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Julien Gaffiot

Dans le document Profession ? Écrivain (Page 136-158)

Le statut de la bande dessinée francophone et de ses auteur·e·s a connu d’importantes évolutions dans son histoire récente. Caractérisé depuis son apparition par sa position dominée dans les hiérarchies symboliques et par un public presque exclusivement enfantin, le genre connaît dans la seconde moitié du XXe siècle un processus de légitimation qui voit émerger une « bd adulte »,

puis plus récemment une « bd littéraire », avec la consécration dans les années 1980 du terme de « graphic novel ». Ces évolutions sont également économiques : marché en croissance quasi-constante depuis le milieu des années 1990, la bande dessinée représente 9,3% du chiffre d’affaire généré par le marché français du livre en 2014232.

Cette relative consécration culturelle et économique ne doit pourtant pas masquer la précarité que connaît la plupart des auteur·e·s. À côté d’une élite visible cumulant succès commercial et reconnaissance critique, la majorité des créateurs rencontre de grandes difficultés à vivre de sa plume, comme l’exprime la « lettre des 748 auteurs de BD » adressée en juin 2014 à la Ministre de la culture, en réaction à l’annonce d’une augmentation de leurs cotisations retraite. Cette mobilisation, autour du Groupement des auteurs de bande dessinée, est l’occasion de la construction d’un discours établissant un lien entre les politiques éditoriales dominantes dans le champ et la précarisation des auteur·e·s, et dénonçant la « production de masse » comme un indice de la dévalorisation symbolique des œuvres et une des causes de ce phénomène de paupérisation. Pour saisir les enjeux de cette mobilisation et des revendications qu’elle porte, il est nécessaire d’en explorer les conditions historiques et sociales de possibilité, et de revenir sur le double processus de professionnalisation des auteur·e·s et de légitimation des œuvres qui travaille le champ depuis le XIXe siècle.

232 Syndicat national de l’édition, « Repères statistiques France 2015, données 2014 »,

2015 : http://www.sne.fr/wp-content/uploads/2014/08/chiffrescles_juin2015.pdf

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Professionnalisation des producteurs : émergence de « l’auteur de bande dessinée »

La figure de l’« auteur de bande dessinée », comme artiste identifié par son œuvre et appartenant à une catégorie dotée d’une relative autonomie symbolique, est le fruit d’une histoire jalonnée de revendications professionnelles et statutaires entraînant le rapprochement progressif de groupes initialement hétérogènes233.

Si la bande dessinée trouve aujourd’hui dans le livre (ou l’« album », par opposition aux feuilletons destinés aux revues) son support essentiel de diffusion, ses premières expressions sont étroitement liées au développement de la presse, de l’illustration et de la technique de la gravure à partir des années 1830 et tout au long du XIXe siècle, et se situent à la croisée des domaines de la

presse illustrée et de la caricature politique. Le Salon des humoristes, créé en 1907, accueille alors les « dessinateurs d’humour ». Des artistes comme Daumier ou Gustave Doré, représentatifs de cette séquence, seront par la suite considérés par certains commentateurs comme des pionniers d’une bande dessinée encore en germe. Si bon nombre de dessinateurs officiant dans la presse satirique pour adulte travaillent alors également dans la presse pour enfants – ou encore dans la publicité, le cinéma ou la littérature -, les deux pôles de production vont progressivement se distinguer et se spécialiser à la faveur de problématiques professionnelles différenciées.

