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L’exploitation et la transformation des ressources énergétiques par les sociétés exercent une influence sur leur développement économique et sur l’évolution de leurs structures spatiales et territoriales. Les systèmes énergétiques ont souvent contribué à des changements spatiaux et territoriaux, comme ceux qui ont accompagné le passage du bois et de la puissance de l’eau vers la puissance thermique du charbon au XIXe siècle, ou du charbon vers le pétrole au cours du XXe siècle (Smil, 2010 ; Kander, Malanima, Warde, 2013). L’augmentation de la consommation et de la production d’énergie au cours du XXe siècle a été facilitée par la mise à disposition d’une énergie bon marché basée sur les combustibles fossiles. Les énergies fossiles permettent de répondre aujourd’hui à 80% des besoins énergétiques mondiaux. Mais la forte croissance attendue de la population mondiale au cours du XXIe siècle conduira nécessairement à une diminution des stocks et à l’augmentation des besoins énergétiques (Solier, Trotignon, 2010). Le recours aux combustibles fossiles devra être limité d’une part pour des raisons écologiques définies dans l’ensemble des sommets mondiaux sur le climat et, pour des raisons d’épuisement physique et économique d’autre part.

Ce premier chapitre apporte des éléments de définition et de contexte général et resitue les grands débats actuels sur les impacts sociétaux de la crise énergétique. Il révèle comment la géographie s’est approprié ce champ de recherche par la mise en évidence de l’implication de l’énergie dans les évolutions spatiales. Le concept d’entropie est mobilisé pour questionner les limites d’un modèle de développement qui a contribué à la mise en place des organisations spatiales actuelles des activités humaines.

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1 L’énergie, carburant des évolutions spatiales

Sans l’énergie chimique que nous apportent les aliments que nous mangeons et l’air que nous respirons, l’humanité n’existerait pas. Les sociétés modernes dépendent d’un apport croissant en énergie. Cette dépendance est telle que l’énergie paraît définitivement acquise. Pourtant une tempête détruisant des lignes hautes tensions ou des plates-formes pétrolières peut affecter l’économie d’une région entière. L’énergie nécessite production, transport, distribution et gestion des nuisances pour en tirer tous les bénéfices. Renouvelables ou non, les sources d’énergie ne sont pas distribuées uniformément à la surface du globe, et les espaces de consommation diffèrent souvent des espaces de production. La maîtrise progressive des sources d’énergie a permis l’expansion démographique de l’humanité. Mais l’énergie reste difficile à définir, car nous n’en ressentons que les effets sous forme de travail, de chaleur et de service. 1.1 De la physique générale aux évolutions sociétales, l’énergie au cœur

des transformations

1.1.1 Travail, puissance et modification des systèmes matériels

En physique, travail et chaleur constituent deux formes équivalentes de transfert d’énergie, et selon Einstein, l’énergie et la masse sont deux aspects d’une même réalité. L’énergie est définie communément comme l’apport nécessaire à un système matériel pour lui faire subir une transformation (déplacement, modification de la forme ou changement de structure). L’énergie produit un travail mécanique, de l’électricité ou de la chaleur. L’énergie est donc une propriété d’un système capable de modifier d’autres systèmes. Elle est la grandeur physique nécessaire pour effectuer un travail. La physique définit le travail comme l’effort nécessaire pour déplacer un poids. La notion de poids est celle de la force exercée sur une masse. Pour déplacer la masse d’un corps, il faut de l’énergie. L’énergie est donc le déplacement d’une force sur une certaine distance. La quantité d’énergie est le produit de l’intensité de ce travail (la puissance) par le temps durant lequel cette puissance est fournie.

1.1.2 L’énergie dans tous ses états

L’énergie dont nous disposons est en fait contenue dans les ressources naturelles, mais celles-ci ne peuvent généralement pas être utilisées sous leur forme initiale. Elles nécessitent donc une transformation. Associer une forme à l’énergie revient à définir le type d’interaction mis en jeu lorsque la matière se transforme. L’énergie peut être alors : mécanique (moteur, muscle, aptitude à engendrer un mouvement), thermique (quantité de chaleur d’un corps), cinétique (engendrée par le mouvement), chimique (nourriture, carburant, combustion, biomasse), lumineuse ou rayonnante, nucléaire (concentrée dans les noyaux d’atomes radioactifs), électrique (produite par le mouvement de particules chargées) (Figure 1).

