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L’État ne prend pas en charge les frais de la totalité des droits à formation des conseillers

Dans le document La laïcité dans la justice (Page 151-161)

 

 

‐ Pour l’heure, ni la formation initiale dispensée par l’ENM, ni les formations 

continues assurées par les organisations syndicales et par les Instituts du Travail ne 

disposent de module de formation sur le respect de la laïcité, alors que la notion de 

laïcité et son application aux acteurs de la Justice devraient y figurer en bonne place. 

Chapitre 4 – Quelques questions sur les méta‐niveaux de la laïcité : la 

capacité de (re)contextualisation des acteurs de la Justice 

Louis‐Léon Christians 

  Présentation de l’auteur  Louis‐Léon Christians est professeur ordinaire à l’Université catholique de Louvain où il est titulaire de  la Chaire de droit des religions. Il est l’auteur de plus de 200 publications sur ce thème. Il est expert  auprès de la Commission de Venise, du Conseil de l’Europe et des Nations‐Unies et membre de divers  réseaux internationaux, dont le réseau UEFP7‐ RELIGARE (2010‐2013). De 1999 à 2012, il a été désigné  par le Parlement belge comme un des huit membres experts du Centre fédéral belge d’information et  d’avis sur les organisations sectaires nuisibles. De 2008 à 2011, il a été co‐président de la commission  fédérale belge chargée auprès du Ministre belge de la Justice de la réforme de la législation sur les  cultes et sur les organisations philosophiques non confessionnelles. En 2014, il a été désigné par le  Parlement  belge  comme  un  des  administrateurs  du  Centre  interfédéral  belge  pour  l’égalité  des  chances et la lutte contre le racisme et les discriminations.   Email : LL.CHRISTIANS@UCLOUVAIN.BE; Site web : www.uclouvain.be/louis‐leon.christians    Résumé  La double posture de l’acteur judiciaire, en son office et en sa capacité citoyenne, redouble les tensions  classiquement internes au concept de laïcité, entre Demos et Laos, entre Jus et Societas. Il ne suffit  pas  d’affirmer  l’indépendance  du  juge  et  la  souveraineté  du  droit,  fut‐ce  par  une  prestation  de  serment et d’autres techniques procédurales, pour lever toute question sur la portée, les enjeux et les  risques de cette isomorphie. Il s’agit de mesurer la conscience qu’ont les acteurs de ces porosités du  sens entre langage juridique et langage naturel, en ce compris philosophique ou politique et de vérifier  comment s’opèrent des différentiations critiques. On en propose deux thématisations — culturelle et  internationale — avant d’évoquer la nécessité de renforcer de nouveaux dispositifs de réflexivité pour  les acteurs judiciaires confrontés à une imbrication sans précédent des horizons normatifs de la laïcité. 

 

Si la laïcité est une caractéristique constitutionnelle de la République française et dispose donc de la  plus  haute  légitimité  normative,  sa  mise  en  œuvre  est  demeurée  au  cours  du  temps,  et  singulièrement  depuis  1989,  un  enjeu  de  débats,  d’incertitudes,  d’évolutions  législatives  et  judiciaires.  Selon  la  règle  d’interprétation  de  l’effet  utile,  le  concept  de  laïcité  doit  avoir  un  sens  spécifique  qui  puisse  le  démarquer  d’autres  concepts  comme  ceux  d’impartialité  ou  de  non‐ discrimination,  ou  encore  de  démocratie  ou  de  république.  Prétendre  à  un  sens  distinct  induit  cependant  et  par  le  fait  même  un  risque  de  conflit  de  normes  entre  cette  laïcité  et  les  autres  concepts majeurs du droit constitutionnel et du droit international. 

Un second espace d’interprétation s’ouvre au moment de l’application des normes, à l’occasion de  la qualification des faits175. Plus pragmatique, cet espace n’en est pas moins essentiel. Les débats 

complexes  relatifs  aux  crèches  municipales,  aux  barbes  étudiantes,  aux  statues  de  Papes  ou  aux  peintures religieuses décorant les Palais de justice, en sont des indices quotidiens.  

De tout cela, on ne s’étonnera pas. Toute mise en œuvre ouvre un espace d’incertitude. Les plus  grands  principes  juridiques  demeurent  naturellement  les  plus  incertains  et  ouverts :  telle  est  précisément leur force.  

