• Aucun résultat trouvé

L’ ÉLIMINATION HÉPATIQUE DES MÉDICAMENTS

2. L A CINÉTIQUE DES MÉDICAMENTS

2.4. L’ ÉLIMINATION HÉPATIQUE DES MÉDICAMENTS

L’élimination hépatique d’un médicament peut se diviser en trois étapes. Tout d’abord, le médicament doit être importé dans les hépatocytes par diffusion passive ou par transport actif par des transporteurs d’influx tel que l’OATP. Le médicament peut ensuite être biotransformé par les enzymes de phase I et de phase II hépatiques. Finalement, le médicament, biotransformé ou non, peut être rejeté dans la bile par des transporteurs d’efflux tels que la P-gp ou les MRP. Les médicaments biotransformés peuvent aussi être retournés dans la circulation systémique et éliminés par les reins. Comme mentionné précédemment, il est connu, que l’IRC peut affecter la biotransformation et le transport intestinal des médicaments, au moins dans des modèles animaux, il est donc tout à fait possible que ces processus soient aussi modifiés dans le foie en IRC.

2.4.1LA BIOTRANSFORMATION HÉPATIQUE DES MÉDICAMENTS EN IRC

Chez des patients souffrant d’IRC, une augmentation de la demi-vie de certains médicaments à élimination majoritairement métabolique a été observée. Par exemple, le repaglinide, un agent hypoglycémiant métabolisé par les CYP2C8 et CYP3A4 hépatiques excrété par voie biliaire, présente une demi-vie 4 fois plus longue chez les patients souffrant d’IRC à un stade avancé. Ceci démontre une importante diminution des

clairances biliaire et métabolique du repaglinide chez les patients souffrant d’IRC21. De plus, une étude in vivo portant sur le métabolisme de l’érythromycine, mesuré par test d’exhalation, a permis de démontrer une diminution de 28 % de sa biotransformation dans des cas de maladies rénales au stade terminal63. Le test d’exhalation de l’érythromycine consiste à administrer, par voie intraveineuse, de la N-méthyl-érythromycine marquée au carbone 14 (14C) sur son groupement méthyle. La biotransformation de l’érythromycine par le CYP3A4 entraîne la libération du groupement méthyle. On retrouve le 14C ainsi libéré dans le CO2 expiré par le patient. Il a été démontré que la quantité de 14C expiré est

directement proportionnelle à l’activité du CYP3A464. Les résultats de Dowling et al. suggèrent donc une réduction de 28 % de l’activité du CYP3A4 chez les patients atteints de maladies rénales au stade terminal, cette isoforme étant responsable du métabolisme de la majorité des xénobiotiques chez l’humain63.

Des observations semblables ont été rapportées pour les réactions de phase II. Par exemple, la diacéréine, un anti-inflammatoire non stéroïdien majoritairement métabolisé par le foie par deux réactions de phase II, c.-à-d. 60 % de chaque dose administrée est glucuronidé, 20 % est sulfaté alors que seulement 20 % est éliminé inchangé par les reins, voit sa pharmacocinétique affectée par l’IRC65. En effet, une étude de Debord et al. (1994)66 démontre que le métabolisme non rénal de la diacéréine est diminué de 40 % chez les patients souffrant d’IRC sévère. La diminution du métabolisme non rénal de la diacéréine observée est assez importante pour que l’auteur recommande une diminution de 50 % de la dose administrée chez un patient souffrant d’IRC par rapport à un patient en santé66. D’autres études ont aussi démontré que la glucuronidation de la morphine et de la zidovudine était aussi diminuée en IRC. En effet, un groupe a observé une clairance métabolique réduite de la morphine chez des patients avec insuffisance rénale sévère ou dialysés67 et un autre groupe a rapporté une clairance non rénale de la zidovudine diminuée de 48 % chez des sujets souffrant d’insuffisance rénale sévère68. De plus, plusieurs études ont démontré que l’acétylation était réduite chez les patients ayant une fonction rénale réduite comme démontré par la diminution de la clairance non rénale du procaïnamide69-71 et de l’isoniazide72. La clairance de l’isoniazide est normalisée après une greffe rénale72.

De nombreuses études dans des modèles animaux ont tenté de démontrer les effets de l’IRC sur la biotransformation hépatique des médicaments. La plupart des groupes se sont concentrés sur le Cyp3a puisqu’il est le plus abondant dans le foie et puisqu’il est le CYP le plus impliqué dans le métabolisme des médicaments actuellement sur le marché34, 73, 74. Plusieurs groupes ont démontré d’importantes réductions de l’expression et de l’activité in vivo et in vitro des Cyp2c11, Cyp3a1 et Cyp3a2 dans le foie de rats néphrectomisés75-79 résultant d’une diminution de l’expression génique des différentes enzymes en réponse à des facteurs urémiques présents dans le sérum de rats néphrectomisés et de patients souffrant d’insuffisance rénale terminale75, 80, 81. De plus, l’hémodialyse semble pouvoir retirer les facteurs responsables de ces diminutions puisque le sérum de patients souffrant d’insuffisance rénale terminale prélevé immédiatement après l’hémodialyse n’a pas d’effet modulateur sur l’expression du CYP dans des hépatocytes de rats77.

