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La Phase de standardisation, dont nous situons le début en 2008, a été marquée par la multiplication de recherches en éducation musicale scolaire, portant sur des objets divers et utilisant des approches variées. Un pôle du triangle péda- gogique va toutefois capter majoritairement l’attention, celui des enseignants. Ainsi, les JFREM organisées en 2010 à Genève s’intitulent La formation des en-

seignant·e·s de musique: dynamiques de recherche, analyses de pratiques, alors

que celles qui se déroulent à Tunis en 2015 ont pour thème Musicien-professeur

de musique: quels métiers? quelles formations? quels enjeux? D’autres colloques

sont aussi organisés sur cette même thématique, réunissant des chercheurs de dif- férents pays francophones et donnant lieu à des publications ciblées (Joliat, 2011; Joliat, Güsewell, Terrien, 2017). Certes, les enseignants n’avaient pas été totale- ment absents des recherches précédentes mais les chercheurs vont maintenant les prendre véritablement comme objets de recherche, en s’intéressant notamment à la variance qui peut exister au sein de cette population tout comme, auparavant, avait été investiguée la variance parmi les apprenants et celle qui peut se manifes- ter au niveau des savoirs.

Pour illustrer le rôle qu’a pu jouer la recherche en éducation musicale sco- laire durant cette période, nous avons choisi la recherche de Joliat, Terrien et Güsewell, intitulée Les attentes de formation des futurs enseignants de musique (2017).

Les données de cette recherche ont été récoltées de 2012 à 2014, via des entre- tiens d’étudiants engagés dans des formations à l’enseignement au sein de dif- férentes institutions en Suisse romande et en France. Les auteurs, eux-mêmes actifs dans les institutions en question, ont distingué trois groupes d’étudiants selon que leurs formations les préparaient à l’enseignement musical dans les pre- miers degrés primaires de la scolarité obligatoire, à l’enseignement musical dans les grands degrés primaires et au secondaire et, enfin, à l’enseignement instru- mental et vocal en écoles de musique. Et, par une analyse à la fois quantitative et qualitative des verbatim issus des entretiens, ils ont regardé à quelle·s catégo- rie·s leurs sujets pouvaient être rattachés. Les catégories en question avaient été préétablies sur la base d’une démarche théorique qui empruntait ses concepts es- sentiellement à la sociologie des professions et qui synthétisait divers travaux de collègues ayant déjà, de par le monde, établi des typologies des identités profes- sionnelles chez les enseignants de musique. Ces catégories étaient: l’enseignant artiste, l’enseignant expert, l’enseignant professionnel et l’enseignant éducateur. Les auteurs ont abordé deux thèmes durant leurs entretiens avec les étudiants. Ils les ont d’abord interrogés sur leurs représentations de l’enseignant de musique idéal: quel est-il? quels doivent être ses points de référence mais aussi ses com-

pétences? Ils les ont ensuite questionnés sur leurs attentes de formation: quels éléments leur cursus de formation devrait-il leur apporter afin que leur ensei- gnement auprès des élèves soit un succès? Rapporté à notre modèle, le premier thème trouve place clairement dans le chaînon des ressources (pôle enseignant, évidemment). On pourrait situer le deuxième thème simplement au même ni- veau, mais il comporte en fait une dimension supplémentaire. Les auteurs consi- dèrent en effet ces attentes de formation comme de véritables objectifs visés par les étudiants, venant ainsi mettre en lumière le pôle enseignant de ce chaînon-là alors que, précédemment, les objectifs se déclinaient avant tout en termes d’ap- prenants et de savoirs. Cela correspond à une nouvelle conception qui veut que, pour assurer son succès, l’éducation musicale doit prendre en compte les ensei- gnants à tous les niveaux: leurs propres objectifs, leurs compétences en tant que ressources, leurs conduites pédagogiques et didactiques au niveau des actions, les effets que cela va engendrer sur leurs personnes et, finalement, la contribution de tout cela en tant qu’impact sociétal.13

Venons-en maintenant à notre seconde ligne directrice (cf. section 2.2) pour dis- cuter du rôle de la recherche dans l’élaboration de l’action publique «éduca- tion musicale scolaire». Il semble évident que les trois auteurs de ce travail de recherche l’ont développé en lien avec les démarches de formation auxquelles ils participent dans leurs institutions respectives. Ils souhaitent que la recherche vienne apporter des éléments qui permettront d’améliorer la formation des étu- diants, futurs enseignants de musique. Ils vont même plus loin en direction de la proactivité. Ils comptent en effet que leur travail aura une influence directe sur les cursus de formation des enseignants et, partant, sur la qualité de l’enseigne- ment musical. Pour ce faire, ils adressent des conseils appuyés aux institutions de formation. Ils affirment ainsi que:

«[…] les institutions tertiaires/universitaires de formation à l’enseignement musi- cal devront mieux prendre en compte le projet identitaire poursuivi par leurs étu- diants en fonction de leur choix d’activité professionnelle visée, si elles veulent que leurs programmes de formations aient une plus grande influence sur leur dé- veloppe ment professionnel pendant leur formation.» (Joliat, Terrien, Güsewell, 2017, pp. 108–109)

13 Ces derniers thèmes sont d’ailleurs d’actualité à propos des enseignants en général. Que l’on pense par exemple aux études sur leur satisfaction professionnelle et sur leur statut social. Cela nous amène également à envisager que, dorénavant, la formation des enseignants peut être considérée aussi comme une chaîne d’action publique en tant que telle, dans laquelle on va pouvoir distinguer les mêmes segments que sont le besoin, les objectifs, les ressources, les actions, les effets et l’impact. Reste à déterminer s’il faut voir cette chaîne comme adjacente – ou concomitante – à l’éducation musicale scolaire?

S’appuyant sur certains résultats de leur recherche, ils proposent d’ailleurs que plusieurs filières réajustent leurs curricula ou, pour le moins, thématisent la question des attentes de formation lors des entretiens d’admission. Enfin, ils an- noncent qu’ils vont consacrer une prochaine recherche à l’analyse comparée des programmes de formation pour essayer de déterminer si les institutions «[pos- sèdent] le potentiel pour répondre de manière efficiente aux attentes de pro- fessionnalité de leurs étudiants, voire, de les devancer» (p. 109), un projet qui constitue un pas de plus en direction d’une proactivité assumée de la recherche. Comme indiqué précédemment, cette étude sur les futurs enseignants de mu- sique a réuni des chercheurs à l’international, un signe que la recherche en édu- cation musicale en Suisse francophone ne se déroule désormais plus en vase clos. Par ailleurs, le fait qu’elle portait sur l’éducation musicale à la fois scolaire et spé- cialisée est le signe d’un autre décloisonnement, sur lequel nous aurons l’occa- sion de revenir (cf. section 6).

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