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Chapitre 5 – Le jugement « final »sur le CNE

1. Les jugements défavorables au CNE

Ceux qui étaient contre et n’ont pas changé d’avis

Entretien n° 9 : « Le CNE, un contrat de m... ».

En ce qui concerne le CNE, IA le qualifie de « nouvel intérimaire ». Pour lui, les deux années de consolidation sont équivalentes à une période d’essai de deux ans. Il estime que deux années ne se justifient pas car un employeur peut juger de la performance d’un salarié au cours des pre- mières semaines. Il déplore également la possibilité pour l’employeur de licencier sans donner de motifs. Selon IA, cela peut conduire à des licenciements abusifs pour des raisons personnelles et non professionnelles. Enfin, IA indique qu’à l’avenir, il n’acceptera plus de CNE car il a une fa- mille à nourrir et un emprunt immobilier à rembourser. « Être en CNE à 30 ans, ce n’est plus la

même chose qu’à 20 ans » conclut-il.

À la question considérez-vous votre vie professionnelle comme stable, il répond : « Stable non

parce que je suis toujours en CNE et donc on ne sait pas, il peut nous licencier à n’importe quel moment. » Que vous pensiez du CNE au moment de votre embauche ? « Je pensais que c’était un peu de la merde et je pense toujours que c’est de la merde. » Cependant, IA n’est pas vraiment

inquiet d’être en CNE car son but est uniquement d’acquérir de l’expérience et non pas de faire car- rière dans cette entreprise « Pour moi c’est juste une entreprise qui va me servir de tremplin ». IA désapprouve en particulier deux aspects du CNE : l’absence de justification des raisons du licen- ciement et la durée de la période de consolidation : « En CDI il faut un motif, là, je ne sais pas moi,

vous vous prenez la tête avec le patron deux, trois fois, c’est un CNE, pschitt […] j’estime qu’un CDI avec deux mois de période d’essai, c’est suffisant. S’ils veulent six mois je veux bien, mais deux ans, pour moi, ça veut dire qu’on est un pion. Y a du taf, je te garde, y a plus de taf ou tu me dis un mot de travers […] Le CNE, je trouve ça complètement débile. En plus, je trouve que c’est vraiment du forcing parce que c’est les partons qui proposent un CNE ou rien du tout. C’est un peu de la dictature […] le truc que je trouve vraiment débile, c’est une période d’essai de deux ans […] je pense que c’est du gagne-petit parce que le gars il ne demande pas d’augmentation parce que c’est un CNE et t’es pas content tu dégages [...] J’appelle ça l’intérimaire nouveau ». Il continue : « le CNE c’est le grand frère du CPE parce que c’est la même chose mais ce n’est pas réservé aux jeu- nes ». Selon IA, le CPE n’est pas passé car les jeunes, eux, ont pu manifester mais les travailleurs

qui ont une famille à nourrir ne peuvent pas se permettre de perdre quelques jours de salaire et, par conséquent, n’ont pas les ressources nécessaires pour faire grève ou manifester.

leur dise que c’est de la merde ».

Entretien n° 10 : un « mauvais » contrat.

EO a entendu parler du CNE pour la première fois à la télévision, il ne sait plus trop quand. Le fait d’avoir été en CNE n’a pas changé son point de vue sur ce contrat : « Je savais que c’était mauvais

pour les salariés, je n’ai pas changé d’idée […] pour moi, c’est un contrat qui est au bénéfice de l’employeur mais pas du salarié ». Selon lui, pendant la période de deux ans, « on peut se faire licencier à tout moment ». EO juge donc la période de consolidation excessive. « Pour moi un vrai contrat, c’est d’avoir une période d’essai de trois à six mois. Sur six mois, on a le temps de voir ce que l’on vaut alors que là, le patron, pour n’importe quelles raisons, il peut licencier […] Pour moi, deux ans, c’est pour faire rêver, et puis après six mois, quatre mois, on licencie pour la moin- dre raison. » EO pense que son employeur a eu des avantages à l’embaucher. Il ne sait pas lesquels,

mais pense que cela à voir avec l’ANPE. Il conclut qu’il n’acceptera pas de CNE à l’avenir car : « Si jamais il y a une mauvaise relation avec le directeur en dehors (indépendamment) du travail, il

pourra me licencier pour d’autres motifs que le travail ». EO précise également qu’il n’acceptera

plus de CDD (il en avait signé deux en 2000).