Il reste que l’on a souvent tenté de caractériser cette laïcité elle‐même, et d’en suggérer les lignes de  tension interprétative. Des propositions innombrables en ont résulté dans la doctrine juridique, en  science  politique,  en  sociologie  ou  en  philosophie.  Selon  les  uns  ou  les  autres,  la  laïcité  constitutionnelle apparaîtrait ouverte ou non, philosophique ou politique176, narrative ou juridique, 

exclusive ou inclusive, active ou passive, de méconnaissance ou d’intelligence177 etc. Certains auteurs 

et  surtout  quelques  politiques  ont  estimé  qu’aucune  caractérisation  n’était  possible :  le  concept  serait univoque et dès lors inqualifiable. Son évidence serait absolue. 

      

175 On concentre ici l’attention sur les fonctions de la magistrature, et non sur celles de l’appareil policier.

176 Ainsi, l’enquête rapporte-t-elle, chez les avocats interrogés, un rapport à la laïcité qualifié de : juridique (38%), philosophique

(56%), hybride (30%). Chez les magistrats, juridique (57%), philosophique (43 %). Chez les auditeurs de justice, juridique (24%), philosophique (71 %), hybride (5%)… On remarquera que ce sont principalement les auditeurs de justice qui affirment avoir suivi une formation à la laïcité. On revient plus bas sur l’importance de s’interroger sur la conscience (ou non) « d’être face à du droit ».

177 J-P. WILLAIME., Le retour du religieux dans la sphère publique, Vers une laïcité de reconnaissance et de dialogue, éd. Olivétan

Avant  même  d’être  substantiel,  l’enjeu  de  ces  débats  est  méthodologique.  Il  est  en  effet  intéressant de voir comment s’imbriquent confusément divers niveaux de débats : débat de droit, 

de lege lata, débat politique, de lege ferenda, débat de société, débat culturel, ou encore débat 

scientifique.  La  littérature  sociologique  veille  ainsi  à  distinguer  la  laïcité  comme  un  concept  se  rapportant  uniquement  aux  structures  d’État,  pour  réserver  le  concept  de  « sécularisation »  à  certaines modifications propres à la société civile. Cet effort de distinction est rappelé par exemple  par le sociologue Jean‐Paul Willaime, qui propose comme test et solution le paradigme réflexif d’une  « laïcisation de la laïcité »178.  

Face à cet entremêlement du débat citoyen et du débat juridique, la position des personnels de  justice est en tout cas particulièrement sensible. C’est effectivement un enjeu majeur de voir les  acteurs  du  pouvoir  judiciaire  (sensu  lato)  interrogés  sur  la  signification  d’un  concept  dont  leur  institution  a,  pour  une  part  au  moins,  la  charge  de  l’interprétation.  La  robe  du  juge  rappelle  la  distance  qui  sépare  l’acteur  individuel  du  mandat  qu’il  exerce.  Mais  qu’en  est‐il  vraiment  dans  le  déploiement des pratiques quotidiennes des acteurs ?  

Le  droit  lui‐même  distingue  formellement  diverses  postures,  qu’il  s’agisse  de  responsabilité  individuelle,  de  déontologie,  de  statut  des  magistrats,  ou  d’autre  part,  de  l’autorité  de  leurs  décisions juridictionnelles et des façons spécifiques de les contester, par voies de recours, etc. La  doctrine s’est classiquement interrogée sur les exigences d’impartialité procédurale des juges, mais  aussi sur le statut de leurs connaissances personnelles ou encore sur la portée, à leur égard, des faits  notoires  —  que  le  juge  pourrait  invoquer  de  sa  propre  initiative  au  nom  d’un  savoir  socialement  « évident ».  

Ces deux versants de l’acteur de justice, individuel et institutionnel, interagissent inéluctablement.  À chacun de ces versants correspond en effet une définition contextuelle potentiellement différente  de la « laïcité ». À ne pas y prêter attention, la porosité sociale des divers niveaux de débats publics  entremêle alors des considérations juridiques et politiques, voire culturelles.  

Comment  l’acteur  judiciaire  gère‐t‐il  ces  osmoses  conceptuelles ?  Comment  prend‐il  distance et  assure‐t‐il une approche vigilante des tensions qui s’y jouent précisément entre laïcité narrative et 

