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L’éviction de l’état de liberté naturelle de la définition de l’animal sauvage – Si le

COMPOSANTE TRADITIONNELLE DU DROIT SANITAIRE

Chapitre 1. La nature de l’animal, source de la protection de sa santé

63. L’éviction de l’état de liberté naturelle de la définition de l’animal sauvage – Si le

rôle de l’homme – ou plus justement son absence d’intervention par sélection – est présent dans la définition de l’espèce non domestique, l’état de liberté dans lequel l’animal sauvage est supposé vivre ne figure pas à l’article R. 644-3 précité. Cette définition de l’espèce animale non domestique subit l’inconvénient de ne pas pouvoir être assimilée à la notion d’animal sauvage. En effet, elle ne reprend que partiellement la signification courante de l’adjectif « sauvage ». Comme l’exprime très clairement Sonia Desmoulin, « le droit ne se soucia guère du sens que l’opposition entre domestique et sauvage pouvait avoir dans d’autres disciplines et notamment au sein des sciences de la nature »314. Ainsi, l’animal sauvage est, en son sens vulgaire, celui « qui vit en liberté dans la nature, à l’écart des influences humaines »315. Les scientifiques également définissent les animaux sauvages comme étant ceux « appartenant à des espèces vivant à l’état de liberté dans la nature, indépendamment de l’homme, seulement soumis aux aléas des équilibres biologiques, aux impératifs de leur programme génétique et aux possibilités de l’exprimer offertes par le biotope où ils vivent »316. En résulte une conséquence majeure : l’animal est considéré comme non domestique par le droit, qu’il soit détenu ou non par l’homme tandis que, dans d’autres disciplines, l’animal sauvage est celui qui est non domestique et qui ne vit pas sous la contrainte humaine. Ainsi, l’animal domestique vivant à l’état de liberté naturelle ne sera pas considéré comme un animal sauvage par le droit. En revanche, il sera susceptible de revêtir diverses qualifications, telle que celle d’animal errant ou abandonné. Cette incohérence a été soulignée par Lucille Boisseau-Sowinski lorsqu’elle propose une redéfinition des catégories juridiques ayant trait à l’animal en intégrant « tous les animaux vivant à l’état sauvage » dans la catégorie des animaux sauvages317. Ainsi, l’homme peut s’approprier un animal sauvage sans que ce dernier devienne un animal domestique, dès lors que son patrimoine génétique n’a pas subi de modification à la suite d’une intervention humaine. La domesticité est donc indépendante du caractère appropriable de l’animal et de l’environnement dans lequel il vit. Il convient de noter que l’homme peut

314 S. DESMOULIN, L’animal entre science et droit, op. cit., T. 2, p. 492, pt 697. 315 http://www.cnrtl.fr/definition/sauvage (le 26/01/2016 à 23h45).

316 J.-C. NOUËT, « Chapitre 5. L’animal sauvage au regard du droit et de l’éthique en France », Journal International de

Bioéthique, 2013, Vol. 24, pp. 65-76, spé. p. 65.

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s’approprier n’importe quel animal318, qu’il soit domestique ou non, dans la limite des droits des tiers et de la préservation d’intérêts collectifs ou publics, c’est-à-dire la sécurité, la salubrité publique ainsi que la protection de la biodiversité. La notion d’animal sauvage, plus restrictive que celle d’animal non domestique, s’intègre totalement dans la catégorie des res

nullius, choses sans maître319. Le concept d’animal sauvage ne se confond donc que partiellement avec celle d’espèce animale non domestique puisque seuls les animaux non domestiques vivant à l’état de liberté naturelle sont des animaux sauvages320.

