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Juquira et capoeira

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PARTIE III SAVOIRS NATURALISTES LOCAUX ET BIODIVERSITE VEGETALE BIODIVERSITE VEGETALE

CHAPITRE 8 Le paysage forestier

8.1 Les différentes forêts

8.1.3 Juquira et capoeira

La capoeira désigne la végétation repoussant après abandon des abattis.

“A capoeira é onde a gente derrubou e roçou. É o mato que vai crescer depois da roça” [1]

“La capoeira, c’est où l’on coupe les arbres et où l’on cultive. C’est le mato qui va grandir après l’abattis.” [1]

Nous traduisons ce terme capoeira par celui de forêt secondaire post agricole, et non de jachère ou de friche car la pertinence liée à l’emploi de ces termes en milieux tropicale est fortement critiquée (Dounias, 1996). La jachère désigne uniquement les jeunes stades de régénération de la forêt après abandon de la parcelle agricole alors que la capoeira, dans son sens local, inclut également les formations forestières plus âgées qui les succèdent. Le terme forêt secondaire post agricole, privilégié par Dounias (1996), est de ce fait plus adapté car il regroupe l’ensemble des successions forestières après abandon de la parcelle56.

56 Néanmoins, tout comme cet auteur, l’expression mise en jachère est conservée pour évoquer la réintégration d’un recrû forestier dans le cycle agricole.

La distinction locale entre la mata et la capoeira se fonde également sur des caractéristiques du sous-bois ainsi que sur la taille et le diamètre des arbres :

“A mata é aberta, escura, as folhas todas das árvores são vivas aqui, é da natureza.

Na capoeira é mais fechado, a folha miúda, ela é mais amarela. Parte dela é baixa, na mata não.” [7]

“La mata est ouverte, sombre, toutes les feuilles des arbres sont vivantes ici, elle est naturelle (de la nature). Dans la capoeira, c’est plus fermé, la feuille [est] petite, elle est plus jaune. Une partie est basse, dans la mata non.” [7]

“Na capoeira, os paus são mais finos e na mata mesmo tem paus grossos, da natureza.”[9]

“Dans la capoeira, les arbres sont plus fins et dans la mata, il y a des arbres plus gros, de la nature.”[9]

Plusieurs termes sont employés pour distinguer les forêts secondaires post agricoles en fonction du stade de croissance de la végétation et de la structure générale de la formation.

Le terme juquira est utilisé pour désigner les tous premiers stades de régénération forestière après abandon de l’abattis :

“A juquira é uma capoeira muita fina, baixinha, de alguns meses, cheia de tiririca.

Depois de um ano, ela já vai começar ser capoeira mais grossa... Depois vai ser capoeirão, e vira já quase uma mata.” [6]

“La juquira est une capoeira très fine, très basse, de quelques mois, remplie de tiririca [une herbe coupante]. Après un an, elle va déjà devenir une plus grosse capoeira…Après, elle devient une capoeirão et devient presque une mata.” [6]

Elle est caractérisée par une forte densité de mato et capim (herbes):

“Quando passa o fogo na mata, o mato também fica mais fechado, cria muita tiririca, várias espécies de espinhos... por isso que a gente chama também de mata feia, ou juquira. A juquira é um tirirical, é onde tem um monte de coisa que aranha a gente.” [13]

“Ce que nous appelons la juquira correspond au mato et aux herbes, c’est la même chose que ce mato d’un mètre ici. Alors que dans la capoeira, le mato est plus grand.” [9]

La juquira désigne ainsi, pour la majorité des informateurs, les jeunes capoeiras renfermant une végétation dense mais de faible taille et diamètre, qui par la suite vont évoluer en capoeira grossa. Elle est donc bien souvent synonyme de capoeira fina et les descriptions faites de ces deux formations se recoupent.

“Uma juquira é tipo uma capoeira onde dá para cortar o mato com o machado. Já onde os paus são mais grossos que não dá para cortar com o machado, é capoeira grossa.” [1]

“Une juquira est une sorte de capoeira où l’on peut couper le mato à la machette. Là où les arbres sont trop gros pour qu’on les coupe à la machette, c’est une grosse capoeira.” [1]

“A capoeira fina é fechada, ela é suja, não da para ver longe, tem muito cipós e mato. A gente quase não entra dentro, pois não tem condições andar, é feio que uma desgraça.” [3].

“La capoeira fina est plus fermée, elle est sale, on ne peut pas voir loin, il y a beaucoup de liane et de mato. On ne peut presque pas y entrer car on ne peut s’y déplacer, c’est vraiment laid.” [3]

Ce terme juquira est également employé pour désigner des formations secondaires plus âgées (4/5 ans) qui ont encore une forte densité de mato. Ainsi, ce n’est pas tant l'âge de la formation qui détermine si elle est juquira ou non mais bien la densité en adventices dans son sous-bois. En effet, comme le résume un autre informateur: “A juquira é onde tem mato feio que dá trabalho para tirar.” (“La juquira, c’est où il y a un mato laid qui demande du travail pour être retiré.”[2]).

