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Jusque-là tout va bien, et puis l’initiative arrive

La constitution du Collectif 500 n’est finalement pas en soi quelque chose d’inquiétant aux yeux des CFF et des autorités qui ont l’habitude de se frotter à des oppositions lorsqu’ils lancent un projet. Ce qui va provoquer la véritable crise, c’est l’initiative populaire : IN153 Initiative Cornavin « Pour une extension souterraine de la gare ». On constate qu’en termes de moyens d’action ce collectif décide d’utiliser un des outils de la démocratie directe pour affirmer son opposition, et cette solution va se révéler efficace. Cependant, les habitants-militants ne sont pas immédiatement arrivés avec cette idée de gare souterraine; au départ cette revendication n’intervenait pas dans le discours du collectif. « […] les revendications elles ont évolué, mais pas énormément, les premières revendications c’était dire que le projet a été mauvais et ça a été une critique… très vite une critique de leur projet, et ça, ça n’a jamais changé. La revendication de faire une gare souterraine, qui est devenue la revendication principale, elle est apparue plus tard. Au début on avait plusieurs scénarios, une gare souterraine, une gare ailleurs […] » (Entretien avec deux représentants du Collectif 500) – Comme on a pu le voir précédemment il y a eu des débats sur le fait de déplacer cette gare, débats qui ont aussi traversé le collectif.

Lors de cette lutte, ils ont également pu compter sur les bonnes personnes, à commencer par un expert indépendant qui va dans un sens transformer le destin de cette mobilisation, car c’est finalement grâce à lui qu’il va être possible de croire à la variante en sous-sol :

« Et puis bon, après comme on a eu la chance d’avoir quelqu’un qui est venu nous présenter le projet de gare souterraine, clé en main en quelque sorte […] » - « On s’est dit que c’était la solution. On n’a jamais exclu que d’autres solutions étaient possibles, mais on a compris que pour sauver le quartier, il fallait avoir une solution crédible et efficace. Et c’était la plus crédible et la plus efficace. » - « Oui. Il nous a surtout convaincus que c’était faisable […] » (Entretien avec deux représentants du Collectif 500).

De l’avis des militants, cet expert a joué un rôle clé en montrant que l’option souterraine était possible. Au-delà de ceci, son action a aussi confirmé certaines inquiétudes des habitants par rapport à la transformation du quartier dans l’objectif de réaliser une plus-value financière : « - surtout il nous a convaincus que la solution proposée était une arnaque – Oui, ça on en était déjà à peu près sûr. – […] oui, une arnaque immobilière » (Entretien avec deux représentants du Collectif 500). – Cette opinion est d’ailleurs partagée par la personne qui travaille au sein

de l’administration, à qui on a expliqué que les CFF allaient investir des millions dans le projet, et qu’il fallait qu’elle se soumette à la volonté et à l’autorité du Conseil d'Etat qui soutient la position des CFF :

« […] les CFF vont mettre des millions dans l’affaire, tu es responsable, mais tu dois te soumettre à la haute autorité du Conseil d’Etat. J’ai dit ah bon c’est comme ça que vous voulez la jouer, je me suis levé et j’ai dit qu’il n était pas question que j’accepte cette stratégie qui visait simplement à valoriser le bas du quartier des Grottes, à faire des opérations spéculatives et à imposer une solution qui était débile, qui n’avait même pas de raison du point de vue de la fiabilité. » (Entretien avec un cadre de l’administration genevoise)