64. L’animal sauvage n’est pas le bénéficiaire d’une interdiction de ne pas le soigner – En reconnaissant la sensibilité de « tout animal », le Code rural321 ne distingue ni selon l’état de domesticité ni selon l’état de liberté naturelle. En revanche, en restreignant la portée de cette obligation uniquement au propriétaire de l’animal, les textes d’application ne pouvaient viser que les animaux sauvages apprivoisés ou tenus en captivité322. Cette position révèle une incohérence évidente consistant à reconnaître le caractère d’être doué de sensibilité aux seuls animaux domestiques et aux animaux sauvages qui vivent sous la contrainte humaine323. Il en résulte qu’il n’existe aucune obligation de protéger la sensibilité des animaux vivant à l’état de liberté naturelle. En outre, l’animal sauvage vivant à l’état de liberté naturelle – et cela paraît cohérent – n’est pas le destinataire d’une obligation de soins. De même, les dispositions du Code pénal relatives aux infractions de mauvais traitement324 ou d’actes de cruauté325 ne s’appliquent qu’aux animaux sauvages apprivoisés ou tenus en captivité. Par conséquent, les animaux sauvages peuvent être maltraités et chassés cruellement sans qu’aucune disposition ne puisse permettre de sanctionner un tel comportement326. La protection de l’animal ne saurait dépasser l’existence d’une contrainte humaine. L’expansion du droit international327 de l’environnement pallie l’absence de protection de l’animal sauvage

318 CRPM, art. L. 214-2.

319 J.-P. MARGUÉNAUD, L’animal en droit privé, op. cit., p. 117.

320 Contrairement à la position soutenue par Claire Vial : C. VIAL, « Au soutien de la protection de l’animal, le classement de l’animal transcatégoriel », op. cit., p. 21.

321 CRPM, art. L. 214-1.

322 L’animal tenu en captivité est celui qui, « vivant à l’état sauvage, est retenu par l’Homme sous la contrainte », tandis que l’animal apprivoisé est celui qui, « quoique ne faisant pas partie des animaux domestiques, vivent soumis par l’Homme dans son entourage » : S. DESMOULIN, L’animal entre science et droit, op. cit., T. 2, p. 496.

323 S. ANTOINE, « L’animal et le droit des biens », op. cit., pp. 2651 s. 324 CP, art. R. 654-1.

325 CP, art. 521-1.

V. les propositions de reconnaissance de la sensibilité de l’animal sauvage : P.-J. DELAGE, La condition animale… op.

cit., p. 349, § 135.

326 Sur l’absence d’aboutissement de la qualification d’animal sauvage au regard de la cohérence du droit : Ibid., p. 635.

327 Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction, Washington, 3 mars 1973 ; Loi n° 77-1423 du 27 déc. 1977 autorisant l’approbation de la Convention sur le

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vivant à l’état de liberté lorsqu’il est répertorié en tant qu’espèce protégée328. L’élaboration par strates de la législation relative à l’animal a fait obstacle à une approche d’ensemble et cohérente ayant pour objet la protection de l’animal. En dépit de la distinction entre l’animal approprié, l’animal apprivoisé ou l’animal détenu en captivité, il est un professionnel qui dispose d’un monopole pour apporter des soins à tous les animaux.

B. Une modalité particulière : le monopole de la délivrance de soins aux animaux 65. La difficile émergence du monopole vétérinaire – Depuis l’Antiquité, des actes de

soins étaient réalisés pour préserver la santé des animaux. Les connaissances étaient fondées sur un savoir empirique et ce n’est qu’à compter du XVIIIe siècle que s’est organisée la formation à la médecine vétérinaire et qu’a émergé une véritable science vétérinaire. Bien que la première école vétérinaire fut créée en 1762329, et qu’elle délivrait le titre de vétérinaire, les vétérinaires ne disposaient pas du monopole dans la réalisation d’actes de soins sur les animaux, alors que le monopole des médecins a été créé par la loi du 10 mars 1803330. Auparavant accomplis par divers professionnels331, les actes de soin sur les animaux font aujourd’hui332 l’objet d’un monopole au profit des vétérinaires, soumis à un code de déontologie333. L’exercice illégal de la médecine vétérinaire est un délit puni de deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 30 000 euros334. En principe, le vétérinaire est seul compétent pour accomplir des actes de médecine et de chirurgie des animaux. L’acte de médecine est défini comme étant « tout acte ayant pour objet de déterminer l’état physiologique d’un animal ou d’un groupe d’animaux ou son état de santé, de diagnostiquer une maladie, y compris comportementale, une blessure, une douleur, une malformation, de les prévenir ou de les traiter, de prescrire des médicaments ou de les administrer par voie

commerce international des espèces de faune et de flore sauvage menacées d’extinction, ensemble 4 annexes, ouverte à la signature à Washington jusqu’au 30 avril 1973, et après cette date à Berne jusqu’au 31 déc. 1974, JORF, 28 déc. 1977, p. 6196.