Quelques groupes ont étudié les impacts de l’IRC sur le métabolisme de phase II hépatique dans des modèles animaux. L’expression et l’activité des enzymes catalysant la glucuronidation, les uridines diphosphate-glucuronosyl transférases (UGT), et les enzymes catalysant l’acétylation, les N-acétyltransférases (NAT), ont été mesurées dans le foie de rats IRC. Alors que les UGT ne sont pas affectées par l’IRC dans un modèle de rat82, des réductions de plus de 30 % des expressions protéiques et géniques de Nat1 et Nat2 ont été rapportées dans le foie de rats néphrectomisés83. De plus, la N-acétylation de l’acide para-aminobenzoïque (PABA) par Nat2, mesurée in vitro dans des cytosols de foie de rat, était réduite de 50 % chez ces mêmes rats83. Encore une fois, l’incubation d’hépatocytes de rats avec du sérum d’animaux néphrectomisés pouvait entraîner la diminution de l’expression protéique des NAT83. Ceci suggère que des facteurs urémiques présents dans le sérum d’animaux néphrectomisés causent les changements de l’expression des NAT.

Plusieurs facteurs urémiques pourraient être impliqués dans la diminution de l’expression et de l’activité des CYP et des NAT. Un de ceux-ci est l’hormone parathyroïdienne (PTH) dont les concentrations plasmatiques sont fortement augmentées en IRC à cause d’une hyperparathyroïdie secondaire84. En effet, la PTH peut moduler

l’expression du Cyp3a dans des hépatocytes de rat de façon dose-dépendante. De plus, chez des rats ayant subi une parathyroïdectomie (ablation des glandes parathyroïdes) avant l’induction de l’insuffisance rénale, la diminution de l’expression et de l’activité du Cyp3a et des NAT est moindre que chez des animaux souffrant seulement d’IRC83, 84. Ceci indique que la parathyroïdectomie semble prévenir la diminution de l’expression et de l’activité du Cyp3a et des NAT chez le rat néphrectomisé suggérant l’implication de la PTH dans ces diminutions83, 84.

D’autres facteurs comme les cytokines pro-inflammatoires qui sont fortement augmentées en IRC85-88 et capables de moduler l’expression du CYP hépatique89, de même que des toxines urémiques telles que l’indoxyl sulfate (IS) et l’acide 3-carboxy-4-méthyl-5- propyl-2-furan-propanoïque (CMPF) pourrait aussi être impliquées dans la réduction de l’activité des CYP en IRC. En effet, l’IS peut inhiber la biotransformation du losartan par les Cyp2c et Cyp3a dans des microsomes de foie de rat de façon non compétitive90. De plus, il a été démontré que l’IS et le CMPF peuvent, à de fortes concentrations, directement inhiber l’activité du Cyp3a dans des microsomes de foie de rat tel que mesuré par la N-déméthylation de l’érythromycine91.

2.4.2LE TRANSPORT HÉPATIQUE DES MÉDICAMENTS EN IRC

Dans le foie, des transporteurs d’influx et d’efflux permettent aux médicaments de traverser les membranes plasmiques. Les transporteurs d’influx, situés sur la membrane basolatérale des hépatocytes, extraient leurs substrats de la circulation sanguine et les transportent jusqu’à l’intérieur des cellules hépatiques. Les médicaments sont ainsi accessibles aux enzymes de biotransformation hépatiques et aux transporteurs d’extrusion situés sur la membrane apicale des hépatocytes qui les rejettent dans la bile. Les principaux transporteurs d’influx hépatiques sont les OATP, les organic anion transporters (OAT) et les organic cation transporters (OCT). Parmi les transporteurs d’extrusion, les plus importants sont la P-gp, les MRP et la breast cancer resistance protein (BCRP). La P-gp et MRP2 sont toutefois les transporteurs d’efflux les plus impliqués dans l’élimination des médicaments92-

Avant le début de mon doctorat, très peu d’études avaient évalué les répercussions de l’IRC sur le transport hépatique des médicaments. Un groupe avait rapporté que les expressions protéique et génique de Mrp2 étaient augmentées six semaines post- néphrectomie. Le même groupe n’avait toutefois pas observé de modification de la P-gp dans le foie des mêmes animaux comparativement aux témoins95. Toutefois, les auteurs n’avaient pas mesuré l’expression et l’activité des transporteurs d’influx en IRC95. L’activité de ces transporteurs en IRC avait été étudiée indirectement dans une étude de Sun et al. portant sur les effets de différentes toxines urémiques sur l’import de l’érythromycine dans des hépatocytes de rat91. Ils ont ainsi démontré que le CMPF peut directement inhiber l’import de l’érythromycine dans l’hépatocyte par Oatp2 ce qui suggérait que l’activité de l’Oatp2 hépatique pouvait être diminuée en IRC, bien qu’aucune étude in vivo ne l’ait confirmé91.

Une telle diminution de l’activité de l’Oatp2 hépatique en IRC laissait supposer que des diminutions du transport et de la biotransformation hépatique des médicaments sont responsables de la clairance hépatique réduite de certains médicaments en IRC91. Toutefois, plus d’études étaient nécessaires pour bien identifier les impacts de l’IRC sur le transport hépatique des médicaments.

Documents relatifs