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De Julia à Julia : la stratégie politique de César pour la gens Iulia

2. La matrone romaine dans les ambitions politiques des guerres civiles : faire et défaire les

2.2. De Julia à Julia : la stratégie politique de César pour la gens Iulia

2.2.1. César, épicentre d’une politique familiale de la conquête du pouvoir.

Les mariages de César lors de son ascension ont été destinés à s’attacher l’alliance ou l’influence des puissantes familles romaines de son temps. On prendra l’exemple ici de Cornelia (Figure 14), fille de Lucius Cornelius Cinna, déjà mentionnée plus haut ainsi que Pompéia Sylla (Figure 15), petite-fille de Sylla. Il s’agit de mettre en évidence la montée en puissance de César et le rôle qu’ont joué les épouses du triumvir dans ce parcours.

Cornelia fut la seconde épouse de César après Cossutia dont nous avons déjà parlé. Suétone indique qu’il a répudié cette dernière pour épouser Cornelia. Il s’agit donc de comprendre en quoi cette répudiation et ce nouveau mariage a pu servir les intérêts de César. Il faut chercher du côté du père de Cornelia, les raisons de ce mariage. Suétone indique que Cinna a été quatre fois consul155 et Plutarque qu’il « avait exercé la souveraine puissance »156. Ce mariage pouvait

donc avoir une double opportunité. D’abord celle de s’attirer la confiance d’un consul pour pouvoir gravir le cursus honorum et ensuite s’attirer le parti marianiste et donc des populares, que Cinna représentait lors de ses consulats (87-84 av. J.-C.). La mort de ce dernier en 84 av. J.-C. et le retour de Sylla en 83 av. J.-C. après avoir débarqué à Brindes et avoir remporté la bataille de la Porte Colline qui lance une vague de proscriptions, change la donne.157 C’est dans ce contexte que César cherche à se faire élire au flaminat de Jupiter, son mariage lui faisant finalement défaut. Les sources ne nous en disent pas plus bien qu’elles mentionnent Cornelia lors de l’éloge de César envers sa tante en 69 av. J.-C. De ce mariage naît Julia que César marie à Pompée en 59 av. J.-C. On peut ainsi supposer que César reste attaché à la fille de Cinna, pourtant vu comme un sanguinaire lorsqu’il tenait la ville, même après la victoire du camp syllanien pour montrer son attachement au camp des populares.

Pompéia Sylla, quant à elle, fût la troisième épouse de César, après la mort de Cornelia. Il peut paraître étrange que ce mariage ait lieu compte tenu du rattachement de César aux marianistes. Cependant, celui-ci intervient vers 67 av. J.-C.158, après la mort de Cornelia, c’est-à-dire bien

155 Suétone, César, I, 1-2 : « César avait seize ans lorsqu'il perdit son père. L'année suivante, il fut désigné flamine

de Jupiter ; et quoiqu'on l'eût fiancé, dès son enfance, à Cossutia, d'une simple famille équestre, mais fort riche, il la répudia, pour épouser Cornelia, fille de Cinna, lequel avait été quatre fois consul. Il en eut bientôt une fille, nommée Julia ».

156 Plutarque, Vie de César, I, 1. 157 Lacam J.-C., op. cit. p. 251.

158 Plutarque, op. cit.,V, 6 : « Après avoir fait les obsèques de sa femme, il accompagna, comme questeur, en

Espagne, le préteur Véter. qu’il honora depuis tant qu’il vécut, et dont il nomma le fils son questeur, quand il fut parvenu lui-même à la préture. Au retour de sa questure, il épousa, en troisièmes noces, Pompéia ».

après la mort de Sylla en 78 av. J.-C. alors que César sort de sa questure (donc après 69 av. J.- C.) et six ans avant le scandale des « Damia »159 de décembre 62 av. J.-C. dont nous reparlerons plus tard. Bien que Pompeia soit la petite-fille de Sylla (car fille de Cornelia Sylla, elle-même fille de Sylla), elle était également fille de Quintus Pompeius Rufus le Jeune, consul en 88 av. J.-C. avec Sylla, partisan de ce dernier et des optimates. Les sources, comme les historiens, sont peu bavards sur les raisons de ce mariage. On peut tout au plus que supposer que cette union de César avec une petite-fille de Sylla, qui avait pourtant proscrit celui-ci dans sa jeunesse, marque peut-être sa volonté de se rallier le parti des optimates, en plus du clan marianiste dont il fait partie, afin de poursuivre son ascension politique. Elle vise certainement aussi à rattraper les années « perdues » durant son exil.

