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2. Historique : l’habitation et l’État au Canada et au Québec :

2.2 L’État comme facilitateur

Le virage communautaire

Partout à travers le monde le virage communautaire s’est imposé comme alternative à la production et à la gestion directe de logements publics par les autorités gouvernementales. Au Canada et au Québec, ce virage s'est fait au tournant des années 1970. Paradoxalement, il a été accompagné d’une mise à contribution accrue du secteur privé. La plupart des pays industrialisés y participèrent à divers degrés.

Il s'accentuera en 1978-79 avec la mise en œuvre du programme 56,1 (de l’article 56,1 de la LNH qui devint plus tard l’article 95). Dorénavant, la SCHL n’agira plus comme prêteur direct, tel qu’elle le faisait depuis sa fondation. Le crédit hypothécaire sera fourni par le secteur financier privé, incluant les coopératives d'épargne et de crédit. Les prêts seront par contre assurés par la SCHL.

Pour la première fois, on utilise massivement les subventions à long terme pour faciliter la réalisation des projets.

Pourquoi les subventions sont-elles nécessaires ?

Si nous prenons l’exemple des premières coopératives ou OBNL créées durant les années 1970, leurs premiers projets n’avaient pas besoin de subventions pour fournir du logement abordable. Cela devint nécessaire en grande partie en raison de l’augmentation vertigineuse des coûts liés à l’habitation qui grimpaient beaucoup plus vite que les coûts d’autres biens et services (Leblanc, 1977). La flambée des taux d’intérêts du début des années 1980 aggrava la situation en provoquant une hausse des coûts de financement. Il en a résulté que les loyers économiques (coûts réels) dépassaient de beaucoup les loyers prévalant sur le marché locatif. L’État se trouva dans

l’obligation d’intervenir pour combler l’écart entre le loyer économique et la capacité de payer de la clientèle. Cette aide prend généralement deux formes :

- l’aide à la pierre par le biais de subvention de capital, de subvention du taux d’intérêt ou encore par subvention des coûts d’opération ;

- l’aide à la personne par une allocation au logement ou par un mécanisme interne d’aide à la réduction du loyer.

L’aide à la pierre et le soutien public aux organismes de développement (GRT) peuvent être vus comme un mode de régulation de l’offre de logement, et l’aide à la personne comme une mesure sociale visant l’accessibilité du loyer (autrement dit, un mode de régulation de la demande).

Depuis, les programmes d’aide au logement public et au logement communautaire du gouvernement canadien se sont développés selon les caractéristiques suivantes observées dans plusieurs pays industrialisés (Pomeroy, 2001) :

• Insistance sur la production et sur la gestion communautaire à but non-lucratif, plutôt que sur la production directe par les gouvernements ;

• Transition à l’aide aux projets (à la pierre) à l’aide à la personne ;

• Efforts dirigés vers la création de communautés à revenus mixtes, plutôt que ciblés exclusivement vers des clientèles à faible revenu. (La mixité des revenus sera toutefois de moins en moins importante au fur et à mesure que les programmes cibleront davantage de ménages ayant droit aux subventions au paiement du loyer (Voir : Poulin, 1996) ;

• Efforts pour attirer les locateurs privés vers les programmes publics de soutien au logement abordable15 ;

• Incitation à l’utilisation des pratiques du secteur privé dans la gestion du logement social.

Le financement de la production de logements

Sauf pour le Programme fédéral des coopératives d’habitation (communément nommé PHI en raison de l’utilisation du prêt hypothécaire indexé), en vigueur de 1986 à 1993, tant les coopératives que les OBNL seront éligibles aux programmes qui seront mis en œuvre par les autres niveaux de gouvernement (voir annexe 1 pour description des programmes de 1970 à 2002)16.

Le gouvernement fédéral a interrompu ses programmes d’aide au développement de nouveaux logements communautaires et publics en 1993 et laissé ce champ d’activité aux provinces. Jusqu’en

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Par exemple, introduction par la SCHL du Régime canadien de construction de logements locatifs en 1982.

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La mise en œuvre des programmes de l’Entente Canada-Québec sur le logement social concrétise un glissement de la mixité vers l’aide ciblée aux ménages à faible revenu, lesquels doivent se qualifier selon le critère de besoins impérieux de logement.