Les termes de capoeira velha, capoeira madura, capoeira alta, capoeira grossa et capoeirão sont employés indifféremment par les interlocuteurs pour désigner les forêts secondaires post agricoles considérés âgées (plus de 7 ans) qui ont un sous-bois moins dense que la capoeira fina et des arbres de diamètre et hauteur plus importants.

“A diferença entre a capoeira fina e a capoeira grossa, além da grossura das árvores, é que a capoeira grossa é mais limpa por baixo: a gente tem condição de andar pelo meio enquanto na juquira não dá para se meter pra lá.” [15]

“La différence entre la capoeira fina et la grosse capoeira en plus du diamètre des arbres (grosseur des arbres), c’est que la grosse capoeira a un sous-bois plus propre [dégagé] : on peut s’y déplacer alors qu’on ne pas pas s’aventurer dans la juquira.”

[15]

“A capoeirão vai ficar novamente reformada, vai ficar limpa por baixo. Para andar fica mais facil, dá para ver longe.” [6]

“La capoeirão va à nouveau se reformer (se régénérer), son sous-bois va devenir propre. Cela devient plus facile d’y circuler, de voir loin.” [6]

La notion de «reformation » ou de «transformation » des forêts est récurrente dans le discours des informateurs ("a capoeira se reforma", "a capoeira vira mata"...). Elle traduit une perception cyclique du processus de régénération forestière et des processus de résilience écologique (Figure 11). Ainsi, de leur point de vue, la forêt évolue jusqu’à revenir à son état initial de forêt « naturelle » (la mata) :

“A capoeira está reflorestada pelas árvores da natureza mesmo, ela está voltando de novo a natureza dela mesmo” [4].

“La capoeira est reboisée par les arbres de la nature, elle est en train de retourner à sa vraie nature” [4].

Le délai au terme duquel une formation est à nouveau considérée capoeira grossa et a fortiori, mata renovada ("forêt régénérée") varie grandement selon les interlocuteurs : entre huit et trente ans pour former une capoeira grossa, et entre dix ans et soixante ans pour former une mata.

“Aqui essa vegetação tem mais de vinte cinco anos, já é considerado capoeirão: se criam palhas [de curuá], cipós, saem por cima. Aí tem condição de ser bem limpo por baixo, fica limpo porque o mato cresceu.” [15]

“Ici cette végétation a plus de vingt-cinq ans, elle est déjà considérée comme une capoeirão : des palmiers acaules et des lianes y poussent (partent en hauteur). Alors, le sous-bois peut devenir bien propre, [il reste propre] car le mato a grandi.” [15]

“Os paus são grossos depois de trinta anos pela frente, com quarenta, cinquenta anos, ja estão iguais a esses da mata grossa.” [9]

“Les arbres sont gros à partir de trente ans, à quarante ou cinquante ans, ce sont les mêmes que ceux de la grosse forêt.” [9]

“Quando a capoeira já está com trinta anos, ela virou tipo uma mata, já se reformou.” [6]

“Quand la capoeira atteint trente ans, elle ressemble à une mata, elle s’est déjà reformée.” [6]

La catégorisation locale des forêts de terre ferme, en se fondant en premier lieu sur le type de perturbations occasionnées par l’homme (mise en place d’abattis, propagation incontrôlée de brûlis...), montre que les Ribeirinhos perçoivent leur rôle dans la construction de la mosaïque forestière (Tableau 22). A l’exception de la mata queimada qui n’est pas issue d’une transformation volontaire du milieu (feu accidentel) et de la forêt «vierge» originelle, l’ensemble des formations forestière distinguées a été intégré à un moment ou à un autre dans le cycle agricole (Figure 11). Les prélèvements des produits forestiers ligneux ou non ligneux sont pratiqués dans toutes ces formations, exceptés dans la mata pura (pas d’abattage d’arbres).

Forêt de terre ferme

Jamais cultivée Déjà cultivée

Forêt temporairement

inondée

Pas de feu Passage du feu

mata mata queimada juquira igapó

mata fina capoeira fina

mata baixa capoeira baixa

mata virgem capoeira grossa

mata grossa capoeira madura

mata bruta capoeirão

mata alta capoeira dos Antigos

mata verde mata pura

floresta matona

mata renovada/reformada

Tableau 22. Synthèse des différentes formations forestières reconnues par les villageois.

Figure 11. Evolution des unités agricoles et forestières. Légende : flèches noires en pointillés : défrichage et mise en brûlis à des fins agricoles, flèches noires en continue : régénération naturelle de la végétation, flèches bleues : désherbages réguliers, flèche verte : plantation d’espèces dans le sous-bois forestier, flèches rouges : perturbation causée par un feu accidentel, a) plantation d’espèces pérennes dans l’abattis. D’après les données obtenues à Acaratinga (Flona Tapajós).

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