Une génération de dessinateurs de presse qui apparaît dans les années 1920 se distingue en effet des anciens « dessinateurs humoristes » dans son rapport au métier. Alors que ces derniers étaient souvent des peintres trouvant dans la bande dessinée une activité parallèle rémunératrice, leurs successeurs, d’origine sociale plus modeste, considèrent leur activité comme une fin en soi, assimilée à une forme de journalisme, activité professionnelle alors en pleine structuration. C’est en effet en 1935 qu’est votée la Loi Guernut, accordant un statut professionnel aux journalistes, ces derniers bénéficiant depuis 1925 de déductions fiscales pour frais professionnels et d'un abattement de 30% depuis 1932. Ce rapprochement entre dessinateurs de presse et journalistes, qui se consolidera tout au long de l’entre-deux guerres, est entérinée par la création, également en 1935, du Syndicat des dessinateurs de journaux (SDJ), qui se donne pour mission de défendre la double spécificité du dessinateur de presse, à la fois créateur et journaliste. Le SDJ obtient une augmentation de 10 à 15% du tarif des œuvres ainsi que leur paiement mensuel, alors que l’usage consistait à régler le dessinateur après publication. Il prend également en charge la perception et la répartition des droits d’auteur, jusqu’alors assurées par le Syndicat de la propriété artistique, dont l’action est jugée inefficace par nombre

233 Nous nous appuyons ici sur l’analyse de ce processus tel que l’a retracé Vincent Seveau, Mouvements

et enjeux de la reconnaissance artistique et professionnelle. Une typologie des modes d'engagement en bande dessinée, Université Montpellier III – Paul Valéry, thèse soutenue le 9 avril 2013. https://tel.archives- ouvertes.fr/tel-00958812/document

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de dessinateurs. Enfin, il négocie et obtient l’acquisition de la carte de journaliste pour un certain nombre de dessinateurs de presse.

Cette convergence entre les deux professions trouvera un écho jusque dans les années 1960 avec la poursuite de la revendication de l’attribution de la carte de presse aux dessinateurs pigistes et de leur affiliation à la sécurité sociale des journalistes. Exclus de la loi de 1964 ouvrant le régime général de la sécurité sociale aux artistes, les illustrateurs non salariés risquent d’être renvoyés au régime des professions libérales et à ses cotisations élevées. C’est finalement au prix de lourdes négociations que le régime général leur est ouvert en 1976. Parallèlement, le vote de la Loi Cressard en 1974 reconnait aux journalistes pigistes le statut de journaliste professionnel, permettant à de nombreux dessinateurs d’obtenir la carte de presse.

Le groupe des dessinateurs de presse enfantine se distingue et se spécialise également à partir des années 1930, à travers la revendication d’un quota de 75% de dessins français dans les publications d’illustrés destinés à la jeunesse, suscitée par une crainte de la concurrence étrangère. La revendication est portée par le SDJ, au sein duquel figure une section des dessinateurs pour enfants, qui deviendra le Syndicat des dessinateurs de journaux pour enfants en 1946. Cette idée de quota prendra par la suite un autre tour lors des débats accompagnant la Loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse, qui débouchera sur la mise en place de la Commission de Surveillance et de Contrôle des Publications Destinées à l’Enfance et à l’Adolescence, chargée de signaler et de contrôler la publication d’œuvres susceptibles de « démoraliser » la jeunesse. Les productions étrangères, en particulier américaines, étant particulièrement concernées par cette surveillance, les revendications des dessinateurs rencontreront la volonté originelle du projet de loi déposé en 1947 afin d’instaurer un quota sur les productions étrangères. La proposition, négociée jusqu’en 1949, ne sera néanmoins jamais adoptée.

Un certain nombre de revendications portant sur la propriété des œuvres et l’attribution des droits d’auteur vont également contribuer à la constitution d’une identité professionnelle commune aux auteur·e·s de bande dessinée. L’Union des artistes dessinateurs français (UADF), organisme syndical créé en 1924 afin d’établir le caractère professionnel de l’exercice du dessin et d’en codifier les modalités d’exercice, veille à l’application de la Loi du 11 mars 1957 relative à la propriété artistique et littéraire, qui s’inscrit dans la continuité de la reconnaissance du droit d’auteur. Jusqu’à cette date, les producteurs de bande dessinée ne profitaient que dans une très faible mesure des dispositions prévues par les réglementations successives de la propriété artistique, d’abord issues de revendications portées par les écrivains. En effet, jusqu’au vote de la loi, seuls les dessinateurs les plus consacrés pouvaient revendiquer un droit de propriété sur les dessins remis pour publication. Pour le reste, les illustrations appartenaient aux propriétaires des titres qui les éditaient ou aux agences de presse et de publicité qui fournissaient une quantité importante de bandes dessinées, à l’instar de l’agence Opéra Mundi ou World Press. L’UADF se chargera de négocier les conditions d’application de la Loi de 1957 auprès des