2001, suite à la signature des ententes fédérales-provinciales sur le logement abordable, seuls les provinces de Québec et de Colombie-Britannique ont maintenu leur implication.

Il est toutefois possible, nonobstant les programmes provinciaux ou à coûts partagés, d’obtenir l’assurance hypothécaire de la SCHL pour des projets de logement abordable, généralement dans le cadre du Partenariat privé-public (PPP). La SCHL suit alors les règles de prêt des institutions financières privées ; elle analyse chaque projet qui lui est présenté sur une base commerciale.

Ses critères sont essentiellement les mêmes pour un organisme sans but lucratif ou une coopérative que pour un promoteur privé. Ils visent à évaluer la viabilité et à déterminer le niveau de risque associé au projet soumis.

Moyennant le paiement d’une prime pouvant aller jusqu’à 5,5 % du montant du prêt, l’assurance hypothécaire offerte par la SCHL permet d’obtenir de la part d’institutions financières des prêts allant jusqu’à 85% de la valeur d’emprunt des immeubles faisant l’objet de la transaction.

Cette valeur d’emprunt est elle-même déterminée par la capacité du projet à générer des liquidités pour payer la dette. Ainsi, un projet qui génère des revenus nets d’exploitation élevés pourra obtenir un prêt plus élevé. Le revenu net d’exploitation est par ailleurs soumis à un facteur de couverture de la dette qui varie selon la nature du projet et les risques encourus.

Un projet ne bénéficiant que d’une marge de manœuvre réduite, par exemple un OBNL typique, peut ainsi plus difficilement obtenir un prêt assuré. Une fois qu’il aura réussi à maximiser son revenu net, il devra combler ses besoins en faisant appel à d’autres sources de capital, sous forme de subventions ou de contributions communautaires. S’il réussit par contre à générer suffisamment de fonds et que son prêt est inférieur à 75 % de la valeur d’emprunt, il pourra, sous certaines conditions, obtenir un prêt non assuré d’une institution financière.

L’allocation au logement

Avant de pousser plus loin notre description des modes de financement du logement communautaire, il nous semble important d’introduire la question de l’allocation au logement. Cette mesure d’accessibilité a fait l’objet de nombreux débats au cours des trente dernières années. Elle a

souvent été présentée comme une alternative à la production de logement. Notre intention n’est pas ici de résoudre cette question. Notre propos vise plutôt à identifier de nouvelles formes de financement axées sur la production de logements. Il nous importe cependant de décrire sommairement le questionnement pertinent.

L’allocation au logement se présente comme un paiement de transfert versé à un ménage pour l’aider à obtenir un logement abordable. Comme le ménage est libre de choisir son logement, le paiement n’est pas rattaché à ce dernier. Le montant de l’allocation dépend du revenu du ménage et du montant du loyer. (Hanley, 1980, traduction libre, p. 3).

Le montant de l’aide est ajusté selon certains barèmes qui tiennent compte de la taille du logement, de la composition du ménage et des loyers admissibles.

Plusieurs formes d’allocation au logement ont été introduites et ont permis aux locataires à faible revenu de se loger dans le secteur privé comme dans le secteur communautaire. Au Québec, par exemple, le programme Logirente est une forme d’allocation au logement destinée aux personnes âgées. Le programme de Supplément au loyer est une autre forme d’allocation au logement qui est utilisée dans le cadre des programmes de logement communautaire ainsi qu’auprès des locataires à faible revenu se logeant dans le secteur privé.

En termes de politiques publiques, le choix se pose entre d’une part, l’allocation au logement qui fournit rapidement de l’aide à un grand nombre de ménages et d’autre part, construire un stock de logements abordables qui fournira un abri à de nombreuses générations.

Sans vouloir trancher cette question, il importe de souligner que plusieurs programmes d’aide à la production de logement communautaire ont combiné l’aide à la pierre avec une forme ou une autre d’allocation au logement.

Le débat se poursuit entre les optimistes et les pessimistes quant à l’avenir de l’économie et du filet de sécurité sociale. Se basant sur l’expérience américaine, Stephen Barton propose une conclusion temporaire (Barton, 1996). À son avis, si l’on est optimiste et que l’on s’attend à une forte croissance économique et à un large partage de la richesse envers les gens à faible revenu, le besoin est clairement de distribuer les subventions aussi largement que possible aux gens qui en ont besoin maintenant. Par contre, les pessimistes préféreront se consacrer à la construction d’un stock de logement abordable, considérant la tendance des vingt dernières années, caractérisée par la baisse du revenu réel chez les personnes dépendantes de l’aide publique et les travailleurs non-spécialisés.

