le triptyque au cœur du bien-être des adolescents
B) L’école, les pairs et les parents : des facteurs interdépendants et cumulatifs
B) L’école, les pairs et les parents : des facteurs interdépendants et cumulatifs
Le deuxième résultat qui ressort de l’exploration des bases de données (inter)nationales est que les parents ne sont pas les seuls leviers du bonheur ou du bien‐être des adolescents. L’école – et plus exactement le climat scolaire9 – et les pairs y participent de manière non négligeable. Chez certains, il s’agit même des principaux ressorts de leur niveau de bien‐être, ceux qui augmentent le plus leur chance d’indiquer un score de BES très élevé.
Le tableau 2 met en évidence les poids des principaux déterminants toutes choses égales par ailleurs. Pour chaque classe sociale, il souligne l’effet propre des variables relatives au climat scolaire (composé ici du sentiment d’appartenance à l’école, du niveau d’anxiété vis‐à‐vis de la réussite scolaire et du niveau de harcèlement des pairs et des professeurs) et le compare à celui des niveaux d’investissement des parents dans les activités ordinaires ou scolaires des adolescents. Il ressort que pour la majorité des jeunes le rôle du climat scolaire impacte autant voire davantage le niveau de bien‐être que l’investissement des parents dans la vie des enfants.
9 Le climat scolaire renvoie aux différents jugements que portent les élèves sur leur expérience de vie au sein de l’école. Cela inclut à la fois l’atmosphère générale de l’école (si les adolescents s’y sentent en sécurité, s’ils aiment y aller, etc.), la qualité des relations avec les enseignants et les autres élèves, et enfin à la qualité des enseignements et de la pédagogie (non prise en compte ici). Pour ce rapport, le climat scolaire se limite au trois premières variables mentionnées.
Tableau 2. L’effet socialement différenciés de l’investissement parental bien‐être des jeunes en France
Source: PISA 2015, Données France ; Champ: Enfants âgés de 15 ans (n=4804) ; Lecture: Les enfants de classes supérieurs qui indiquent un niveau élevé d’investissement des parents dans leurs activités quotidiennes ont plus de chances d’avoir un score élevé de bien‐être que ceux qui déclarent un faible niveau d’investissement de leurs parents dans ce domaine (OR=2,39).
Le second enseignement de ce tableau est que les inégalités de niveau de bien‐être entre les jeunes ne se limitent pas à une probabilité inégale d'être soumis ou confrontés à des facteurs qui y sont positivement ou négativement liés. Elles se manifestent également à un second niveau, lorsque les adolescents font l'expérience d’un même niveau d’anxiété, de sentiment d’appartenance ou déclarent un niveau similaire d’investissement parental dans leur vie ordinaire ou scolaire. Leur impact sur le niveau de bien‐être perçu diffère, voire s'inverse, selon le milieu social d’appartenance des garçons et des filles. Alors qu’un niveau élevé de harcèlement par les professeurs tend à réduire le niveau de bien‐être chez les adolescents des classes supérieures et moyennes (en particulier chez celles et ceux qui sont issus des fractions intellectuelles), il semble avoir une influence positive sur leurs camarades issus des classes ouvrières. Si cette constatation va à l'encontre de la plupart des enquêtes quantitatives sur le bien‐être des jeunes – qui mettent généralement en évidence une association négative entre la satisfaction de la vie des jeunes et les mauvaises relations entre enseignants et élèves –, elle fait écho à l'ouvrage classique de Paul Willis, Learning to Labour (Willis, 2011). Dans cette recherche, l’auteur montre que les enfants des classes populaires sont les dépositaires d’une culture anti‐scolaire qui s'oppose aux objectifs académiques, à l'ethos et aux règles légitimes de l'école. Provoquer les enseignants, éviter de faire des travaux
scolaires et perturber le bon déroulement de la journée constituent le cœur de cette culture et augmentent la réputation et le statut des élèves parmi leurs pairs. Dans ce contexte, nous pouvons comprendre pourquoi des relations problématiques avec les enseignants peuvent améliorer le bien‐être subjectif des enfants des classes populaires, quand elles diminuent celui des jeunes des autres milieux sociaux qui font montre d’une « bonne volonté culturelle » vis‐à‐vis de l’école et des institutions culturelles légitimes (Bourdieu, 1979).
Le dernier enseignement, issu de ce travail, est que les déterminants d’ordre scolaire et d’ordre familial sont liés et ne peuvent être dissociés dans l’analyse du bien‐être subjectif des adolescents. L’investissement des parents dans les activités scolaires des enfants est fortement associé au niveau de stress que les garçons et les filles ressentent vis‐à‐vis de l’école et de la réussite scolaire. D’un point de vue plus positif, il contribue au fort sentiment d’appartenance des jeunes à l’école qui participe grandement au niveau de bien‐être global des adolescents. De même, l’implication des pères et des mères dans la vie ordinaire de leur enfant est en partie liée avec l’effet plus ou moins négatif que peut avoir le harcèlement des pairs et des professeurs. Plus les parents sont présents dans la vie quotidienne de leur enfant, moins le harcèlement scolaire (effectué par les pairs ou les professeurs) affecte le niveau de bien‐être général des jeunes (excepté chez les classes populaires qui, comme nous l’avons vu précédemment, accordent une plus grande importance à la sociabilité entre pairs qu’à la sociabilité intrafamiliale). En d’autres termes, les différents niveaux d’investissement parental médiatisent en partie l’influence des variables liées au climat scolaire sur le BES des garçons et des filles. Ce faisant, il est important de les saisir dans un même mouvement. Non seulement cela permet de garder à l’esprit que les univers scolaires et familiaux des enfants ne sont pas hermétiques l’un à l’autre et que les différents déterminants du bien‐être s’articulent, se cumulent voire se nuancent, mais cela offre surtout l’opportunité de rendre compte du fait que les conditions de bien‐être ne sont pas identiques selon les contextes économiques, sociaux et culturels dans lesquels les adolescents vivent.