éditeurs pour le cas des publications en album – qui restent encore minoritaires –, et d’établir une grille tarifaire pour les dessins et les histoires illustrées. Une autre action de l’UADF concerne la question du partage des droits entre scénariste et dessinateur, par le biais d’une négociation avec le Syndicat national des éditeurs. Durant la première moitié du XXe siècle, les scénaristes pratiquent

souvent la bande dessinée en marge d’une autre activité, et sous pseudonyme. Dans les cas où ce sont les rédacteurs des journaux ou les responsables des maisons d’édition qui fournissent les histoires, la confusion des statuts entraîne des difficultés contractuelles. Il était également fréquent qu’un dessinateur doive lui-même rémunérer son scénariste, comme un prestataire, et bien souvent sans faire apparaître sa signature.

Une tentative de création d’un groupement syndical est amorcée en 1956 par la réunion de quatorze dessinateurs et scénaristes attachés à la World Press et aux éditions Dupuis. Il s’agit alors de négocier avec les éditeurs les modalités de rémunération des dessinateurs et des scénaristes, de plus en plus conçus comme des créateurs réunis par une activité commune. Une « Charte des dessinateurs » est rédigée, visant à la normalisation des relations contractuelles entre ces professions. René Goscinny, Eddy Paape et Gérald Forton, impliqués dans la création du groupement, sont alors expulsés de l’agence World Press, suivis par Jean-Michel Charlier et Albert Uderzo, qui démissionnent par solidarité. Ils fonderont par la suite une agence de presse (Edipresse) et une agence de publicité (Edifrance), mais aussi le magazine Pilote, lancé en 1958 et qui aura, comme nous le verrons, un rôle central dans la consolidation symbolique de la figure de l’auteur de bande dessinée.

La catégorie de scénariste professionnel de bande dessinée se constitue progressivement, tout au long des années 1950 et 1960, notamment à travers l’émergence des grands studios de conception de bande dessinée au sein desquels la rationalisation de la division du travail ira de pair avec une codification des activités. Des dessinateurs comme Franquin ou Morris réussiront par exemple à imposer la mention du nom de leur scénariste sur leurs albums. Un scénariste consacré comme Goscinny parviendra par ailleurs à négocier ses contrats avec ses éditeurs et à obtenir un intéressement aux droits selon une proportion déterminée en commun par les créateurs. Cette question de l’équilibre statutaire entre les différents producteurs d’une bande dessinée, identifiés par des activités différentes, a généré des tensions jusque dans la période le plus récente. Les dessinateurs doivent en effet attendre le vote de la Loi du 28 décembre 2011 pour pouvoir bénéficier du statut fiscal d’auteur, qui était par ailleurs accordé aux scénaristes. La Loi de 2011 met ainsi fin à une inégalité de traitement, comme l’explique le communiqué du ministère de la Culture et de la Communication du 13 janvier 2012 :

Ce régime était jusqu’à présent réservé aux seuls écrivains et compositeurs. […] En ouvrant à tous les auteurs la possibilité d’imposer les sommes perçues à l’impôt sur le revenu selon les règles prévues en matière de traitements et salaires et de bénéficier ainsi de la déduction forfaitaire de 10% pour frais professionnels, la loi met fin à des situations fortement discriminantes pour certaines catégories

d’auteurs qui étaient jusque-là exclues de ce régime spécial et dont les revenus en droits d’auteur relevaient exclusivement de la catégorie des bénéfices non commerciaux234.

