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CHAPITRE 1 REVUE DE LITTÉRATURE

1.3 La gestion de l’incertitude

1.3.3 L’évaluation de l’incertitude en normalisation

Un des points soulevés pour critiquer la normalisation est qu’elle est utilisée « pour détecter des manques et des incohérences, mais de nouvelles incohérences peuvent être introduites par la normalisation elle-même » (Heijungs et al., 2007). Quatre scénarios peuvent être identifiés, pour lesquels les scores normalisés calculés sont trop faibles ou trop élevés : 1) Il manque un flux élémentaire dans le calcul de la référence 2) il manque un flux élémentaire dans l’inventaire de cycle de vie du système de produit 3) il manque un facteur de caractérisation pour une substance 4) Plusieurs de ces manques se produisent en même temps. (Heijungs et al., 2007)

D’une manière plus générale, il est important, lorsque le calcul est réalisé, de savoir où sont les manques et les biais éventuels et quels sont les paramètres problématiques du fait de leur incertitude ou de leur variabilité. La connaissance de l’amplitude de l’incertitude peut s’avérer très importante pour les praticiens de l’ACV, pour raffiner ou nuancer les conclusions d’une étude. Si cette incertitude est très importante, les conclusions peuvent même s’inverser. Jusqu’à présent, les sources d’incertitudes lors du calcul des FN ont souvent été discutées de manière qualitative, mais une quantification n’a pas encore été réalisée. Ainsi, des termes tels que « faible », « modérée » et « considérable » sont parfois utilisés pour évaluer l’incertitude reliée aux émissions ou aux FN (Breedveld et al., 1999; Sleeswijk et al., 2008). Un aperçu des incertitudes les plus fréquemment discutées est donné dans les paragraphes suivants.

Incertitude reliée aux émissions, E : Le manque de données pour le calcul des FN est un problème souvent déploré. Certaines catégories de substances telles que les métaux (Huijbregts et al., 2003a; Lundie et al., 2007; Sleeswijk et al., 2008), les pesticides (Huijbregts et al., 2003a; Lundie et al., 2007; Sleeswijk et al., 2008) , les substances contribuant à la formation de smog (Breedveld et al., 1999; Huijbregts et al., 2003a), à la destruction de la couche d’ozone (Breedveld et al., 1999; Huijbregts et al., 2003a; Sleeswijk et al., 2008) et aux effets respiratoires (e.g. les PM10) (Sleeswijk et al., 2008) et les radiations ionisantes (Huijbregts et al., 2003a; Sleeswijk et al., 2008) sont particulièrement affectées. A titre d’exemple, l’inventaire Australien

reporte les émissions de seulement 13 types de pesticides, alors que le pays en importe ou en fabrique plus de 250 sortes (Lundie et al., 2007). L’inventaire Hollandais fournis des valeurs d’émissions dans l’environnement marin pour seulement cinq métaux (Huijbregts et al., 2003a). Les conséquences que peut entrainer le manque d’une substance dans le calcul du FN sont décrites par Heijungs et collaborateurs (2007). Rappelons que le score normalisé se calcule selon l’équation 1.9.

× × + × × × + × = × × = = sn sn s s s s sn sn s s s s s s s s i i i E FC E FC E FC FE FC FE FC FE FC E FC FE FC FN SI N ... ... 2 2 1 1 2 2 1 1 (1.9)

S’il manque une valeur d’émission Esi au dénominateur, alors le score normalisé sera trop élevé.

L’extrapolation peut être utilisée pour combler les manques, mais l’utilisation de cette méthode entraine l’apparition de nouvelles incertitudes. Le fait d’utiliser les données d’émissions sur un territoire donné pour un autre territoire efface les spécificités régionales (technologies différentes, modes de production d’électricité différents…) (Huijbregts et al., 2003a). Cette source d’incertitude correspond au critère « corrélation géographique » défini par Weidema et Wesnæs (1996). Les catégories d’impact particulièrement touchée par le problème de la non- représentativité géographique des données sont les catégories d’impact régionales ou locales telles qu’eutrophisation, radiation et toxicité (Huijbregts et al., 2003a). L’incertitude est d’autant plus grande que souvent, un faible nombre de substances est responsable de la majorité des impacts. Une variation ou incertitude reliée aux émissions de ces substances peut donc entrainer un changement important sur le FN. Un exemple de cela concerne les émissions d’azote et de phosphore extrapolées pour l’Europe et le monde sur la base de la population humaine et animale. L’incertitude importante reliée à l’estimation de ces émissions entraine donc une incertitude importante sur le FN pour l’eutrophisation (Huijbregts et al., 2003a).

