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L’émergence de nouveaux profils

Si les deux métiers ne sont pas appelés à fusionner mais à converger, la présence dans les bibliothèques de profils intermédiaires qui jouent le rôle de médiateur ou d’interface est appréciée de part et d’autre4, même si « des gens à double culture, c’est assez rare. Il y a des gens sur l’interface : des bibliothécaires qui, à force de travailler avec des informaticiens, sont en osmose ; d’autres qui à force de travailler sur les besoins se font fort de traduire dans les deux sens ; et puis certains qui ont la grâce de maîtriser les deux mais c’est très rare : c’est une maîtrise des techniques plus que de l’informatique. » Ces profils, « rares » donc « précieux », parce qu’ils parlent les deux langues5, facilitent le dialogue entre les professions, comme en témoignent les bibliothécaires qui jouent ce rôle6.

Certains, toutefois, ressentent une forme de décalage, comme cette bibliothécaire en SCD : « parfois, je me demande auquel des deux mondes

des logiciels de questions-réponses et donc on oubliait qu’on devait répondre. Maintenant on a quelque chose qui permet de répondre dans la seconde. » [Une bibliothécaire en grand établissement]

1 « Il y a, je pense, un fossé irréductible. On ne fait pas d’un bibliothécaire un bon informaticien et on ne fait pas d’un

informaticien un bon bibliothécaire. On peut arriver à faire communiquer les deux métiers, à faire comprendre à l’un les besoins et les exigences de l’autre, mais tu te heurteras toujours à une frontière. » [Un bibliothécaire en SCD]

2 « Il va y avoir tout un noyau de nos activités qui n’ont rien à voir avec l’informatique : le développement intellectuel des

collections, le lien avec le public, les animations, la formation, la médiation, l’action culturelle… tout un pan extrêmement important de nos métiers, qui ne touche pas aux outils informatiques même si l’informatique peut aider. Devenir des informaticiens complets, je ne vois pas du tout, parce qu’il y aura toujours tout un tas de tâches qui ne relèvent pas du tout de ce genre de domaine. » [Une bibliothécaire en SCD]

3 « Ce discours-là est même dangereux parce qu’on a déjà suffisamment de mal à fai re reconnaître au sein des universités

la réalité du métier de bibliothécaire. De la part des décideurs, du corps enseignant ou du public, il y a toujours un peu cette idée que n’importe qui peut être bibliothécaire. Il faut réaffirmer dès qu’on peut que b ibliothécaire, c’est un métier et qu’il faut une formation spécifique. » [Un bibliothécaire en SCD]

4 « C’est ce qu’il faudrait dans tous les métiers. Il faudrait des gens qui puissent faire l’interface entre l’informatique et le

métier. […] C’est le cas entre tous les métiers très spécifiques et l’informatique. » [Un informaticien en SCD] « On a des gens tampons qui assurent la médiation. Il ne faut pas laisser les informaticiens dans leur coin. […] Je suis moi -même une personne tampon parce que j’ai cette culture qui me permet d’expliquer à des gens les choix qui sont faits. » [Un bibliothécaire en grand établissement]

5 « Ça va être de plus en plus précieux, pour les bibliothèques, pour leurs projets, d’avoir quelqu’un , justement, qui a des

compétences pour voir un peu les grandes lignes de la mise en place de ces projets sur le plan technique et avoir un dialogue avec les informaticiens qui peuvent avoir un jargon comme tous les métiers, et donc de savoir parler cette langue et de parler la langue des bibliothécaires, qui n’est pas forcément très facile. » [Une bibliothécaire en SCD]

j’appartiens. Je suis vraiment une bibliothécaire mais parfois le décalage avec certains collègues est tel que j’ai plus de distance avec eux qu’avec des collègues de l’informatique. […] Moi qui me ressens comme une traductrice, il m ’est arrivé une fois ou deux que quelqu’un doive me traduire auprès d’un bibliothécaire. » D’autres, enfin, quoiqu’ils en aient le profil, refusent l’idée d’être une « interface » et choisissent de garder leur identité de bibliothécaire : « je suis bibliothécaire. Dès qu’on dit qu’on est interface machin chose, on perd le côté généraliste du bibliothécaire. […] Il faut faire très attention à ne pas mélanger les genres . » [Un bibliothécaire en SCD]

Or, il peut arriver que les genres se mélangent avec l’apparition, non plus simplement d’interfaces entre les deux mondes mais de profils vraiment mixtes1. L’intérêt que représentent de telles personnes est indéniable2 bien que, de manière

générale, une double compétence implique nécessairement des limites : « j’étais une créature à compétence hybride, avec toutes ses limites. […] Avoir quelqu’un qui a une double casquette, ça rencontre ses limites en termes de disponibilité, de profondeur de compétence, mais c’est très intéressant » [une bibliothécaire en grand établissement] ; « les gens biclassés sont mal vus et pas valorisés. […] Les profils atypiques posent problème parce que quand ils partent, on ne peut pas les remplacer. […] Ça reste des cas exceptionnels. » [Un informaticien en SCD]

