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Quelques législations nationales pionnières en matière de discriminations multiples

Dans le document Les discriminations multiples au travail (Page 44-47)

Section 1. La prise en compte frileuse des discriminations multiples hors du prisme français

A. Quelques législations nationales pionnières en matière de discriminations multiples

§2. L’accueil prometteur des discriminations multiples en droit comparé

L’analyse du droit comparé révèle qu’une approche multifactorielle est retenue dans la législations de certains Etats (A) dont les « best practices »117 démontrent un accueil favorable du phénomène (B).

A. Quelques législations nationales pionnières en matière de

discriminations multiples

Dans l’Union européenne, rares sont les législations qui sanctionnent les discriminations multiples. En effet, sur l’ensemble des Etats membres et candidats à l’UE, seuls treize se sont dotés d’une législation mentionnant explicitement les discriminations multiples118. Alors que certains pays les définissent clairement, d’autres se contentent de constater que ce phénomène existe afin de mettre en place des politiques publiques visant à le combattre119.

116 Commission européenne, Direction générale de l’emploi, des affaires sociales et de l’égalité des chances,

Communautés européennes, 2007.

117 Terme emprunté à BECUWE A., LAURENT-MERLE I., « Pour une approche transdisciplinaire de la

discrimination au travail », RIMHE, la Revue Interdisciplinaire Management, Homme & Entreprise, 2013/1 n°5, p. 5.

118 FREDMAN S., « Intersectionnal discrimination in EU gender equality and non-discrimination Law », European

network of legal experts in gender equality and non-discrimination, Justice and Consumers, European Comission, 2016, p. 9.

119 MARTIN P., « La discrimination multiple, un concept insaisissable par le droit du travail ? Un point de vue

Les législations allemande, autrichienne, italienne, polonaise et roumaine mentionnent en effet la possibilité d’admettre une discrimination fondée sur plusieurs critères prohibés120. Pour exemple, le Code du travail polonais121 énonce qu’une discrimination « est commise lorsqu'un salarié, pour un ou plusieurs des motifs [prohibés], a été, est ou serait traité dans une situation comparable moins favorablement que les autres salariés ». La Roumanie définit elle aussi la discrimination multiple122 comme « toute action discriminatoire fondée sur deux ou plusieurs critères de discrimination »123. La Bulgarie en donne une définition tout aussi simple dans sa Loi sur la protection contre les discriminations en qualifiant de discrimination multiple la « discrimination fondée sur plus d’un motif [prohibés] »124.

La législation bulgare semble aussi vouloir soutenir les victimes de discriminations multiples via des mesures de discrimination positive125. Elle dispose en effet dans son article 11 (2)126 que « les organes de l'Etat et des collectivités locales et les organismes publics prennent en priorité des mesures (…) afin d'égaliser les opportunités pour les victimes de discrimination multiple ». L’article 48 (3) précise aussi que les cas de discriminations multiples devront être traités par un collège élargi de cinq membres au lieu de trois habituellement. La Bulgarie est donc un exemple de bon élève en matière de discriminations multiples. Outre qu’elle aborde le concept, ce qui est déjà remarquable, elle pose aussi des moyens de lutter contre celui-ci via des politiques publiques et de la traiter de façon plus minutieuse qu’une discrimination monocritère via un collège de juges spécifique.

L’Espagne, elle aussi, prévoit des mesures de politiques publiques visant à lutter contre les discriminations multiples127. Dans son article 14.6, la Loi constitutionnelle espagnole128 prévoit la « prise en compte des difficultés spécifiques rencontrées par les femmes appartenant à des communautés particulièrement vulnérables, telles que les femmes appartenant à des

120 BURRI S., SCHIEK D., « Multiple discrimination in the EU Law. Opportunities for legal responses to

intersectional gender discrimination ? », European network of legal experts in the field of gender equality, p.17.

121 Article 18 (3a) §3 du Code du travail polonais du 23 décembre 1997 r. (Dz.U. tłum. gb 1998 Nr 21, poz. 94). 122 MARTIN P., « La discrimination multiple, un concept insaisissable par le droit du travail ? Un point de vue

français et comparatif », Revue internationale de droit comparé, Société de législation comparée, 2011, p. 6.

123 Article 4 of the revised Romanian Act on Equal Opportunities.

124 §1.10, Additional provision, Bulgarian Protection Against Discrimination Act (PADA).

125 BURRI S., SCHIEK D., « Multiple discrimination in the EU Law. Opportunities for legal responses to

intersectional gender discrimination ? », European network of legal experts in the field of gender equality, p.17.