Une autre source d’incertitude liée aux données d’inventaire provient du fait que les émissions de certaines substances ne sont disponibles que sous formes agrégées (e.g. « pesticides », « COV », « cuivre et composés »). Cela peut poser problème au moment de la caractérisation car, par exemple, pour les substances contribuant au smog ou les pesticides, pour les potentiels de création d’ozone photochimique ou les potentiels toxiques varient entre 3 et 8 ordres de grandeur (Huijbregts et al., 2003a). Il en est de même pour les métaux : Bare et al. (2006) utilisent le FC le

plus élevé parmi les FC possibles pour évaluer l’impact d’une « substance et ses composés ». Néanmoins, cette approche peut conduire à une surestimation du FN.

Enfin, les émissions fournies par les inventaires sont également empreintes d’une incertitude directement reliée aux méthodes de quantification ou d’échantillonnage. Ainsi, l’institut Hollandais pour la gestion des eaux intérieures et le traitement des eaux usées (RIZA) utilise un modèle appelé PESCO qui permet de connaitre les quantités de pesticides réellement libérées dans l’environnement à partir des quantités de pesticides initialement appliquées en agriculture (Breedveld et al., 1999). L’utilisation d’un tel modèle introduit de nouvelles incertitudes sur les émissions de pesticides fournies par les inventaires hollandais (Emissieregistratie).

Variabilité temporelle : Sleeswijk et al. (2008) constatent que les FN calculés pour l’année 2000 peuvent parfois être très différents de ceux calculés en 1995, particulièrement pour les catégories d’impact destruction de la couche d’ozone (1 ordre de grandeur), radiations ionisantes (7 ordres de grandeur) et toxicité (1 à 2 ordres de grandeur) (Sleeswijk et al., 2008). Il existe donc une variabilité temporelle des émissions qui entraine une variabilité temporelle des facteurs de normalisation. Bien que cette variabilité ait été constatée, elle n’a jamais été quantifiée sous la forme d’une incertitude.

Variabilité spatiale : La variabilité spatiale concerne à la fois les émissions et les modèles de caractérisation. Elle peut être évaluée en comparant des FN pour différentes zones géographiques. Un résultat couramment retrouvé est que quelle que soit l’échelle considérée, un nombre limité de substances est responsable de la majeur partie des impacts (Huijbregts et al., 2003a; Stranddorf et al., 2005; Sleeswijk et al., 2008). Néanmoins, en observant les contributions relatives de ces substances, il est possible de voir que les résultats varient d’une zone à l’autre, du fait des spécificités de chacune des zones. Par exemple, la contribution des oxydes d’azote (NOx)

au problème de l’acidification est beaucoup plus importante aux Pays-Bas (54%) qu’en Europe de l’ouest (27%) (Breedveld et al., 1999).

En ce qui concerne les modèles de caractérisation, et par conséquent, le choix de la méthode pour l’évaluation des impacts, la variabilité spatiale reliée à la notion de régionalisation (voir section 1.1.4). Une incertitude peut donc être introduite dans le calcul des FN du fait de la non- représentativité régionale du modèle de caractérisation. Cela se produit par exemple lorsque des FC européens sont utilisés pour calculer des FN à l’échelle globale (Huijbregts et al., 2003a).

Incertitude du modèle, FC : Les sources et les méthodes d’évaluation de l’incertitude reliée aux FC en normalisation sont les mêmes que celles décrites à la section 1.3.2. Une attention particulière peut néanmoins être attribuée aux conséquences d’un manque de FC tel que décrit par Heijungs et al. (2007). L’observation de l’équation 1.9 permet de constater que l’absence d’un FC peut conduire à une surestimation ou à une sous-estimation du score normalisé.

Incertitude due aux choix : L’incertitude due aux choix n’est pas couramment évaluée en tant que telle lors du calcul des FN. La discussion des choix est plutôt incluse dans les autres catégories d’incertitude énoncées précédemment (e.g. conséquences résultant du choix de l’échelle : Danemark, Europe-15 ou monde (Stranddorf et al., 2005)).

En ce qui concerne l’évaluation de l’incertitude en normalisation, la conclusion est la suivante: si les différentes sources d’incertitude sont abordées de manière qualitative dans la littérature, il n’en reste pas moins que les auteurs recommandent que les travaux futurs incluent une quantification des ces incertitudes (Breedveld et al., 1999; Sleeswijk et al., 2008).