      

laïcité juridique, voire entre les sept laïcités observées par Jean Baubérot179 ? C’est la question de la  réflexivité qui est posée entre chacune des dimensions citoyennes et fonctionnelles de l’acteur de  justice. À la capacité réflexive du concept de laïcité renvoie celle du juge lui‐même entre les deux  postures qui le traversent.   Remarquons qu’il ne s’agit pas simplement de reposer la « question du politique » dans la fonction  de juger. En effet, c’est l’ambiguïté du concept juridique qu’est la laïcité qui crée précisément un  espace légitime d’interprétation. Légitime dès lors qu’au lieu d’être tus ou tenus pour « évidents »,  les méta‐niveaux potentiels de la laïcité pourraient être discernés de façon explicite, argumentée en  droit, par une motivation suffisamment transparente.  Nous soulignerons ce défi des méta‐niveaux de la laïcité en nous interrogeant sur les capacités de  réflexivité des acteurs judiciaires selon leur double posture : (I) comment l’acteur judiciaire articule‐ t‐il contexte social, cadre juridique et contexte propre à l’administration de la Justice, citoyenneté et  mandat ? ; (II) comment l’acteur judiciaire articule‐t‐il les différents niveaux normatifs qui pourraient  interagir avec ses interprétations au gré de recours potentiels, notamment européens et de droit  international ?   I. Laïcité de l’acteur judiciaire et méta‐niveau culturel  Le premier méta‐niveau appelle ici peu de commentaires, tant ceux‐ci rejoignent rapidement la vaste  question de la fonction de juger, alliant une prise en compte objective des faits et une impartialité  dans leur qualification. À bien observer, l’idée de méta‐niveau viserait une exigence méthodologique  spécifique :  celle  de  mesurer  l’écart  entre  les  auto‐compréhensions  des  acteurs  (parties,  avocats,  parquet et siège) et l’écart de chacun entre ses intentions et ses perceptions.    Deux questions pourraient être adressées aux acteurs pour vérifier leur advertance face à ces écarts.  Faites‐vous une distinction entre l’inscription spatiale de la Justice dans la Cité (y compris dans le  Palais de justice, ses usages et procédures) et l’inscription de la laïcité dans la substance du droit  matériel ? Les rapports entre laïcité et impartialité se jouent‐ils sans reste ? L’apparence du juge et  la neutralité de la loi sont‐elles du même ressort ? Le serment judiciaire, et notamment celui qui est  prêté à l’entrée en fonction, porte‐t‐il ou non la garantie normative de la transformation d’un citoyen‐       

179 J. BAUBEROT, Les sept laïcités françaises: Le modèle français de laïcité n'existe pas, Paris, Éditions de la Maison des sciences

sujet en un magistrat‐oracle de la Loi ? D’autres ingrédients sont‐ils nécessaires pour garantir l’auto‐ diffraction du magistrat et du citoyen qu’il est ? La littérature est vaste sur ces questions, mais elles  prennent  ici  une  importance  particulière  car  l’enjeu  même  du  concept  juridique  est  celui  d’une  capacité analogue de césure du magistrat. 

Une  seconde  question  porte  sur  l’effort  de  compréhension  des  dimensions  potentiellement  religieuses des faits exposés au juge. Jusqu’où peut aller cet effort interprétatif des usages et des  doctrines  religieuses  qui  éclairent  et  explicitent  les  réalités  débattues ?180  Sans  doute  le  droit 

individuel au secret des convictions est‐il premier et rien ne viendrait justifier qu’un juge impute un  trait  religieux  à  une  situation  qui  ne  serait  pas  revendiquée  comme  telle.  Ainsi  le  silence  des  convictions  empêcherait‐il  de  qualifier  un  foulard  d’islamique.  Mais  lorsque  ce  silence  n’est  pas  opposé par les parties, la liberté de ces derniers de mettre en lumière des faits explicatifs de nature  religieuse conduit le juge à un dilemme : ignorer un élément de contexte ou à l’inverse trop s’investir  dans un débat d’expertise qui ne relève pas de sa compétence. Où est cette limite ? L’acteur social  qu’est aussi le juge n’aurait‐il pas une opinion sur cela ? Face à ses connaissances personnelles ou à  des auto‐compréhensions tenues pour notoires, comment conjoindre une méthodologie laïque de  l’objectivation  des  faits  et  la  laïcité  du  droit  applicable ?  L’analyse  des  intentions  des  parties,  la  reconstruction  de  leur  propre  perception  du  religieux,  prend‐elle  la  mesure  de  la  qualité  des  instruments  cognitifs  à  disposition  desdites  parties ?  Le  rapport  juridique  à  l’intention  est‐il  au  contraire  effacé  ou  suspendu  au  bénéfice  des  seules  apparences  ou  d’une  imputation  superficiellement « attribuée » ? Comment l’acteur de Justice mesure‐t‐il, par exemple, la conscience  des autres parties à la multiplicité de leurs rapports à la laïcité ? Ou écrase‐t‐il le tout dans une réalité  tenue  pour  évidente ?  Comment  la  façon  dont  le  juge  se  rapporte,  comme  citoyen,  à  la  laïcité  influence‐t‐elle sa façon d’apprécier le rapport d’autres citoyens à la laïcité ? Envisage‐t‐il l’espace  judiciaire comme spécifique ou non sur cette question ?  II. Laïcité de l’acteur judiciaire et méta‐niveau international  À ce qui vient d’être présenté comme un méta‐niveau « par le bas » des conceptions personnelles et  contextuelles, s’adjoint un second méta‐niveau auquel nous souhaiterions nous attarder davantage.        