Étaient indifférents, curieux ou ne savaient pas ce que c’était, sont devenus contre

Entretien n° 14, un contrat pour les premières expériences de travail et les jeunes.

TC affirme qu’elle n’acceptera plus de CNE à l’avenir dans la mesure où celui-ci est source de da- vantage d’incertitude quant à son avenir professionnel. Le CNE est selon elle un contrat pour les jeunes diplômés. Elle estime donc qu’étant donné son expérience professionnelle (deux ans en ap- prentissage, deux ans en CDI et près d’un an en CNE) elle mérite d’être embauchée en CDI, chez cet employeur ou chez un autre.

Entretien n° 24, un accroissement de la précarité.

Son employeur lui a présenté le CNE comme un « CDI pour jeunes » et pour lequel il reçoit une aide publique, sans évoquer aucune autre disposition. L’ouvrier considère que c’est à cause du CNE qu’il a perdu son emploi, tout en ignorant les dispositions (consolidation et prime). Le salarié estime que le CNE accroît la précarité des salariés, pense qu’il risque de ne retrouver que des contrats pré- caires, tout en mettant en cause, non l’employeur contraint de licencier, mais l’État (système bu- reaucratique, éloigné des préoccupations de la base).

Entretien n° 25, très mauvaise expérience.

Ne savait pas qu’il était en CNE : sentiment de n’avoir aucun droit durant les deux ans d’essai ; peur d’être licencié d’un jour à l’autre.

Entretien n° 44, « s’il n’est pas satisfait, le patron peut te virer ».

BC pensait être en CDI. Il se trouve sur un emploi mal payé, à temps partiel, flexible dans les horai- res, et complété par d’autres emplois. Il est licencié du jour au lendemain, sans préavis, sans procé- dure, sans motif. L’entreprise se situe hors du droit du travail, avec ou sans CNE. Préfère encore le CDD qui assure une durée fixée à l’avance : « on sait que le contrat se termine dans deux mois, on

peut continuer à chercher du travail en même temps ». Mais, ce qui serait « impeccable » pour lui,

c’est « une petite boîte qui embauche en CDI ». D’une façon générale, sur le CNE : « d’après ce

que j’ai entendu, c’est le patron qui décide. S’il n’est pas satisfait, il peut te virer. Ça, je trouve que ce n’est pas normal. Les patrons vont profiter de cette occasion, c’est sûr et certain ».

L’évolution de son avis sur le CNE est radicale. Au moment de son embauche en CNE, il est plutôt favorable et le compare volontiers aux contrats anglo-saxons qu’il a pratiqués. Mais l’expérience se passe très mal et désormais, pour lui, le CNE est un contrat « hypocrite, malhonnête, au contraire

du contrat anglais qui annonce la couleur ». Le fait de faire croire à une embauche possible, et la

possibilité de licencier facilement permet de faire peser une pression permanente sur le salarié et d’exiger d’eux un investissement sans réserve. Pour lui, le CNE n’existe que pour être utilisé dans cette optique de tricherie ; le CNE n’est en aucun cas un CDI avec une période d’essai prolon- gée.

Entretien n° 54, le CNE, un contrat « kleenex ».