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Figure 1. Formes d’énergie et transformations

En physique, on mesure l’énergie en joule, soit la mesure du travail nécessaire pour soulever de 10 cm une masse de 1 kg. À l’échelle de l’atome, on parle d’électronvolt qui mesure l’échange d’énergie entre molécules lors de réactions chimiques. La puissance représente la vitesse à laquelle l’énergie est produite. La puissance qui produit 1 joule en 1 seconde est un watt ; 1 kilowattheure (kWh) est égal à 3,6 millions de joules. C’est pourquoi en économie et plus largement en sciences humaines, le kilowattheure étant trop petit, on utilise le mégawattheure (MWh) ou les tonnes équivalents pétrole (tep).

Il n’est pas facile de mesurer et de comparer les énergies, car elles n’ont pas toutes le même pouvoir énergétique. Pour les comparer, la tep (tonne équivalent pétrole) est l’unité de mesure imposée aujourd’hui par l’Agence Internationale de l’Energie4 (AIE). Le tableau 1 présente les taux de conversion en fonction des techniques de production et du type de ressource.

4 L’Agence Internationale de l’Énergie a été créée par l’OCDE en 1974 suite au premier choc pétrolier. Sa mission est de coordonner les politiques énergétiques des États membres de l’Organisation de Coopération pour le Développement Économique.

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Sources d’énergie Taux de conversion en tep

1 MWh d’électricité d’origine nucléaire 0,2606 tep

1 MWh d’électricité d’origine renouvelable et thermique classique 0,086 tep

1 MWh de gaz de réseau 0,077 tep

1 Tonne de houille 0,619 tep

1 Tonne de lignite 0,405 tep

1 Tonne de Coke 0,667 tep

1 Tonne de Coke de pétrole 0,762 tep 1 Tonne de Butane propane 1,095 tep

1 Tonne de fioul lourd 0,952 tep

1 000 litres de fioul domestique 0,847 tep

1 Tonne de vapeur 0,086 tep

Source : www.iea.org

Tableau 1. Taux de conversion des différentes sources d’énergie en tonne équivalent pétrole

Lorsque l’on évoque des quantités d’énergie, il est indispensable de préciser de quelle énergie il s’agit. La consommation d’énergie nécessite des étapes de transformation que l’on distingue en quatre stades :

 l’énergie primaire (quantité totale produite ou importée)

 l’énergie secondaire (résultant d’une transformation d’énergie primaire)  l’énergie finale (livrée au consommateur)

 l’énergie utile (celle réellement utilisée).

L’énergie diffère selon l’étape à laquelle on la mesure. L’énergie primaire est celle recueillie directement de la nature (pétrole brut, charbon extrait, chute d’eau, énergie lumineuse, chaleur produite dans le cœur d’une centrale). L’énergie secondaire est l’énergie convertie, l’électricité, le carburant raffiné… L’énergie finale est l’énergie transportée et distribuée, le carburant dans le réservoir, l’électricité au compteur, le gaz au brûleur… Enfin l’énergie utile correspond au besoin final, le chauffage, le déplacement, l’éclairage…). Les étapes de production, de conversion, de transport et de distribution consomment aussi de l’énergie. L’énergie finale représente environ un peu plus de 50% de l’énergie primaire.

Enfin, l’énergie nécessite vecteur et réseau de transport et distribution. Les réseaux sont multi-échelles et arborescents, des arcs longue distance à gros débit, des mailles plus serrées des réseaux nationaux et régionaux jusqu’aux réseaux de distribution locale à débit plus faible. La plupart des organismes qui diffusent des données sur l’énergie traitent les données de production en énergie primaire et les données de consommation en énergie finale. Les sources d’énergie sont multiples et proviennent toutes à la base de ressources naturelles. Elles se

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différencient en fonction de plusieurs caractéristiques : leur origine, le caractère renouvelable ou fossile et leurs fonctions et applications (Tableau 2).