Conclusion

D’abord associé à l’innovation en matière de politique d’habitation et appelé à remplacer les interventions directes des gouvernements, le logement communautaire a connu un essor relativement important à compter de la fin des années 1970. Les programmes gouvernementaux ont alors favorisé la constitution d’un parc sans but lucratif composé de coopératives et d’OBNL. Si bien qu'on compte maintenant au Québec environ 22 000 logements coopératifs et 25 000 logements sans but lucratif.

Par ailleurs, le stock de logement public est maintenant de 63 000 logements de type HLM, administrés par les offices municipaux17. Il n’était que d’environ 20 000 logements en 1976 (Deslauriers, Brassard, 1989). On constate donc que le secteur communautaire s’est développé à un rythme de croissance assez semblable à celui du logement public depuis 25 ans. Il a donc réussi à sortir du mode expérimental et s’impose maintenant comme un réseau permanent de développement et de gestion du logement communautaire.

Il a ainsi été reconnu comme une composante essentielle à la mise en œuvre des politiques d’habitation, de réaménagement urbain et de services aux populations fragiles. Il va sans dire qu’il constitue également une force politique.

Le développement du secteur communautaire du logement est confié à des organismes communautaires, les groupes de ressources techniques (GRT). Le secteur privé est demeuré à l’extérieur des activités de développement, si ce n’est dans les activités liées directement au bâtiment (construction, rénovation). À l’exception de quelques expériences d’auto-construction et d’entreprises sans but lucratif de construction, ce sont les entreprises privées qui ont exécuté les travaux requis dans l’ensemble du parc communautaire. Contrairement aux États-Unis où le secteur privé fut le principal producteur de logement abordable, son rôle au Canada n’a été qu’accessoire.

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Par contre le secteur financier privé a été fortement mis à contribution par l’introduction de nouveaux programmes dès 1978. Grâce à l’assurance hypothécaire fournie par la SCHL, les institutions ont fourni des prêts pour un portefeuille évalué à plusieurs milliards de dollars au niveau canadien. Les pratiques de gestion et surtout les critères d’évaluation du risque calqués sur le secteur privé guident dorénavant l’évaluation des dossiers présentés à la SCHL par les promoteurs sans but lucratif, ce qui s’éloigne fortement des pratiques d’assurance hypothécaire des années de croissance.

Les programmes relativement simples utilisés au début des années 1970 ont cédé la place à des programmes d’aide plus généreux mais cependant plus normés et plus ciblés. Les gouvernements utilisent l’habitation comme levier économique, comme outil de revitalisation de quartier et comme stratégie de lutte à la pauvreté. Cependant, l’inadéquation entre lesnormes administratives et les enjeux de gestion collective provoque des tensions qui compromettent souvent la santé des projets (St-Cyr, 2002).

On admet généralement que les objectifs d’abordabilité des programmes ont été atteints. À titre d’exemple, un portrait du profil socio-économique des résidants démontre que les ménages à faible revenu prédominent clairement dans la population du secteur de l’habitation coopérative (Poulin, 1996).

L’histoire de l’habitation sociale et communautaire au Canada montre que les gouvernements interviennent de façon décisive lors de crises graves : après la Première Guerre mondiale, durant la Grande Crise économique, durant et après la Seconde Guerre et par la suite lors des crises cycliques de logement. Et leurs interventions visent d’une part à lutter contre les récessions et, plus récemment, à lutter contre les effets de l’appauvrissement.

La conjoncture actuelle, caractérisée par une crise du logement majeure dans l’ensemble du pays et par la réapparition de la récession, au moment où les gouvernements fédéral et provinciaux viennent

de signer une Entente sur le logement abordable, est sûrement propice à l’innovation et à l’expérimentation. Dans ce contexte, l’étude de diverses expériences américaines, européennes et canadiennes est susceptible d’éclairer la démarche des producteurs. Le présent document vise à leur permettre d’identifier des stratégies et des alliances afin de développer leur plein potentiel.