328 L. BOISSEAU-SOWINSKI, La désappropriation de l’animal, op. cit., p. 284, pt 458.

329 R. HUBSCHER, « L’invention d’une profession : les vétérinaires au XIXe siècle », Revue d’histoire moderne et

contemporaine n° 4, T. 4, oct. déc. 1996, pp. 686-708, spé. p. 688.

330 Ce monopole était partagé avec les officiers de santé, mais l’exercice de la médecine par quiconque ne disposait ni du titre de médecin, ni de celui d’officier de santé était pénalement réprimé : B. HŒRNI, « La loi du 30 novembre 1892 », Histoire des sciences médicales n° 1, T. 32, 1998, pp. 63 s.

331 Le maréchal ferrant, par exemple, prodiguait également des soins aux animaux : R. HUBSCHER, « L’invention d’une profession : les vétérinaires au XIXe siècle », op. cit., p. 687.

332 La loi du 5 novembre 1901 sanctionne pénalement, pour la première fois, l’exercice de la médecine animale par quiconque ne sera pas titulaire d’un diplôme de docteur en médecine vétérinaire : R. HUBSCHER, Les maîtres des

bêtes…, op. cit., p. 55.

333 CRPM, art. R. 242-32 s. 334 CRPM, art. L. 243-4.

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parentérale »335. L’acte de chirurgie correspond à « tout acte affectant l’intégrité physique de l’animal dans un but thérapeutique ou zootechnique »336. Le vétérinaire est, à la fois, le médecin et le chirurgien des animaux. Cependant, l’exercice de l’art vétérinaire porte les stigmates d’une profession qui fut longtemps laissée libre. Ainsi, les propriétaires ou détenteurs professionnels d’animaux dont les chairs sont destinées à la consommation humaine peuvent réaliser eux-mêmes certains actes qui, en principe, relèveraient du monopole du vétérinaire. Ils doivent faire état de leur compétence par l’intermédiaire d’une attestation ou d’un diplôme, ou bien disposer d’une expérience d’au moins un an dans le secteur de l’élevage337. La liste des actes qu’ils sont autorisés à accomplir est fixée par un arrêté du ministre de l’Agriculture du 5 octobre 2011338. Figurent, parmi ces actes, la castration, ou encore le meulage des dents chez les porcs. Le ministre de l’Agriculture, en extrayant la réalisation de ces actes – qui vont à l’encontre de la protection du bien-être animal339 – du monopole vétérinaire consacre la connexité entre bien-être et santé des animaux. La réalisation de ces actes, qui vont à l’encontre de la protection du bien-être animal, reflètent la connexité entre santé et bien-être. De même, les maréchaux-ferrants et des techniciens peuvent procéder à la réalisation de certains actes, dans les limites prévues par la loi340. Le droit de l’Union européenne n’impose pas que le personnel soit nécessairement détenteur d’un diplôme de docteur en médecine vétérinaire pour réaliser des actes de soins auprès des animaux, sauf pour le traitement de certaines maladies animales. Cela permet aux éleveurs de procéder à certains actes, comme l’organise l’arrêté du 5 octobre 2011, ce qui témoigne de la spécificité de la médecine vétérinaire par rapport à la médecine humaine. Le droit n’appréhende pas la santé animale de façon exactement similaire à la santé humaine. En somme, certaines professions peuvent empiéter sur le monopole du vétérinaire, au même titre qu’il peut empiéter sur le monopole du pharmacien.

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