2.2.2. Le mariage de Pompée et Julia : apogée de la politique triumvirale et

casus belli de la deuxième guerre civile.

Point culminant de la stratégie de conquête du pouvoir par les hommes du « premier triumvirat », le mariage entre Pompée et Julia (Figure 20), fille de César, fut aussi déterminant dans les événements qui déclenchèrent la guerre civile entre ces deux hommes. Les sources telles que Suétone, Velleius Paterculus et Plutarque, s’attachent à montrer que la mort de Julia, en 54 av. J.-C., est un facteur déterminant du déclenchement de la guerre civile. Il s’agit donc de démontrer désormais la pertinence de cette affirmation ainsi que le rôle clé du mariage Pompée et Julia.

Julia était la quatrième et avant-dernière épouse de Pompée : elle avait vingt-trois ans et lui quarante-six160. Le mariage a lieu en avril 59 av. J.-C.161 c’est-à-dire après le « premier triumvirat », accort informel entre Crassus, Pompée et César qui eut lieu en 60 av. J.-C. Cet accord, réconciliant notamment Pompée et Crassus, rivaux lors de la révolte servile, abouti à l’élection de César comme consul pour l’année 59 av. J.-C. Le mariage de sa fille avec Pompée venait donc sceller l’alliance entre les deux hommes tandis que César épouse la même année la fille de Lucius Calpurnius Pison, Calpurnia. C’est Velleius Paterculus qui nous montre que ce mariage consacre l’alliance politique des deux hommes162. Plutarque ajoute :

159 Carcopino, J., op. cit., p. 191. 160 Ibid. p. 289.

161 Ibid. p. 213.

162 Velleius Paterculus, Livre II, XLIV, 1 : Affinitas etiam inter Caesarem Pompeiumque contracta nuptiis. Quippe

filiam Caii Caesaris Cnaeus Magnus duxit uxorem. « Des liens de parenté resserrèrent l'alliance de César et de

« Car, peu de temps après, il épousa, contre l’attente de tout le monde, Julia, fille de César, promise à Cépion, et dont les noces avec celui-ci étaient déjà préparées ; et, pour calmer le ressentiment de Cépion, il lui accorda sa propre fille, qui avait été fiancée auparavant à Faustus, fils de Sylla. Pour César, il épousa Calpurnia, fille de Pison. De ce moment, Pompée remplit la ville de soldats, et s’empara des affaires à force ouverte. Le consul Bibulus étant descendu au Forum avec Lucullus et Caton, des soldats tombèrent sur eux tout d’un coup, et brisèrent les faisceaux : on jeta même un panier d’ordures sur Bibulus, qui en fut couvert de la tête aux pieds ; et deux tribuns du peuple, qui l’accompagnaient, furent blessés. Ces violences chassèrent du Forum tous ceux qui eussent résisté aux desseins de César et de Pompée, et la loi sur le partage des terres fut ratifiée163 ».

Il faut voir dans ce mariage une véritable occasion d’imposer une politique durable : pour César, s’allier avec le « Grand » Pompée permettait de mieux l’arrimer à sa barque politique et pour Pompée, à nouveau, l’alliance avec une ancienne famille romaine. Julia est jeune et elle pourra lui donner d’autres enfants. Elle apportera aux Pompeii le sang des Iulii, dont on dit qu’il est divin. Ce sang qui vient ennoblir une lignée de chevaliers italiens est donc une opportunité164. Cet étrange jeu de chaises musicales que nous décrit Plutarque entraine une chaine de divorces, qui révolte Caton, lui qui avait refusé ses nièces à Pompée et qui affirmait « que l’on prostitue l’empire par des mariages et que l’on se sert de faibles femmes pour se passer de main en main les provinces, les armées et les commandements »165. On peut également ajouter que ce jeu d’alliances, qui pourrait être une « banale alliance politico-familiale, comme il en était tant dans la classe dirigeante romaine »166 consacre en fait la rupture entre Pompée et Faustus Sylla, fils de Sylla, et donc avec une partie des optimates. Il franchissait le pas vers les populares.