180 Sur ces questions, voir aussi infra, Partie 1, titre 1, sous-titre 1 (Les acteurs de justice et la gestion du fait religieux : les

Ce second niveau tient à la plurivocité, sur le plan international, non seulement de la laïcité « à la  française » mais aussi des référents proprement européens que sont le pluralisme et la diversité181.  

Ici encore, notre accent ne porte pas tant sur les postures juridiques, substantielles et formelles,  propres aux voies procédurales prévues par les droits nationaux et les instruments européens ou  internationaux. Le statut plus ou moins contraignant des jurisprudences supérieures (réformation,  cassation,  statut  des  cours  constitutionnelles,  renvois  préjudiciels,  saisine  d’une  cour  internationale, etc.) conduit le juge, au titre de son office, à donner une autorité définie, plus ou  moins grande, à des décisions mettant à l’occasion en cause son prononcé, à l’issue de recours  divers  et  variés.  De  ce premier  point  de  vue,  le  concept  de laïcité  « à la  française »  est  lui‐même  soumis à un contrôle « de droit » et de compatibilité avec des instruments européens notamment,  qu’il s’agisse de l’Union européenne ou du Conseil de l’Europe. Autant la sociologie ou la politique  française  laissent‐elles  entendre  que  le  génie  français  aurait  conquis  les  travées  de  l’Europe  et  transfiguré  juridiquement  son  lexique  fondateur,  autant  les  juges  européens  demeurent‐ils  singulièrement  plus  prudents.  De  ce  point  de  vue  encore,  on  a  pu  être  sensible  à  la  façon  extrêmement  prudente  par  laquelle  la  Cour  européenne  des  droits  de  l’Homme  de  Strasbourg  évoque la laïcité française, principalement comme un usage national au même titre que la laïcité  turque ou genevoise, ou d’autres singularismes nationaux182. Un usage français compatible avec les 

principes  européens  mais  qui  ne  se  substituent  pas  pour  autant  à  ces  principes,  ni  n’en  épuisent  l’autonomie de sens183

C’est un autre point de vue que l’on souhaite évoquer ici, à l’occasion du présent rapport. Il s’agit de  mesurer,  au‐delà  des  mécanismes  juridiques  formellement  prévus,  comment  et  combien  les  évolutions internationales et les débats conceptuels européens marquent la culture critique, voire  citoyenne,  des  acteurs  judiciaires  nationaux.  Les  cadres  internationaux,  et  les  recadrages  qui  s’y  jouent à propos du concept de laïcité, sont‐ils absents de tout arrière‐plan critique, aussi longtemps  du  moins  que  leur  mise  en  œuvre  n’a  pas  été  activée  formellement  par  tels  recours  ou  tels  dispositifs  internes  aux  systèmes  dont  le  juge  est  gardien ?  Au‐delà  de  l’autorité  classique  (et  modérée)  prêtée  aux  jurisprudences  de  la  Cour  de  Strasbourg,  comment  entrevoir  et  mesurer  la        

181 L-L. CHRISTIANS « La laïcité en droit européen comparé. Recherches et paradoxes », Transversalités (Paris), n° 91, 2004, pp.

25-53.

182 J-P. WILLAIME, « Les laïcités belge et française au défi de la laïcité européenne », in FORET FR. (ed.), Politique et religion en

France et en Belgique, Bruxelles, Éditions ULB, 2009, pp. 161-179.

naissance  d’une  conscience  réellement  cosmopolite  et  transnationale  dans  le  chef  des  acteurs  judiciaires ? D’abord sur le simple plan de la culture intellectuelle, savante ou citoyenne, et ensuite  quant à la porosité entre cette culture du juge‐citoyen, et sa responsabilité institutionnelle.  

