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L’ ÉCO PRAGMATISME , UNE APPROCHE VÉRITABLEMENT PLUS APPLICABLE ?

CHAPITRE 2 : LES PROBLÈMES DE L’APPROCHE PRAGMATIQUE

2.5 L’ ÉCO PRAGMATISME , UNE APPROCHE VÉRITABLEMENT PLUS APPLICABLE ?

Les éco-pragmatistes soutiennent que l’un des principaux avantages de leur approche est qu’elle est plus applicable que celle de leurs rivaux en éthique environnementale. En effet, leur processus de consultation des communautés impliquées dans chaque enjeu ouvrirait la porte à la mise en place de politiques adaptées. Nous avons vu dans ce chapitre quelques critiques que l’on peut adresser à l’approche pragmatique mais, celles-ci pourraient cependant s’avérer secondaires devant les réalisations de l’approche éco-pragmatique dans le monde réel. Or, bien qu’une trentaine d’années se soient écoulées depuis les débuts officiels de cette approche en éthique environnementale, les exemples de la mise en application de l’approche pragmatique restent

difficiles, voire impossibles à trouver si l’on est stricte dans notre définition des critères permettant de qualifier une approche de pragmatique.

Prenons par exemple le dossier de l’exploitation du gaz de schiste au Québec. Face à la pression populaire, le gouvernement provincial avait mandaté une consultation publique placée sous l’égide du BAPE (Bureau d’audiences publiques sur l’environnement) pour évaluer l’exploitation du gaz de schiste au Québec ainsi que la technologie de la fracturation hydraulique

lui étant nécessaire70. À première vue, nous avons devant nous un processus pragmatique : une

consultation publique menant à la mise en place de politiques adaptées aux valeurs locales. Seulement, bien que la méthode employée possède certaines caractéristiques de l’approche pragmatique, d’autres manquent à l’appel ou sont simplement déformées. Ainsi, le processus de consultation, bien que louable, fut seulement mis en place en réaction à la grogne populaire et ne constituait pas le plan original du gouvernement. Ensuite, au lieu de dégager les valeurs locales, ce processus fit une place autant aux simples citoyens qu’aux groupes d’intérêts extérieurs. Finalement, le comité du BAPE n’a pas le pouvoir de mettre en place une politique publique, mais uniquement de faire des recommandations au gouvernement provincial; le dossier n’est donc pas réglé sur le plan local. L’entièreté du processus semble avoir eu pour but de permettre au gouvernement de gérer un dossier devenu problématique et non de favoriser des politiques environnementales respectant les valeurs de chaque communauté. Sans grogne populaire, l’exploitation du gaz de schiste serait allée de l’avant, alors que, avec un processus pragmatique, celle-ci n’aurait été envisagée qu’après une consultation exhaustive des communautés concernées.

                                                                                                                         

70 CROTEAU, Martin. « Le BAPE rend un rapport critique sur le gaz de schiste», La Presse, 15 décembre 2014, [En

ligne], http://www.lapresse.ca/environnement/dossiers/gaz-de-schiste/201412/15/01-4828417-le-bape-rend-un- rapport-critique-sur-le-gaz-de-schiste.php (Page consultée le 2 décembre 2015)

Une approche éco-pragmatique est très exigeante, et il n’est pas évident que son application soit plus aisée et plus courante que les autres approches en éthique environnementale. Pour leur part, les philosophes pragmatistes vont d’un côté, comme le fait Paul B. Thompson, prendre un enjeu environnemental comme celui de la gestion des eaux pour montrer comment une approche

pragmatique pourrait être préférable aux approches rivales71, ou bien de l’autre côté, comme le

fait Edward Schiappa, montrer que l’approche pragmatique permet de démêler l’écheveau

linguistique formé par les intérêts divergents des acteurs sociaux en environnement72. Ces

démarches sont pertinentes mais on trouve leur équivalent chez les défenseurs des autres théories en éthique environnementale; elles ne représentent qu’une démonstration théorique de leurs approches et non un exemple concret de leur applicabilité. De plus, les défauts liés au pluralisme et au localisme de l’approche pragmatique que nous avons vu dans ce chapitre tendent à montrer qu’il n’est peut-être pas possible d’appliquer cette approche tout en respectant son esprit original. Difficile dans ce contexte de soutenir que l’approche pragmatique est véritablement plus applicable dans le monde réel qu’une approche basée sur la valeur intrinsèque de la nature.

Dans ce chapitre, nous avons vu à travers nos critiques plusieurs failles que l’on peut trouver au sein de l’approche pragmatique. Le prochain et dernier chapitre sera quant à lui

                                                                                                                         

71 Thompson soutient dans son texte que le pragmatisme nous permet de refléter les positions des intervenants face à

une question environnementale. En effet, ceux-ci adopteront des points de vue qui correspondront rarement à une position philosophique précise. Le pragmatisme, permettrait d’éviter l’impasse en déconstruisant les positions de chacun pour en extraire les valeurs commune à tous les intervenants concernés. Thompson fait ensuite la démonstration de ce qu’il avance en prenant comme exemple la question de la gestion des eaux.

THOMPSON, Paul. B. «Pragmatism and Policy : The Case of Water», dans Andrew LIGHT et Eric KATZ, dir., «Environmental Pragmatism», London et New York, Routledge, 1996,  pp. 187-208.

72 Pour Schiappa, toute définition d’un terme est politique. Aussi, une dispute concernant ces dernières revient à

prendre position au sujet du type de monde que l’on désire. Schiappa analyse dans son texte le débat entourant la définition d’un milieu humide aux États-Unis pour montrer que nous devrions utiliser la méthode pragmatique pour définir les concepts importants dans le domaine de la conservation sous peine de refléter exclusivement les intérêts d’un groupe au détriment d’un autre (ex :écologiste vs développeur immobilier).

SCHIAPPA, Edward. «Towards a Pragmatic Approach to Definition: “Wetlands” and the Politics of Meaning», dans Andrew LIGHT et Eric KATZ, dir., «Environmental Pragmatism», London et New York, Routledge, 1996, pp. 209- 230.  

consacré à la notion de valeur intrinsèque et, paradoxalement, à l’utilité que l’on peut en tirer en éthique environnementale.

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