Sources Origine Caractère renouvelable

Principales applications

Bois et biomasse Terrestre / sur sol renouvelable

Chauffage, cuisson, agriculture, force motrice (biocarburant)

Charbon Terrestre / sous-sol Fossile / stocks limités Chauffage, électricité, force motrice

Gaz Terrestre / sous-sol Fossile / stocks limités Chauffage, électricité, force motrice

Gaz de Schistes Terrestre / sous-sol Fossile / stocks limités Chauffage, électricité, force motrice

Pétrole Terrestre / sous-sol Fossile / stocks limités Force motrice, chimie Schistes bitumineux Terrestre / sous-sol Fossile / stocks limités Force motrice, chimie

Uranium Terrestre / sous-sol

Nucléaire classique : Fossile / stocks limités Nucléaire nouvelle génération : Fossile / stocks longue durée

Électricité

Géothermie Terrestre / sous-sol renouvelable Chauffage, électricité Hydraulique Eaux renouvelable Électricité

Éolien Vent renouvelable Électricité

Solaire Soleil renouvelable Électricité, chauffage Tableau 2. Sources d’énergie, caractéristiques et principales applications

Les ressources énergétiques fossiles représentent 87% de la production mondiale d’énergie primaire (AIE).

 Le pétrole : le pétrole est un mélange de matières provenant de la décomposition d’organismes végétaux et animaux qui vivaient il y a plusieurs millions d’années. Cette matière organique s’est déposée au fond des mers ou dans des couches sédimentaires imperméables. Le pétrole nécessite des étapes importantes d’extraction et de transformation pour obtenir un produit utilisable. En revanche, une fois transformé, il permet d’obtenir une énergie très concentrée (14 kWh par kg).

 Les gaz : il existe plusieurs types de gaz. Le gaz naturel est un mélange d’hydrocarbures présent naturellement à l’état gazeux dans des roches poreuses. Il est essentiellement composé de méthane. Le gaz de pétrole liquéfié est un mélange

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d’hydrocarbures légers stocké à l’état liquide, issu du raffinage du pétrole et du traitement du gaz naturel (éthylène, propylène, propane, butane). Il existe aussi du gaz de coke issu de la distillation de la houille.

 Le charbon : c’est un combustible solide résultant de la fossilisation des végétaux. Il n’est pas considéré comme un hydrocarbure, car il ne contient pas d’hydrogène. Il est aujourd’hui le combustible le plus utilisé dans le monde, essentiellement pour produire de l’électricité par transformation en vapeur dans de grandes centrales thermiques.

 L’uranium : l’uranium naturel est un minerai à la base de l’énergie nucléaire. Après traitement, l’uranium constitue le combustible à la base des réacteurs nucléaires. Aujourd’hui, l’essentiel de la production d’énergie renouvelable dans le monde provient des ressources forestières (bois de feu) et de l’hydraulique produisant de l’électricité. Les énergies renouvelables représentent 13% de la production énergétique mondiale primaire. Le terme même de renouvelable est à nuancer. La notion de ressource renouvelable dépend en effet de cycles de vie qui peuvent varier. Cette notion de renouvelable doit prendre en compte la notion de flux pris sur un stock. Mais contrairement aux énergies fossiles dont la constitution du stock a pris des millions d’années, les stocks de ressources renouvelables comme la forêt ou un lac alpin par exemple ont des durées de reconstitution beaucoup plus courtes.

 Bois-énergie et déchets : c’est l’énergie renouvelable la plus employée dans le monde, notamment sous forme de bois de feu. Le terme de renouvelable est à nuancer pour la biomasse forestière, car la reconstitution d’une forêt est longue et certaines régions du monde connaissent une déforestation accrue qui empêchent toute projection dans le développement de cette forme d’énergie. En France, les forêts s’étendent et représentent un gisement sous-exploité. Le développement de l’énergie biomasse est pertinent, car cela pose la question d’une meilleure gestion des forêts et des déchets. On parle d’ailleurs souvent de valorisation. La biomasse est essentiellement valorisée pour produire du biogaz ou pour satisfaire des besoins de chauffage individuel ou collectif. Mais il est possible d’envisager l’utilisation de la biomasse pour le fonctionnement de centrales thermiques produisant de l’électricité.  L’énergie hydraulique : elle est une énergie très développée et dont l’efficacité

n’est plus à prouver. Il faut s’attendre à un fort développement de l’hydraulique dans les pays émergents et en développement dans les années à venir. C’est l’énergie qui rejette le moins de CO2, mais cela ne signifie pas qu’elle est sans conséquence sur l’environnement. En effet, le développement de l’hydraulique a un impact paysager fort et peut modifier les écosystèmes et le cycle de l’eau. Il entraîne parfois des déplacements importants de population.

 L’énergie solaire : elle concerne deux domaines distincts, la valorisation de la chaleur directe et la production d’électricité. La production d’énergie solaire se décline aujourd’hui entre un usage individuel (chauffe-eau solaire, toiture équipée en

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panneaux solaires…) et un usage industriel (parcs solaires au sol et centrales thermodynamiques).