Dès la signature du contrat, OH « sent un truc louche », demande à lire le contrat avant de le signer, ce que le patron refuse : « tu ne me fais pas confiance ? ». C’est le lendemain, en recevant une copie du contrat, qu’il s’aperçoit qu’il s’agit d’un CNE. L’employeur n’a jamais fait allusion, encore moins justifié l’utilisation du CNE. Il n’en sera jamais question jusqu’au moment de la rupture. Dans son emploi suivant, il sera également mis en CNE, sans discussion possible « c’est la mode ». D’une façon plus générale, il considère que « le CNE est un mariage de deux ans. Si vous n’avez

pas deux ans dans la boîte, vous n’avez le droit à rien ». « Ça arrange les patrons et ça dérange les salariés. Le CNE, c’est comme un kleenex, une fois qu’il est utilisé, on le jette ».

Entretien n° 62, le CNE, un contrat « régressif », un contrat de « défiance »

C’est à l’occasion de ces licenciements que IN apprend qu’il y a une prime de rupture de 8 %… D’après elle, le patron l’a donc embauchée en CNE pour avoir toute latitude de l’éjecter au moment ou sa crise de confiance interviendrait. Les dernières embauches se sont toutes faites en CNE : le directeur en a fait une règle (quels que soient le poste et la fonction). Et sur tous les CNE embau- chés, les trois quarts se sont fait licencier rapidement et ce, sur des prétextes assez fallacieux. Un contrat régressif : en conclusion, le CNE est « un contrat où l’employeur a tout à gagner et

l’employé tout à perdre. La flexibilité qui est donnée, c’est quand même plus l’employeur qui pourra en profiter que l’employé. Ça va dans le sens d’une régression de la protection du sala- rié ». L’expérience donne tort à ceux qui défendaient le CNE en disant que les employeurs

n’allaient pas embaucher pour licencier dans les deux ans. Elle note cependant à propos du CDI que ce n’est peut-être pas facile, pour l’employé y compris, de rompre un tel contrat : « On peut aussi se

sentir prisonnier de son CDI ».

Entretien n°64, une période d’essai « abusive ».

FG avait entendu parler du CNE avant son embauche et connaissait l’une de ses caractéristiques : l’existence pendant deux ans d’une période d’essai. Elle juge cette caractéristique « abusive ». Elle trouve que six mois d’essai, ça devrait être un maximum, et l’employeur devrait être capable pen- dant cette période de juger la compétence de la personne embauchée22. FG estime que le CDI à temps plein constitue le type de contrat le plus intéressant, car le plus stable et le plus rémunérateur. Elle n’est pas contre a priori le CDD, mais trouve que certaines durées sont ridiculement courtes. FG cite un CDD de sept jours vu dans une annonce ANPE. À titre personnel, elle souhaiterait avoir un CDI à temps plein. FG trouve qu’à temps partiel, au Smic, c’est vraiment impossible de vivre avec un enfant.

puissants ».

DH, au départ, s’en fichait de prendre un CNE, ce qui comptait c’était la patronne et le fait qu’elle remplaçait quelqu’un de permanent (ce qui compte, c’est l’employeur et la stabilité du poste). Elle ne fétichise pas le CDI car elle a déjà été licenciée en CDI, elle sait que ce n’est pas protecteur. Elle trouve même des avantages au CNE : c’est moins rigide : c’est plus facile de partir avec un tel contrat. « Un CDI où on a un mois de préavis ou même quinze jours, c’est plus contraignant ». Avec le recul, elle a compris que ce CNE, c’était « un piège ». DH, elle, a pris ce contrat parce qu’elle n’avait pas le choix. Un an de chômage, c’était l’horreur, elle en venait à déprimer. Elle au- rait pu prendre n’importe quoi. La pression est beaucoup plus forte sur les CNE. Il y a un vrai « chantage au licenciement ». Sur elle, encore pas tellement, parce qu’elle a remplacé une CDI et parce qu’elle ne se laisse pas faire (elle a été voir la responsable à un moment et lui a dit : « ça suffit

comme ça maintenant, sinon, je vais à l’Inspection du Travail »). Mais sur ses deux autres collègues

en CNE, c’est un chantage permanent : « si tu ne fais pas cela (des tâches non prévues, des heures supplémentaires non payées), on peut te balancer comme on veut ». Vraiment, avec le CNE, l’employeur est tout-puissant : « avec un contrat comme cela, ils se sentent tout-puissants ».

