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L’école française visée et critiquée

III – L’éducation à la diversité

3) L’école française visée et critiquée

Dans les années 1970, Pierre Bourdieu51 avait une théorie qui visait à montrer que le système d’enseignement français reproduisait l’ordre social (et donc ses inégalités) et légitimait un classement scolaire, par une « violence symbolique », implicite. En clair, l’école, qui ne vit pas en dehors du champ social, peut être aussi un lieu de reproduction des préjugés discriminatoires et racistes. Marek Halter52 (1998), écrivain et cofondateur de SOS Racisme, parle lui de rupture créée par l’école pour les « enfants qui [J] sont venus d’ailleurs ».

Cette situation interpelle l’école française qui n’a pas de mission clairement définie en matière d’éducation contre le racisme et d’éducation à la diversité, bien qu’elle se situe au croisement d’instances de socialisation (familles, quartiers, associationsJ). On pourrait alors craindre que « si la société civile et laïque ne cherche pas à combler dans un projet de société clair et partagé, le vide éthique » (Abdallah-Pretceille, 2005, p. 39), il y aura des répercussions sociétales telles que « l’éclosion des individualismes et des replis sur soi ou sur son groupe » (p. 40). Pourtant, l’école française s’est bien positionnée car dans le pilier 6 du socle commun, il y a une vocation à éduquer contre les discriminations et les entrées « se connaître, prendre confiance ainsi que connaître les autres et accepter les différences » sont privilégiées. Les programmes, concernant l’instruction civique et morale, font également référence au respect d’autrui et au « vivre ensemble » : l’école vise des objectifs d’universalisation (transmission d’une culture, de compétences et connaissances communes) mais elle se doit aussi de respecter et de reconnaître la diversité de la société. D’où cette idée que le « vivre ensemble» qui s’apprend et se travaille, mérite une réflexion permanente pour que l’école puisse jouer un rôle efficace en faveur de l’éducation à la diversité.

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Bourdieu, Pierre et Passeron, Jean-Claude. La reproduction. Eléments pour une théorie du système

d'enseignement. Paris, Editions de Minuit, 1970.

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Halter, Marek. « La parole contre la violence ». Entretiens Nathan, et Bentolila, Alain. L’Ecole contre

Pour cela, l’Union Européenne (Programme SOCRATES de l'UE, 2006) préconise de :

« 1. Développer un vocabulaire commun en matière d’éducation à la diversité englobant des concepts relatifs aux stéréotypes, aux préjugés, au racisme et à toutes les formes de discrimination.

2. Développer une approche transversale de l’éducation à la citoyenneté dans son projet d’établissement, conformément aux exigences des Socles de compétence et des Compétences terminales.

3. Adapter les pratiques scolaires à des objectifs d’éducation à la diversité.

4. Contribuer à créer un environnement qui légitime les différences pour légitimer le respect de normes communes, un environnement qui respecte les différences culturelles et l’équité en valorisant la prise de responsabilité de chacun. »

Tout au long de sa scolarité, l’élève doit alors être amené à « réfléchir sur lui- même, sur les autres, sur son environnement » (Crutzen, 2005). Ces éléments traduisent une volonté d’adapter l’école aux défis posés par la pluralité de nos sociétés européennes. Martine Abdallah-Preteceille (1992) parlait de redéfinir le rôle de l’école dans nos « contextes pluriethniques, multilingues et pluriculturels » et les institutions s’y essaient. Mais cet impératif éducatif n’est pas sans poser des questions d’ordre professionnel aux instances éducatives et aux enseignants français. Et cela d’autant plus que les outils disponibles pour les enseignants en termes de formation, d’étayage et de ressources restent quasiment inexistants. Récemment, des initiatives extérieures à l’école53 ont émergé afin de mettre à disposition des enseignants des documents et des supports pédagogiques afin d’engager l’ouverture et les débats sur la diversité et la lutte contre les discriminations. Par ces initiatives, les différentes facettes du rôle de l’école pourraient assumer une fonction d’intégration et de lutte contre les discriminations, « si un consensus entre le passé, le présent et le futur est fait » (Abdallah-Pretceille, 1992).

Pour Brice Nkonda54 (2012), fondateur du CQFD55, malgré les directives actuelles et une réalité démographique, c’est la problématique d’un enseignement « monochrome » qui apparaît encore et toujours, accompagné de la rupture dont parlait Halter. Il montre du doigt les enseignements actuels qui ne permettent pas aux jeunes issus de la diversité raciale de s’identifier à l’école. Les programmes scolaires et les recommandations ne leur permettent pas d’avoir accès à une partie

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On pense ici à la fondation Lilian Thuram ou au projet éducatif « Briser le silence » du réSEAU par exemple.