 La géothermie : il s’agit d’utiliser la chaleur du sous-sol. On produit de l’électricité par géothermie essentiellement dans des régions à l’activité géologique intense (Italie, États-Unis, Islande…). On distingue deux types de géothermie, l’une dite de haute énergie, pouvant produire de l’électricité (une seule centrale en France, en Guadeloupe), et l’autre dite de basse énergie, ne produisant pas d’électricité, mais pouvant alimenter directement les systèmes de chauffage. Rappelons que le chauffage domestique ou industriel, individuel ou collectif est le premier poste de consommation énergétique (40% de la consommation énergétique en France). L’apport des énergies renouvelables dans ce domaine mérite d’être examiné.

 L’énergie éolienne : c’est la source d’énergie produisant de l’électricité qui a le plus progressé ces dernières années. La production et la puissance installée ont été multipliées par 10 en 10 ans. La Chine, les États-Unis et l’Allemagne sont en tête au niveau mondial. En France, le nombre d’éoliennes a été multiplié par 20 en 10 ans (Acket, Vaillant, 2011). Les pouvoirs publics ont largement contribué à cette progression en investissant dans cette énergie.

1.1.3 Un élément moteur dans l’histoire de l’humanité

L’énergie a toujours été une composante essentielle de l’amélioration des conditions de vie (Barré, Mérenne-Schoumaker, 2011). Aux débuts de l’humanité, la chaleur solaire et les calories de la nourriture étaient les seules sources d’énergie. Avec la maîtrise du feu, le bois est devenu la source d’énergie principale pour le rester jusqu’au milieu du XIXe siècle. Ensuite, lors la première industrialisation, le charbon est devenu la principale source d’énergie des pays nouvellement industrialisés. Et depuis la deuxième moitié du XXe siècle, le pétrole y est devenu la première source d’énergie suivie par le gaz, tandis que commence l’exploitation de l’énergie nucléaire et des formes modernes des énergies renouvelables. Les sources se sont de plus en plus diversifiées et ont favorisé une croissance démographique et un développement économique rapide, bien qu’inégal. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, l’expansion de l’humanité s’est faite par l’utilisation de l’énergie humaine, des animaux, du vent, de l’eau et du bois. Cependant, il ne faut pas imaginer pour autant que le développement humain était autrefois « durable ». La surexploitation du bois a entraîné une déforestation majeure en Europe (Allen, 2012 ; Rutter, Keirstead, 2012). L’exploitation de la houille a ensuite redonné à l’humanité une marge de croissance et sauvé in extremis les forêts françaises et anglaises (Kander et al., 2013). L’industrialisation a créé une nouvelle demande en énergie, mais a aussi permis l’exploitation de nouvelles ressources. En réalité, l’augmentation de la demande en énergie n’a pas été générée par l’industrialisation. Il s’agit bien d’une consommation accrue d’énergie rendue possible par l’innovation qui a permis l’industrialisation. Innovation technologique et énergie sont intimement liées (Allen, 2012 ; Bouvier, 2012 ; Mumford, 1950). C’est bien la découverte de savoir-faire nécessaires à la transformation de l’énergie qui a permis à l’industrialisation

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d’opérer. La production de vapeur assurée par le charbon révolutionna l’industrie et les transports. Puis ce fut la sidérurgie au coke, l’invention de la dynamo et du premier alternateur. La découverte des techniques de transformation du pétrole, déjà utilisé dans l’antiquité, le moteur à explosion et l’essor de la pétrochimie ont fait du pétrole la ressource de la deuxième révolution industrielle. Le pétrole, avec un pouvoir calorifique supérieur à celui du charbon, offrait plus de débouchés par des coûts d’exploitation plus faibles et une plus grande facilité de transport (Mérenne-Schoumaker, 2011). Dans le même temps, la consommation d’électricité connaissait une hausse considérable. Toutes ces évolutions ont favorisé la maritimisation de l’économie, la déconcentration d’activités et de population aux échelles régionale et locale, et plus globalement de nouvelles répartitions d’hommes et d’activités.

1.2 L’énergie comme objet géographique

1.2.1 Héritages et construction d’un objet disciplinaire

L’énergie comme objet d’étude des géographes n’est pas un fait nouveau. En 1961, dans The Canadian Geographer, John Chapman présentait la géographie de l’énergie comme un champ de recherche émergent. L’intérêt des géographes pour la thématique énergétique se manifeste dans les années 1950 et 1960 dans les travaux de géographie économique où la question énergétique apparaît sous l’angle de la localisation des ressources (George, 1950 ; Chapman, 1961 ; van Zyl, 1968 ; Chardonnet, 1962).