Et de fait, ces cas ne semblent pas devoir émerger réellement avant bien longtemps3, ou alors seulement dans certains domaines des bibliothèques, par

exemple celui, au sens large, de la gestion des données4, où le conservateur peut devenir « conservateur numérique, conservateur de données… », comme le propose un bibliothécaire en grand établissement5, qui peut même voir des informaticiens se

rapprocher du métier de bibliothécaire :

Je pense que ça peut être des cas particuliers… en fait de plus en plus, des informaticiens qui s’intéressent aux données et au web de données, ils ont un peu un esprit bibliothécaire, de vouloir classifier le monde… en quelque sorte le web de données réinvente dans son coin, dans le coin des informaticiens, ce qui a été fait dans les bibliothèques depuis des années, depuis des lustres. [Une bibliothécaire en grand établissement]

Car, effectivement, les enjeux ne sont-ils pas essentiellement ceux, traditionnels, des bibliothèques mais dans un autre contexte ? Comme l’exprime une bibliothécaire évoluant dans ce champ : « je me sens complètement conservateur : je ne suis pas capable d’être informaticienne. Je ne me sens pas du tout

1 « C’est inévitable qu’il y ait de plus en plus de profils à cheval sur les deux mondes : c’est ce qui fera la qualité justement

de la bibliothèque. Mais c’est vrai dans n’importe quel autre métier… je veux dire… cette double compétence, aujourd’hui un informaticien qui n’a pas de double compétence, sur le marché, il est difficile à placer. » [Une informaticienne en grand établissement]

2 « Je pense que des gens qui ont vraiment un double profil, ils sont très rares, et ça en général. Mais ce serait extrêmement

utile parce que ce serait quelqu’un qui maîtriserait la chaîne de bout en bout : il aurait à la fois la maîtrise des besoins des bibliothèques et une vision claire des enjeux techniques et de la meilleure solution à adopter, où en général, le conservateu r, il est un peu obligé de se conformer à ce que lui dit le prestataire. » [Un bibliothécaire en SCD]

3 « Je n’ai pas l’impression qu’il y ait un mouvement de fond. Il y a un besoin mais pour l’instant je ne le vois pas avant

dix ans. Pour l’instant, je vois plutôt une orientation vers des community managers, médiation, service aux publics, communication… et pas du tout vers des bibliothécaires-informaticiens, ça sera peut-être après. Les besoins de ce genre de profil, ce sera peut-être un bibliothécaire par établissement et encore, je ne suis même pas sûre qu’il faille une personne par établissement. » [Une bibliothécaire en SCD]

4 « Dès qu’on parle de gestion de données, il y a besoin de compétences informatiques. Soit on confie ces données à

quelqu’un d’autre, soit on les confie à un bibliothécaire et, dans ce cas le terme, de bibliothécaire lui-même devient un peu problématique, on devient des spécialistes de l’information. » [Une bibliothécaire en SCD]

5 Il poursuit : « il y a un flou, les frontières s’effacent. On est clairement plus avancé dans la technique que des postes

informaticienne. Et ce que je fais, c’est un vrai métier de conservateur mais adapté au web. Ce qu’on fait, ce sont les misions d’une bibliothèque mais dans le contexte du web. » Plutôt que de devenir des « hybrides » bibliothécaires-informaticiens, à en croire les bibliothécaires interrogés, la profession évoluerait plutôt de généraliste à polyspécialiste : « on demande déjà tellement de choses aux bibliothécaires : d’être des informaticiens, des gestionnaires, de faire des ressources humaines, d ’être des communicants… » [Une bibliothécaire en SCD] Ou, pour finir, comme l’exprime plus en détail une bibliothécaire à la retraite :

Il y a des collègues qui vont se spécialiser là -dedans. Je pense qu’on va encore avoir besoin de généralistes pour diriger des établissements aussi compliqués que des bibliothèques, des gens qui ne sont pas complètement nuls en informatique, parce que ça, c ’est une cata, qu’on ne leur raconte pas n’importe quoi et puis qui sachent recruter de bons informaticiens. Mais enfin, ils ne vont pas devenir informaticiens parce qu ’ils ont d’autres chats à fouetter, qu’ils aient de bonnes notions de comptabilité, d ’administration, de gestion du personnel, et puis aussi de… des collections parce que c’est une bibliothèque, c’est pas une entreprise ! Qu’ils aient des idées sur le développement des collections. Ceux-là, ils n’ont pas le temps d’être informaticiens !

CONCLUSION