De plus, d’après Plutarque, les triumvirs, à la suite de cette alliance, font monter la pression contre le sénat car Pompée « remplit Rome de soldats ». Ces hommes sont les anciens légionnaires qu’il avait licenciés trois ans plus tôt à son retour d’Orient. Heureux de retrouver leurs foyers, ces vétérans qui suivaient parfois Pompée depuis vingt ans espéraient recevoir le fruit de leurs efforts : des terres. Mais, malgré l’activité de l’imperator en leur faveur, rien n’est venu du sénat. Trois longues années à attendre l’attribution d’une terre sur laquelle s’installer et vivre qui les poussait à la violence, exacerbée par Pompée lui-même. Alors que le consul Bibulus tente de se rendre sur le forum en compagnie de Caton et de Lucullus, les partisans des triumvirs les attaquent. Les licteurs sont frappés et leurs faisceaux sont brisés par des hommes en armes. Cet acte, mentionné par Plutarque, manifeste la volonté de dépouiller Bibulus de son pouvoir légal.

163 Plutarque, Vie de Pompée, XLVIII, 1-2-3. 164 Teyssier, E., op. cit., p. 269.

165 Plutarque, Vie de César, XIV, 7. 166 Teyssier, E., op. cit.

Cependant, comme le triumvirat, cette alliance allait rapidement s’estomper. En septembre 54 av. J.-C.167, les difficultés du triumvirat débutent, avec la mort de Julia. Les sources mettent en avant une liaison parfaite, voire idyllique168, cependant, en 54 av. J.-C., César est en Gaule et Pompée à Rome où les optimates, au sénat, étaient inquiets des ambitions de César : Caton menaça César d’un procès, l’accusant d’abus de pouvoir en Gaule et César, se protégeant derrière la durée de son commandement, prétendait briguer le consulat pour se soustraire au jugement169.

Les événements allaient donc se précipiter à la suite de la mort de Julia. Les sources mettent en avant cet événement comme une tragédie. C’est à nouveau Lucain qui nous fait part de ces faits :

« « O Julia ! Seul gage de leur alliance, tu n'es plus. Les flambeaux de ton hymen, allumés sous le plus noir auspice, se sont éteints dans le tombeau. Ô toi ! Que les cruelles Parques ont enlevée au monde ! Si le destin t'eût laissé vivre, tu aurais pu, à l'exemple des Sabines, te précipiter entre ton père et ton époux, les retenir, les désarmer, joindre leurs mains dans tes mains pacifiques. Ta mort affranchit Pompée et César des liens de la foi jurée : rien ne s'oppose plus à cette jalousie impatiente, à cette émulation de gloire, qui les presse de ses aiguillons ».170 ».

Lucain voit donc en cet événement la fin de l’alliance triumvirale et le début de l’affrontement entre César et Pompée. Après la mort de son épouse, Pompée vit une période de flottement. Souvent enclin à se retirer chez lui quand une situation lui déplaît, il s’isole dans les semaines qui suivent. Cet éloignement de la vie publique n’arrange pas la situation à Rome. La mort de Crassus, et de son fils (époux de Cornelia, future épouse de Pompée), à la bataille de Carrhes en 53 av. J.-C. amplifie la bipartition de Rome entre « Césariens » et « Pompéiens ». Dans un contexte où les morts de Julia et de Crassus laissent entrevoir le déclenchement prochain d’une terrible guerre civile, il n’est pas étonnant de voir réapparaître les bandes de Clodius et de Milon171 qui apportent à Rome un climat de violences qui repousse les élections. Ce report ne fait qu’accroître les tensions et les luttes entre les rivaux. Chaque parti peut compter sur ses hommes de main, qui ne se déplacent plus qu’en bandes organisées et structurées. Les mois passent, et la situation à Rome devient de plus en plus intenable alors que Pompée est retiré dans sa villa d’Albe. Sans consuls désignés pour 52 av. J.-C., la ville sombre peu à peu dans