Entretien n° 74, le cercle vicieux de la précarité.

Idéologiquement, KN est contre. Ce n’est pas bien de ne pas motiver le licenciement… Mais prag- matiquement, c’est autre chose. De toute façon, l’ensemble du fonctionnement du marché du travail est à revoir : « dans ce pays, quand on n’a pas de CDI, on n’a accès à rien et puis, on ne prête

qu’aux riches, l’argent va à l’argent ». « Le coût du loyer à Paris est scandaleux et insupporta- ble ». « Sans CDI, on ne peut pas s’engager, et c’est le cercle vicieux de la précarité ». « Com- ment s’engager et s’impliquer dans son travail, se donner à 100 % quand on sait qu’on va pouvoir être viré dans quelques mois, quand on n’a aucune assurance, quand on sait qu’on n’aura plus de travail et que, pour en trouver, il faudra peut-être faire 200 kilomètres. Une fois, ça va, mais deux fois, trois fois ? Et comment faire quand on a un conjoint qui travaille aussi (ce n’est pas son cas, il

est célibataire) et des enfants, dont il faut changer l’école »… KN même attend d’être stabilisé avant de fonder une famille. « C’est déjà suffisamment difficile comme ça ».

Entretien n°75, le CNE, deux ans de « mise à l’épreuve ».

Au départ, TD accepte le contrat après s’être renseignée et avoir négocié le salaire. Après, elle se rend compte qu’elle doit faire un préavis comme dans le CDI et qu’elle n’a donc, elle salariée, au- cun avantage. Elle se rend compte aussi que le CNE sert d’instrument de pression et de chan- tage sur les nouvelles recrutées. « Deux ans de mise à l’épreuve, c’est injuste ». Le patron est

plus protégé que le salarié. Il peut vous licencier sans invoquer un problème, mais le salarié qui veut démissionner, non seulement il n’est pas au courant de ses droits, mais il n’en a pas. C’est flou, trop flou ». « Le CNE, c’est deux ans de mise à l’épreuve : les filles en CDI bossaient autant

que celles en CNE mais celles en CNE n’avaient rien à dire. « Si on ne faisait pas le chiffre

d’affaires du mois, la patronne mettait plus la pression sur les CNE que sur les CDI : les CNE ont plus leurs preuves à faire, il faut bosser deux fois plus. Il faut rentabiliser. Les filles qui sont là en CDI, elles sont sûres de rester, pas nous. Par exemple, à Karine, en CDI, la patronne dit : “Karine, elle, elle a déjà fait ses preuves, ça fait quatre ans qu’elle est là. Il faudrait que vous vous motiviez un peu plus” ». À TD, elle disait : « “il faudrait qu’au niveau des massages, ça aille un peu plus vite, et qu’il y ait plus de clients, n’oubliez pas que vous êtes en train de faire vos preuves”. Aux deux petites collègues arrivées en septembre en CNE et qui n’ont pas assez vendu : “si vous n’avez pas fait 300 euros chacune de chiffre à la fin de la semaine, c’est la porte” ».

Entretien n° 84

Alors qu’au départ, NT voyait le CNE comme plus favorable que le CDD (mauvaise expérience antérieure de CDD successifs non transformés comme prévu en CDI), elle considère au bout d’un

rience de six mois comme assistante d’agence d’intérim lui donne une bonne connaissance des rela- tions de travail). D’une façon générale, elle considère néanmoins que le fait de ne pas avoir de pré- avis à donner est un avantage important par rapport au CDD.

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