La  qualité  et  l’étendue  de  la  motivation  judiciaire  nationale  constituent,  on  le  sait,  une  exigence  croissante de la jurisprudence de Strasbourg. L’obligation pour le juge national de peser les intérêts  en  présence  selon  les  différents  niveaux  juridiques  impliqués  devient  un  des  cœurs  de  la  jurisprudence  de  Strasbourg  et  de  ses  contrôles  relatifs  à  la  proportionnalité  et  à  la  marge  d’appréciation.  Cette  vigilance  nouvelle  en  faveur  d’une  dimension  ouverte  et  réflexive  de  toute  motivation relative à la laïcité, au gré d’une dimension internationale, n’est cependant pas seulement  une exigence formelle de droit. Elle est aussi, et c’est ce que nous voulons souligner ici, une aptitude  contextuelle et culturelle propre au citoyen qu’est par ailleurs l’acteur judiciaire. Un vaste projet de  recherche européen184 s’est achevé récemment concernant l’effet socio‐culturel des arrêts de la Cour 

européenne  des  droits  de  l’Homme,  notamment  dans  les  pays  dont  la  langue  n’est  pas  celle  des  arrêts. Il ne s’agissait donc pas de l’influence procédurale de ces arrêts comme telle, mais de la façon  dont ils contribuaient à créer un arrière‐plan social de compréhension culturelle des questions de  justice, de droits fondamentaux, de construction européenne des droits. Une compréhension dont  on puisse mesurer ses effets mobilisateurs non seulement sur les acteurs de la société civile, mais  aussi sur les acteurs judiciaires, en dehors même de leur posture technique. Une autre observation  de l’importance de ce type de questionnement concerne l’étonnante façon dont les médias français,  y  compris  des  cénacles  officiels,  ont  disqualifié  le  statut  de  la  commission  ONU  des  droits  de  l’Homme, organe majeur du droit international et des Nations‐Unies. On a lu des ricanements sur la  bureaucratie onusienne, des mises en garde sur le parti‐pris des uns ou des autres, des craintes sur  la  composition  de  cet  organe  indépendant.  On  a  forcé  des  étonnements  quant  à  l’existence  insoupçonnée de ce dispositif et multiplié les signes d’hésitations ou de commisérations sur l’intitulé  exact des décisions adoptées par cet organe. L’ensemble de ces interventions avait en commun de  forcer la référence au « droit » et d’y délégitimer toute mise en cause même symbolique de la laïcité  française. 

      

184 E. FOKAS, (dir.), Grassrootmobilize (ERC), Examining Grassroots Mobilisations in the Shadow of European Court of Human

Rights Religious Freedom Jurisprudence, http://grassrootsmobilise.eu/ Cfr. Par exemple E. FOKAS, et D. ANAGNOSTOU, « The “radiating effects” of the ECtHR on social mobilisations around religion and education in Europe: an analytical frame », Politics and Religion (2018); E. FOKAS, « The European Court of Human Rights at the Grassroots Level: who knows what about religion at the ECtHR, and to what effects? », Religion, State and Society (2017).

Il ne s’agit pas de contester les limites de l’autorité juridique formellement reconnue à cet organe  des  Nation‐Unies185.  Il  s’agit  plutôt  de  s’interroger  sur  les  façons  dont  le  juge‐citoyen  assume ces 

différents jeux lexicaux entre un univers juridique formel qui tantôt ouvre, tantôt clôt une discussion,  et  d’autres  espaces  critiques  et  réflexifs  que  stimulent  précisément  les  cénacles  européens  et  internationaux.  Comment  l’acteur  judiciaire  appréhende‐t‐il  les  interrogations  internationales  adressées au concept de laïcité : en en prenant la mesure comme citoyen et observateur cultivé,  ou en les disqualifiant comme idéologique ou comme inexistante en droit formel ? L’exercice ne  serait certes pas identique selon que l’acteur judiciaire se pensera comme citoyen ou s’inscrira dans  sa mission institutionnelle : mais comment mesurer, ici encore, la porosité de ces deux postures ?  Une fois encore, la vertu formelle et schizophrénique du serment judiciaire suffit‐elle à répondre à  ces  questions ?  Seul  l’approfondissement  d’une  enquête  auprès  des  acteurs  peut  en  donner  une  mesure fine. 

Conclusion : laïcité et réflexivité globale 

Il  semble  important  de  ne  pas  laisser  dans  l’implicite  et  le  non‐dit  l’attention  à  ces  divers  méta‐ niveaux qui impactent les tensions inhérentes à la laïcité, tensions qui se jouent comme Janus dans  le double‐chef de l’acteur judiciaire. Nous avons mentionné deux de ces niveaux, mais l’exercice et  l’enquête  peut  se  poursuivre  au  gré  d’une  prise  au  sérieux  d’un  tournant  majeur  de  la  pratique  juridique  contemporaine :  celui  de  la  globalisation  du  droit186.  Ce  phénomène  de  globalisation 

Dans le document La laïcité dans la justice (Page 151-161)