126 Article 11 (2) of the Bulgarian Protection Against Discrimination Act (PADA).

127 BURRI S., SCHIEK D., « Multiple discrimination in the EU Law. Opportunities for legal responses to

intersectional gender discrimination ? », European network of legal experts in the field of gender equality, p.17.

minorités ou des groupes d'immigrés, les filles, les femmes handicapées et les femmes âgées, les veuves et les victimes de violence sexiste pour qui les pouvoirs publics peuvent également adopter des mesures d'action positive ». Cette rédaction ne semble toutefois pas faire place à la lutte contre toutes les discriminations multiples. Elle s’avère être tournée spécifiquement vers la protection des femmes. Plutôt que d’interdire les discriminations multiples dans leur ensemble, la loi espagnole semble donc interdire les discriminations fondées sur le sexe et un autre critère.

De la même manière, la législation italienne a elle aussi une approche multifactorielle129. En effet, l’Italie a une vision des discriminations qui prend en compte l'impact différent que les mêmes formes de discrimination peuvent avoir selon le sexe ou le racisme à caractère culturel et religieux130.

L’Allemagne a également légiféré en la matière131. La Loi générale sur l'égalité de

traitement (AGG132) de 2006 interdit toute différence de traitement fondée sur plusieurs critères dans son paragraphe 4. L’expression exacte « plusieurs raisons », traduite de ladite loi, renvoie à l’idée d’une multiplicité de motifs discriminatoires. Il s’agit donc bien ici d’une législation prohibant les discriminations multiples et, plus précisément, les discriminations multicritères. L’AGG prévoit que dans le cas où une telle discrimination serait pratiquée, sa justification devra nécessairement porter sur toutes les « raisons » pour lesquelles la personne est traitée différemment. L’employeur peut donc renverser la présomption de discrimination qui pèse sur lui en démontrant que tous les motifs du traitement inégal sont objectivement justifiés par un but légitime133. Les paragraphes 19 et 27 de l’AGG prévoient d’ailleurs, tel que le préconisent les directives européennes, que l’Agence fédérale anti-discrimination, le Gouvernement fédéral et les commissaires du Bundestag (Parlement allemand) coopèrent dans ce domaine. Tous trois ont pour mission de rendre, tous les quatre ans, des rapports sur les discriminations et peuvent conjointement mener des études sur leurs effets indésirables.

129 DELIYIANNI-DIMITRAKOU C., « Égalité multidimensionnelle et discriminations multiples en droit

comparé », Revue internationale de droit comparé, Vol. 65 N°3, 2013, p. 697.

130 Articolo 1, Decreto Legislativo 9 luglio 2003, n. 215 « Attuazione della direttiva 2000/43/CE per la parità di

trattamento tra le persone indipendentemente dalla razza e dall'origine etnica » Gazzetta Ufficiale n° 186 del 12 agosto 2003.

131 BECUWE A., LAURENT-MERLE I., « Pour une approche transdisciplinaire de la discrimination au travail », RIMHE, la Revue Interdisciplinaire Management, Homme & Entreprise, 2013/1 n°5, p. 7.

132 Allgemeines Gleichbehandlungsgesetz (AGG), 2006. 133 Directive 2004/113/CE du 13 décembre 2004 (16).

Hors Union européenne, c’est le Canada qui a été précurseur en matière de discriminations multiples. C’est très tôt, en 1998, que la Loi canadienne sur le droit de la

personne134 a été amendée pour y inclure le concept. On y trouve désormais, à l’article 3.1135, la définition élargie de la « pratique discriminatoire [qui] comprend une pratique fondée sur un ou plusieurs motifs de discrimination interdits ou sur l'effet d'une combinaison de motifs interdits ». Cette formulation semble donc aussi bien faire référence à la discrimination

multicritère qu’à la discrimination intersectionnelle.

La législation sud-africaine136 interdit les discriminations à travers une liste assez étendue de motifs. Par ailleurs, elle prohibe les discriminations fondées sur tout autre motif – non visé expressément – qui cause ou perpétue un désavantage systémique ou porte atteinte à la dignité humaine. Selon Erica HOWARD, cette loi s’interprète en ce sens qu’elle permet une combinaison de motifs137.

Si la loi sud-africaine facilite de cette manière la réception des discriminations multiples, les législations qui les abordent plus restrictivement peuvent elles aussi être appliquées en pratique.

B. L’accueil favorable des discriminations multiples dans la pratique

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