De même, des revendications concernant les conditions de rémunération des coloristes sont à l’origine de la création en 2009 de l’Association des Coloristes de BD (AdcBD). Pour cette dernière, le coloriste doit être considéré comme un co-auteur du livre au même titre que le dessinateur et le scénariste, ou a minima comme auteur de ses couleurs. Dans la pratique, les coloristes sont rémunérés par une somme forfaitaire pour chaque page livrée, mais ne perçoivent que très rarement des droits d’auteur. Ils sont de fait le plus souvent considérés comme des prestataires techniques ne participant pas à la valeur artistique de l’œuvre. Les rares coloristes parvenant à négocier une part des droits générés par le livre, du fait de leur notoriété, pointent des pratiques révélatrices du statut subalterne accordé à la couleur. Christian Lerolle confie ainsi au site ActuaBD le 25 septembre 2005 :

Ce qui me dérange, c’est le fait que les contrats parlent de « rétrocession ». Pour que j’aie 1%, scénariste et dessinateur acceptent de me céder chacun 0,5% de leurs droits d’auteur. Ce qui place le coloriste dans une position de « mendicité ». Ce n’est ni agréable, ni valorisant, ni épanouissant235.

La situation des coloristes peut être mise en parallèle avec celle que connaissent les scénaristes avant les années 1970. Ce statut ambigu de la couleur, entre art et artisanat, entre prestation technique et création de valeur artistique, est encore aujourd’hui source de débats dans le champ de la bande dessinée.

Ce processus continu de professionnalisation des producteurs de bande dessinée ne mènera à la création d’un syndicat en mesure de représenter l’ensemble des auteur·e·s qu’en 2007, avec la mise en place du Groupement des auteurs de bande dessinée, rattaché au Syndicat National des Auteurs et Compositeurs (SNAC), aussi appelé SNAC-BD. Ce syndicat, comme nous le verrons, a été amené à jouer un rôle central dans la mobilisation des auteur·e·s de bande dessinée autour de problématiques qui leur sont communes.

234http://www.culturecommunication.gouv.fr/Ministere/Histoire-du-ministere/Ressources-

documentaires/Discours/Discours-de-ministres-depuis-1999/Frederic-Mitterrand-2009-

2012/Communiques-2009-2012/Frederic-Mitterrand-ministre-de-la-Culture-et-de-la-Communication- salue-l-extension-a-tous-les-auteurs-d-aeuvres-de-l-esprit-d-un-regime-fiscal-favorable-a-la-creation

235 Entretien accordé au site ActuaBD le 25 septembre 2005 : http://www.actuabd.com/Christian-

Lerolle-Le-statut-de-coloriste-est-assez-batard-Auteur-ou-technicien

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Légitimation des œuvres : autonomisation du champ de la bande dessinée

Luc Boltanski, dans un article de 1975236, analyse le processus d’autonomisation

du champ de la bande dessinée, qui s’amorce au milieu des années 1960 à la faveur de changements sociaux affectant les créateurs, le public et le champ intellectuel. L’élévation du taux de scolarisation est d’abord à l’origine de l’émergence d’une génération de dessinateurs ayant pu acquérir une culture scolaire et possédant les germes d’une disposition artiste qu’ils investiront dans le champ. Par rapport à leurs prédécesseurs, qui exerçaient leur métier dans un quasi-anonymat, artisans quasi-interchangeables soumis aux nécessités du marché, de nouveaux producteurs comme Gotlib, Mandryka, Bretécher ou encore Fred opèrent une rupture. Ils revendiquent la reconnaissance de la bande dessinée comme moyen d’expression à part entière, et y investissent des ambitions attachées traditionnellement aux pratiques culturelles consacrées. Cette nouvelle disposition à l’égard du medium trouve un certain écho auprès de la « jeunesse » issue des classes populaires et des basses classes moyennes ayant bénéficié de l’accroissement de la durée de scolarisation, et qui constitue un nouveau public plus âgé et plus cultivé. Le champ intellectuel accompagne ces modifications en apportant une caution qui manquait jusque-là à la bande dessinée : universitaires et commentateurs la constituent en objet d’étude légitime. Un champ de la bande dessinée adopte alors le modèle des cultures savantes avec la formation d’un « appareil de production, de reproduction et de célébration237 », et l’introduction d’un discours esthétique sur les œuvres qui

légitime la distinction entre bande dessinée « d’auteur » et « culture de masse », dichotomie recoupant la polarisation objective du champ et le clivage entre un pôle de production restreinte et un pôle de grande production. Ainsi, les années 1960 voient émerger une figure nouvelle du producteur de bande dessinée, plus proche de l’auteur que de l’artisan, revendiquant la singularité de sa subjectivité créatrice.