167 Carcopino, J., op. cit., p. 289.

168 Plutarque, Vie de Pompée, LIII, 2-3-4 : « Tandis qu’il passait son temps en Italie, à se promener avec sa femme

dans ses maisons de plaisance, soit qu’il fût amoureux d’elle, ou, qu’en étant tendrement aimé, il n’eût pas la force de s’en séparer, car on en donne cette dernière raison. Il n’était bruit, en effet, que de l’attachement de Julia pour Pompée ; non qu’il fût d’âge à être aimé passionnément : cette tendresse s’explique par la sagesse du mari, qui n’aimait point d’autre femme que la sienne. »

169 Lacam J.-C., op. cit. p. 279. 170 Lucain, op. cit., I, 114-118. 171 Teyssier, E., op. cit., p. 306.

l’anarchie et le chaos. Le 18 janvier 52 av. J.-C., c’est tout un convoi qui marche sur la Via

Appia en direction de Lanuvium. Il y a là Milon, avec sa femme, ses enfants, ses esclaves, ses

musiciens et tous ses bagages. C’est alors que le destin met sur son chemin la dernière personne qu’il aurait dû croiser. Clodius en personne apparaît sur la route, en sens inverse172. Très vite la

rue tombe dans les affrontements qui conduisent à la mort de Clodius. Ces événements sont clairement associés à la mort de Julia par Velleius Peterculus173. Valère Maxime également met en avant le tragique mort de Julia, en précisant ses causes :

« Un jour, de l'assemblée où se faisait une élection d'édiles, on lui rapporta la robe du grand Pompée, son époux, toute tachée de sang. A cette vue, saisie de frayeur et redoutant d'apprendre quelque attentat contre lui, elle tomba évanouie. Comme elle se trouvait enceinte, cette terreur subite et la douleur de sa chute provoquèrent une couche prématurée. Elle en mourut pour le grand malheur du monde, dont la tranquillité n'eût pas été troublée par l'horrible déchaînement de tant de guerres civiles, si la concorde eût été maintenue entre César et Pompée par les liens étroits de la famille »174.

C’est dans un contexte de violence que Pompée revient à Rome la même année avec le titre de consul unique et épouse Cornelia, fille de Metellus Scipion. Pompée, qui avait déjà refusé d’épouser Octavia, nièce de César, épouse ainsi la veuve du fils de Crassus et la fille d’un opposant à César175. Ce sont là les « liens étroits de la famille » qui n’ont pas pu être maintenus que mentionne Valère Maxime. C’est ce choix de mariage, plus que la mort de Julia qui déclenche la guerre civile.

On peut donc voir en Julia, une femme mise en avant comme aimante par les sources mais responsable, par sa mort, du déclanchement de la guerre civile. Cet événement est toutefois à minorer au vu de l’atmosphère politique globale que connaît Rome. En janvier 49 av. J.-C., cinq ans après la mort de sa fille, César est sommé de démobiliser son armée par le sénat sous peine de devenir ennemi public. Le 12 janvier, il franchit le Rubicon, et marche vers Rome en toute illégalité. Pompée devenait alors son principal adversaire.

172 Asconius, Commentaires sur les discours de Cicéron, Pour Milon, 32.

173 Velleius Paterculus, Livre I, XLVII, 2 : « César était en Gaule depuis sept ans environ quand mourut Julia,

femme du grand Pompée, gage d'une union qu'elle maintenait déjà difficilement par suite de la jalousie des deux rivaux. La fortune rompit tout lien entre ces deux chefs qu'elle vouait à une si grande rivalité : le jeune fils que Pompée avait eu de Julia mourut lui aussi peu de temps après. Alors on tira l'épée et on assassina les citoyens, les cabales se déclarèrent sans fin ni mesure, et Cneius Pompée obtint un troisième consulat. Il fut nommé consul unique par les voix de ceux-là mêmes qui s'étaient opposés jusque-là à son élévation ».

174 Valère Maxime, Livre IV, VI, 4. 175 Teyssier, E., op. cit., p. 305.

2.3. Les femmes et la stratégie de reconquête du pouvoir par les partisans de César.