Les pics pétroliers des années 1970 ont ensuite relancé l’intérêt des géographes pour la question énergétique (Guyol, 1971 ; Curran, 1973 ; Odell, 1974 ; Wagstaff, 1974 ; Cook, 1976). Earl Ferguson Cook, géologue de formation, intègre rapidement à ses recherches le rôle de l’énergie dans la société et place durablement l’énergie au cœur des relations entre l’homme et son environnement dans son ouvrage Man, Energy and Society (1976). Ce lien entre la géographie humaine et la géographie physique est à nouveau défendu par Anthony Hoare en 1979 dans son article « Alternative energies : alternative geographies ? » publié dans la revue Progress in Human Geography, puis réaffirmé plus récemment par Vaclav Smil en 2008 dans son ouvrage « Energy in Nature and Society : general energetics of complex systems ». Dans les années 1980, les géographes anglophones commencent à défendre plus explicitement l’apport spécifique des géographes à la question énergétique (Spooner, 1981 ; Wilbanks, 1985 ; Calzonetti, Solomon, 1985). Thomas Wilbanks soulignait dans l’ouvrage Geographical Dimensions of Energy dirigé par Frank Calzonetti et Barry Solomon que l’apport d’une approche géographique de l’énergie résidait à la fois dans la capacité du géographe à manier des concepts spatiaux (localisation, structures et dynamiques spatiales, flux, réseaux, interactions spatiales, échelle, répartition, etc.), mais aussi, comme le rappellera Bernadette Mérenne-Schoumaker en 2007, dans sa capacité à développer une démarche systémique indispensable pour analyser et comprendre les territoires.

Les principales approches géographiques de l’énergie pendant cette période (1950-1990) analysent les chaînes d’approvisionnement énergétique, identifient les facteurs de localisation qui expliquent la répartition spatiale du secteur énergétique, évaluent les risques environnementaux et

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économiques des installations de production, en particulier dans le contexte du développement de l’énergie nucléaire, cherchent à comprendre la diffusion des technologies de l’énergie et font la cartographie des variations régionales de production, distribution et utilisation de l’énergie. Le point commun fondamental de ces premiers travaux réside dans la volonté de contribuer à une géographie de l’énergie comme domaine disciplinaire impliquant un ensemble cohérent de pratiques scientifiques et un cadre épistémologique, théorique et conceptuel commun.

Par la suite, la thématique énergétique intervient de façon transversale dans des travaux portant sur les transports, l’environnement, les villes, le climat, la gestion des ressources, dans une perspective de développement durable. C’est au cours des années 2000, dans un contexte de prise de conscience des crises économique, climatique et environnementale, que les géographes semblent renouer avec cette géographie de l’énergie, principalement dans la géographie anglophone où Barry Solomon et Martin Pasqualetti rappellent cet héritage en 2004. Pourtant comme le démontre Kirby Calvert en 2015 (p. 4), « il n’y a pas de désir perceptible au sein de la communauté des géographes étudiant l’énergie de produire une approche cohérente » qui pourrait être considérée comme une géographie de l’énergie, de la même façon qu’il existe une géographie urbaine, une géographie des transports, une géographie du tourisme, etc. Kirby Calvert précise en effet, en s’appuyant sur les analyses de Derek Spooner (2000) et de Karl Zimmerer (2011), que de nombreux géographes contemporains qui étudient l’énergie ont adopté un pluralisme théorique et conceptuel de manière explicite. Les approches géographiques sur l’énergie s’inscrivent dans des cadres conceptuels, théoriques et méthodologiques très variés issus de disciplines différentes et de plusieurs domaines géographiques. Dans ce contexte, les approches géographiques de l’énergie se situent dans une zone de convergence multidisciplinaire. « L’énergie est simultanément une entité physique dérivée de processus naturels, une relation sociale dans la mesure où ces entités physiques sont socialement construites comme des ressources grâce à des processus politico-économiques et culturels, mais aussi un facteur de spatialisation des activités sociales et économiques, et le principal médiateur de notre relation avec l’environnement » (Calvert, 2015, p. 4).

Les géographes de l’énergie travaillent ainsi à structurer leurs recherches à la fois dans