La revue Pilote, dont la création en 1959 précède de peu l'amorce du processus de constitution et de polarisation du champ de la bande dessinée, joue un rôle dans la consolidation symbolique du statut d’auteur de bande dessinée. Pilote voit progressivement cohabiter deux générations d'auteur·e·s représentatives respectivement des deux pôles qui se forment à la même époque : d'un côté un pôle « conservateur238 », représenté par des producteurs comme Goscinny et

Charlier – co-créateurs et rédacteurs en chef de la revue dès 1963 – , tous nés dans les années 1920 et tenants d'une bande dessinée classique destinée majoritairement aux enfants ; de l'autre, une génération de producteurs plus jeunes comme Gotlib, Mandrika, Brétecher, Druillet, Giraud, Mezieres ou encore Fred, tous nés entre 1935 et 1940 et entrés dans le champ autour de 1965, représentant le pôle des « novateurs », et tenants d'une bande dessinée «

236 Luc Boltanski, « La constitution du champ de la bande dessinée », Actes de la recherche en sciences sociales,

n°1, 1975, p. 37-59.

237 Ibid. 238 Ibid.

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d’auteur », également qualifiée de bande dessinée « adulte ». Ainsi, à ses débuts, Pilote, journal d'abord pensé par ses fondateurs sur le modèle des illustrés pour la jeunesse existant depuis l'après-guerre, publie en majorité des bandes dessinées s’inscrivant dans la tradition des séries d'aventures conçues pour les enfants, généralement créées à quatre mains par un dessinateur et un scénariste, tous deux pouvant travailler simultanément sur plusieurs projets, ou reprendre une série amorcée par d'autres, la singularité des créateurs tendant à s'effacer derrière la continuité des séries et l'identité des personnages.

Sont publiées à partir du milieu des années 1960 les œuvres d'une nouvelle génération soucieuse de se distinguer de ses aînés et du traditionnel « récit à suivre » pour enfants. En matière de graphisme, à la traditionnelle « ligne claire » se substitue d'un côté une « ligne crade », avec laquelle le dessin se fait moins réaliste pour tendre parfois vers une forme de minimalisme expressionniste, comme en réaction au standard du dessin « bien fait » ou « soigné », perçu comme contrainte exogène attachée aux impératifs de lisibilité par un public enfantin ; de l'autre, s’élabore une forme de virtuosité graphique délaissant l'uniformité du trait pour multiplier les effets de texture, et substituant aux à- plat pastels la nuance du dégradé ou au contraire la violence des contrastes chromatiques, exclus de la bande dessinée tant que celle-ci se pensait uniquement comme une distraction « agréable » et « plaisante » adaptée à la sensibilité supposée du jeune public.

C’est au cours des années 1970 que s’amorce un processus de polarisation de l'espace des éditeurs, avec la création de maisons d'édition et de revues plus ajustées aux dispositions et aux prises de positions esthétiques des auteur·e·s qu'elles publient. Ces structures accompagnent un mouvement d'autonomisation croissante des stratégies auctoriales des producteurs issus de la « nouvelle bande dessinée » vis-à-vis des logiques éditoriales des éditeurs classiques : L'Écho des Savanes naît ainsi en 1972 d'une rupture entre certains membres de Pilote et Goscinny, alors rédacteur en chef de la revue, et qui occupe une position plutôt proche du pôle « conservateur ». C'est le refus par Goscinny d'une page de Mandryka, jugée trop en décalage avec la ligne éditoriale de la revue, qui aurait décidé ce dernier à fonder sa propre revue, accompagné de Gotlib et Brétecher. L'Écho ne publie dans un premier temps que les œuvres de ses trois fondateurs, qui y trouvent un espace de liberté garanti par l'indépendance totale de la revue vis-à-vis de toute structure éditoriale. La revue contribuera par la suite à révéler des auteur·e·s né·e·s pour la plupart dans les

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