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Nkonda, Brice. « Evolution des programmes scolaires pour une France multiculturelle ». Le Conseil des Quartiers de France pour la Diversité, 4 février 2012 http://www.ladynamiquecqfd.org/wordpress/?p=971

55

CQFD : Conseil des Quartiers de France pour la Diversité, cercle de réflexion et d’action dédié aux quartiers sensibles de France et, plus généralement, à la diversité de la France. http://www.ladynamiquecqfd.org.

de leur histoire (antiquité, période précoloniale, esclavage, colonisation) et cela pose la question de leur propre place dans la société française (Nkonda, 2012). Et pour aller plus loin, dans sa thèse, Valérie Lanier56 (2012) cite Marie Lavin57, qui écrit que l’ «on peut regretter que le choix des images [des manuels scolaires] aille souvent dans le sens du renforcement des stéréotypes les plus anciennement ancrés dans l'imaginaire de nos sociétés. » (2007, p.103). Elle pointe aussi du doigt le caractère invisible et donc « choquant » de l’immigré. Michel Vandenbroeck (2005) associe cela au concept de « racisme par omission » (p. 201). Ainsi, certains jeunes vont se désintéresser de cet enseignement « eurocentriste », tandis que d’autres vont l’assimiler parfaitement (Nkonda, 2012), ce qui conduit à une distanciation de deux groupes d’élèves, soit à un certain communautarisme (cf I-3 La notion d’intégration).

Pour une éducation à la diversité efficace en milieu scolaire, Brice Nkonda (2012), insiste alors sur la nécessité d’élargir le champ des ouvrages, que ce soit pour les œuvres à visée historique et plus généralement, pour les supports littéraires (romans, poèmes, biographiesJ), utilisés en classe. L’objectif est d’ajouter aux personnages de l’histoire de France emblématiques (Charlemagne, Louis XIVJ) des figures noires importantes, telles que Toussaint Louverture, Aimé CezaireJ Ces figures noires font lien avec les programmes scolaires, le but étant que tous les jeunes les connaissent et que chacun se reconnaisse de manière positive dans les enseignements prodigués. Pour cela, le CQFD propose plusieurs axes pédagogiques (pour le collège et le lycée), et les figures noires sont à l’honneur dans deux de ces principaux axes :

« a) Civilisations et rapports entre les différents peuples dans l’Antiquité, présence de grands empires en Afrique avant l’esclavage : l’un des objectifs est de montrer que l’homme africain est bien entré dans l’Histoire puisqu’il en est à l’origine, que des civilisations et des empires puissants et prospères préexistaient à l’arrivée de l’homme blanc. »

« c) La légitimité de la présence des noirs, des maghrébins, des asiatiques sur le territoire français (esclavage, colonisation, néo-colonisation) : la présence de toutes ces populations en France n’est pas le fruit du hasard mais la résultante d’une longue histoire commune. Sur cette base, il convient de ne pas stigmatiser les flux historiques d’immigration car ce sont les européens qui, dans un premier temps, ont manifesté une attitude impérialiste d’appropriation de territoires et de peuples. »

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Thèse intitulée « L'accueil des enfants (d') immigrés dans les écoles françaises. Education entre culture familiale et culture du pays d'arrivée », publiée en mai 2012

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Marie Lavin est historienne et inspectrice d’académie, elle a publié un article dans le VEI-diversité n°149 intitulé : « «L’image des immigrés dans les manuels scolaires ».

Avant l’entrée au collège, le Moyen Age et le XVIII ème siècle sont des périodes que les élèves doivent étudier à l’école. Ces périodes impliquent la présence d’africains, et donc de personnages noirs, car les échanges avec les autres civilisations de la Méditerranée est un fait important du Moyen Age. L’étude du XVIIIème siècle implique l’étude de l’esclavage et du commerce triangulaire, là encore l’étude des figures noires est exploitable en classe. Ces sujets sont propices à l’utilisation d’ « un récit et à l’observation de quelques documents patrimoniaux » (Programmes de l’Education Nationale, 2008) 58 dans lesquels figurent des représentations de personnages noirs, leurs faits ou leurs écrits.

Alors que Françoise Barret-Ducrocq écrivait que l’intolérance et l’ignorance donnent naissance à des frayeurs identitaires ou contribuent à les renforcer (1998), Brice Nkonda (2012) propose de pallier à cela en illustrant les enseignements de façon réfléchie. En mettant sur le devant de la scène des figures noires, « les jeunes français d’origine africaine pourront se construire un héritage culturel et historique positif » (non paginé). Ainsi, ces jeunes auront le sentiment d’être concernés par une école, et donc une société, qui ne les oublie pas dans une histoire dite commune : « le flou identitaire et culturel qui anime leur regard sera en partie dissipé par la connaissance de modèles « à leur image », et donc de repères » (Nkonda, 2012, non paginé). En 2005, Pap Ndiaye s’exprimait sur le même principe :

« On suspecte que lorsque les enfants d’origine antillaise ou africaine découvriront que les manuels d’histoire parleront des populations noires comme partie intégrante de la communauté nationale, quelque chose comme une fierté d’être des citoyens comme les autres se fera un jour, et cela sera une bonne nouvelle. » (Ndiaye, 2005, p.108)

On peut également suspecter que « lorsque tous les enfants découvriront que les manuels scolaires parleront des populations noires comme partie intégrante de la communauté nationale », c’est aussi sur le plan de l’acceptation de l’Autre, avec ses différences, que quelque chose se fera.

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Bulletin officiel de l’Education Nationale, hors série n°3 du 19 juin 2008, programme CE2, CM1, CM2, histoire – géographie.

IV – Problématique, question, hypothèses et méthodologie