sur le fermage et sous affermage, qui change de maitres au gré du changement des gouverneurs.

Tous les chefs qui se sont succédés à Alger (Beylerbeys, Aghas, Dey) sont issus du corps des janissaires et aucun n’était d’origine autochtone, ils peuvent être originaires d’Albanie, de Bosnie, de Venise, de Caucase, de Crête mais jamais d’Algérie.

Conclusion de la période précoloniale

La venue des turcs à Alger a été décisive, car cette petite ville musulmane a été libérée des prétentions espagnoles et érigée en capitale de la Régence. Cette capitale va constituer un bastion avancé de la puissance militaire ottomane en Méditerranée occidentale face surtout aux empires espagnole et français.

L’ancienne bourgade d’Alger va connaitre une autre dimension durant cette époque grâce à la création d’un port sur un site favorable avec des caractéristiques qui font de ce port l’un des principaux en Méditerranée. La ville d’Alger avait sa propre industrie et son artisanat, les chantiers navals constituaient une entreprise importante. Les produits agricoles, et surtout les

(1) Chergui, Samia, les morisques et les efforts de construction d’Alger au 17 et 18ème siècle , cahier de la Méditerranée, N°79, 2009.

céréales, étaient exportés par les turcs eux-mêmes ou leurs représentants, qui étaient les seuls à entretenir des rapports avec les pays étrangers.

Sous la Régence, les turcs avaient instauré une sorte de régime « pré Apartheid » avec une hiérarchisation de la société : au sommet se hissaient les turcs et janissaires puis les Koulouglis (issus de mariages mixtes, janissaires-femmes autochtones), ensuite viennent les chrétiens puis les juifs et enfin en bas de l’échelle les autochtones de souche, c’est dire que les turcs avaient peur que les berbéro-arabes ne prennent le pouvoir. En général, les algériens de souche étaient exclus de toute responsabilité et ne prenaient aucune décision, les querelles tribales étaient laissées à l’arbitrage des représentants locaux, de ce fait, la société a peu évolué.

La ville d’Alger comptait surtout sur la rente que procure la course, de ce fait, elle tournait son dos à l’intérieur du pays, c’est une politique sciemment entretenue par la Régence.

Alger, devenant puissante par sa marine et nocive par l’activité de la course, constituait de ce fait la cible à détruire pour les puissances européennes et un territoire à occuper ; la ville va subir une vingtaine d’attaques : anglaises, françaises, espagnoles, danoises, et même américaines.

Les européens ont progressé sur le plan maritime par rapport à Alger, ce qui explique le déclin de la course qui entraine le déclin de la ville d’Alger.