C’est dans ces conditions que la solution souterraine va s’imposer comme la meilleure des solutions pour le Collectif 500, les habitants des Grottes, et par la suite plus largement dans la population genevoise. Pendant plusieurs mois, le lancement de cette initiative reste en suspens, mais cela ne veut pas dire que les militants restent inactifs. Ils vont sensibiliser l’opinion publique à travers plusieurs actions. Ils récoltent des signatures pour une pétition lors d’une fête sur la place des Grottes : «Mais cette année, la manifestation a pris un ton très revendicatif. Entre concerts et spectacles de clowns, les Grottes ont repris leur allure de village gaulois résistant à l’envahisseur. Revenant à ses fondamentaux qui l’ont vu, il y a trente-cinq ans, faire échouer un projet de tours mégalomanes, le quartier a un nouveau cheval de bataille. Cette fois-ci, l’ennemi est un voisin : la gare CFF, qui se trouve à l’étroit dans ses rails» (TDG, 21.05.2012). – Cette fête est également un bon moyen d’expliquer la démarche et les revendications du collectif. Il faut par ailleurs noter une certaine créativité dans les actions autres que cette pétition lors de la fête du quartier. Il y a également eu le travail d’un photographe : « La démarche est militante. Une série de portrait d’habitants et commerçants

crédits photo: © Max Jacot

des Grottes qui s’affichent en grand format sur les murs du quartier » (TDG, 01.05.2013). – Ces photos montrent des habitants des Grottes dans leur quotidien, comme pour montrer ce que le projet des CFF risquait de détruire. Mais ces images affichées sur les bâtiments ont également une autre fonction : « […] puis il y a eu ces installations de grandes photos qui annonçaient Collectif 500, qui était une façon de marquer très clairement le territoire, donc physiquement on arrivait aux Grottes et c’était marqué Collectif 500. » - « les gens des CFF qui venaient on leur faisait comprendre qu’ils n’étaient pas chez eux, quoi » (Entretien avec deux représentants du Collectif 500). – Ces images sont également un moyen de s’approprier l’espace, de montrer que les habitants qui vivent dans cet environnement ont leur mot à dire sur l’avenir de leur quartier.

Et c’est finalement le 9 avril 2013 que l’initiative est officiellement lancée « Le Collectif 500 menaçait depuis plusieurs mois de déposer une initiative populaire cantonale en faveur d’une extension souterraine de la gare Cornavin. Cette menace sera mise à exécution le 9 avril selon Le Matin dimanche, qui révèle la date » (TDG, 02.04.2013). – Cette initiative propose de modifier la loi sur le réseau de transports publics avec l’article 5 bis « Dans le respect des compétences fédérales en la matière, l’Etat prend toutes les mesures relevant de sa compétence pour favoriser l’agrandissement de la gare Cornavin dans une variante souterraine » (Secrétariat du Grand Conseil, SD). – Les motifs qui soutiennent ce texte sont exposés ainsi par les initiants :

«Une gare souterraine répond aux besoins de Genève et de sa région. Cette solution préserve un quartier vivant et historique, engendre peu de nuisance et anticipe les extensions futures.

Grâce aux deux voies souterraines vers le CEVA, le goulet d’étranglement entre Cornavin et Saint-Jean est résolu, la cadence des trains RER, nécessaire pour la région est augmentée.

crédits photos: © Max Jacot

Contrairement à ce qu’avancent les CFF, le coût de la gare souterraine ne dépasse pas 1 milliard» (Secrétariat du Grand Conseil, SD). – À nouveau, il est intéressant de voir que ces personnes sont aussi préoccupées par l’évolution du flux et de la mobilité dans la région. Il y a certes une volonté de préserver un patrimoine, mais en s’adaptant aussi à l’augmentation du trafic ferroviaire. Le lancement de cette initiative est aussi un moyen pour les habitants de pouvoir participer aux discussions : « Pourquoi alors lancer une initiative aujourd’hui ? Le Collectif 500 se méfie de l’étude (des CFF). Il rappelle qu’il a été exclu de sa mise en place et craint des résultats biaisés. «En outre, la décision sera prise sans débat démocratique, dans un cercle confidentiel, mené par des techniciens» déplore Morten Gisselbaek. Le Collectif 500 se dit favorable à l’extension de la gare. "Mais une ville se construit aussi avec ses habitants"

remarque Lydia Schneider-Hauser » (TDG, 10.04.2013). – On pourrait alors penser que le fait de susciter un « débat démocratique » aurait plu aux politiciens genevois ; seulement voilà, cette initiative va jeter un pavé dans la mare et inquiéter bien au-delà des frontières cantonales.

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