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Journal : le monde diplomatique :

MONTÉE DE LA VIOLENCE ET CRISE DU PARTI BAAS

1. La société syrienne contre son État,

Publié en Avril 1980, par Paul Maler

Une répétition générale. C’est la conclusion que tire l’opposition syrienne des nouveaux événements qui, en mars, ont ébranlé le pays, marquant une nette accélération dans l’entropie du régime.

L’ampleur du mouvement, si elle n’a eu que peu d’écho dans la presse internationale, a frappé tous les esprits en Syrie. Une fois encore, Alep, dont la structure sociale traditionnelle, et donc la cohésion, a été mieux préservée que dans la capitale des atteintes de l’Etat, gardait l’initiative de la lutte contre celui-ci. Paralysée par une grève générale, la ville a été le théâtre d’affrontements violents entre jeunes manifestants et « forces spéciales », les premiers s’étant particulièrement acharnés contre les permanences du parti Baas, les coopératives de consommation, les établissements publics, les autobus, le bureau des lignes aériennes

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syriennes et celui de l’Aeroflot. D’autre part, certains quartiers populaires ont dû subir les assauts de ces mêmes « forces spéciales » : des blindés ont été engagés, appuyés par des hélicoptères, dont l’utilisation intensive fut une grande première dans l’histoire militaire syrienne.

Dans cette bataille, le site historique de la citadelle servait de point d’appui aux forces aéroportées : illustration saisissante de cet Etat, retranché dans sa propre société. La même tactique a été employée contre les bourgs de la campagne avoisinante : à Idlib, Ma’ara-al-Nu’man et Jisr-al-Shughur. Depuis, la 3e Division — vingt-cinq mille hommes et quatre cents blindés — a pris position dans la région du Nord. Dans les milieux bien informés de la capitale, on estimait, à la mi-mars, à un millier le nombre des victimes de ces affrontements. Les autres villes de Syrie ne sont pas demeurées en reste : le 8 mars, pour le dix-septième anniversaire de la révolution, toutes les villes étaient en grève, et Damas même obéissait au mot d’ordre dans une proportion de 40 % environ. Comme à Alep, de violentes manifestations ont ponctué cette insolite commémoration de l’arrivée du Baas au pouvoir.

Autre fait d’importance, les Frères musulmans ne sont pas les seuls instigateurs du mouvement, même si leur participation est déterminante. Ainsi, à Alep, les nassériens de Jamal Atassi et les communistes du « bureau politique » ont joué un rôle non négligeable dans l’organisation de la lutte dans les quartiers et sur les lieux de travail, de même que les associations professionnelles (avocats, médecins, etc.). A Hama, les partisans d’AkramHaurani font reparler d’eux ; à croire que dix-sept années de régime baasiste n’ont pas entamé l’autorité du vieux leader charismatique […]Au-delà de ces événements, on observe la remontée du peuple syrien sur la scène politique qu’il avait animée avec force durant les années 50 et dont le Baas avait fini par l’écarter. AAlep, Hama, Lattaquié... les manifestants ne demandaient rien de moins — et de manière explicite — que la chute du régime, dépassant en cela tous les programmes des organisations politiques. Pour tenter d’enrayer ce réveil de la « société civile », l’Etat a jeté toutes ses forces dans la bataille en mobilisant la société bureaucratique. A raison d’un congrès par jour, toutes les « organisations populaires » — ouvriers, paysans, artisans, jeunesse, femmes, enseignants, écrivains, étudiants — ont été mises sur le pied de guerre, et la création, pour certaines, de « sections armées » a même été annoncée. Mais les allégations tendant à faire passer le pouvoir actuel pour le représentant des « masses laborieuses et des intellectuels révolutionnaires » ont perdu de leur efficacité pratique. Il paraît peu vraisemblable que les ouvriers et les paysans concernés acceptent de verser leur sang « pour défendre les acquis de la révolution », et que

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se résorbe dans une guerre civile cette levée en masse contre l’Etat. Suivant une autre ligne politique — moins « révolutionnaire », — des commissions du parti Baas étaient dépêchées dans les principales villes en effervescence pour trouver un terrain d’entente avec les chefs religieux et les notables locaux, en leur laissant le soin d’encadrer la fraction du peuple hors d’atteinte des appareils bureaucratiques. Brandissant le spectre de la « réaction » aux ouvriers et aux intellectuels, celui du communisme aux commerçants et à l’élite politique traditionnelle (ou ce qu’il en reste), le pouvoir voudrait se présenter encore comme la seule force capable de gouverner le pays. Le pourra-t-il longtemps si se confirme cette montée du mouvement populaire ?

Dernier fait à noter, celui de la personnalisation du pouvoir. Après avoir laissé s’affronter les différentes factions au sein du Baas, le président Hafez Assad est descendu dans l’arène pour mesurer l’état de son charisme auprès des « organisations populaires ». Prenant la parole à chaque congrès, il a mis en avant son « ascendance paysanne » et son attachement à l’islam. Pour justifier une telle mobilisation, il a élargi le cercle de ses adversaires déclarés, des Frères musulmans à la C.I.A., au sionisme et à la réaction arabe, accusés de comploter contre le chef de file des pays du Front de la fermeté. A chacune de ces manifestations, on a remarqué l’absence de M. Rif’at Assad, frère du président, qui serait atteint d’une grave maladie et actuellement en traitement en Occident.

2. Une rhétorique religieuse qui transcende les clivages

Qui sont les rebelles syriens ?

Publié en décembre 2016 Par Bachir El-Khoury

Après quatre ans de guerre, la bataille d’Alep reste cruciale pour l’avenir de la Syrie. Assiégés depuis septembre par les forces progouvernementales dans la partie est de la ville, les insurgés appartiennent essentiellement à des mouvements islamistes. Mais leurs milices n’ont pas le monopole de la radicalisation, de l’intégration de combattants étrangers ou du discours religieux.

La multitude et la diversité des acteurs armés qui participent à la bataille d’Alep, et dont beaucoup viennent de l’étranger, expliquent la durée et l’extension du conflit syrien. Pour rendre compte de la situation, il importe d’éviter les simplifications dans la terminologie employée au sujet des combattants. Identifier tant les troupes « rebelles » que les forces qui soutiennent l’armée régulière suppose aussi de comprendre leurs idéologies et leurs projets

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politiques. Les informations recueillies auprès de chercheurs et de personnes présentes sur le terrain peuvent cependant diverger, en particulier quant au nombre de combattants. Il convient donc de les prendre avec précaution.

S’agissant de l’opposition armée au régime de M. Bachar Al-Assad, on discerne trois types de groupes : ceux qui combattent de façon autonome, ceux qui fusionnent entre eux et ceux qui coordonnent leurs assauts à travers une « chambre d’opérations » (ghourfatal’âmaliyyat). À Alep-Est, où vivraient encore environ 250 000 personnes, ainsi que dans les bastions rebelles proches, deux « chambres d’opérations » principales rassemblent au total entre 10 000 et 20 000 hommes. La première, baptisée Jaïch Al-Fatah (Armée de la conquête), représente près d’un tiers des soldats rebelles. Elle est notamment composée du Front Fatah Al-Cham, l’ex-Front Al-Nosra (la branche syrienne d’Al-Qaida), et de ses alliés. Plus modérée, la coalition Fatah Halab(Conquête d’Alep) rassemble plusieurs factions proches des Frères musulmans ou affiliées à l’Armée syrienne libre (ASL). Cette coalition représenterait environ la moitié des effectifs qui combattent le régime et ses alliés dans la région, selon Fabrice Balanche, maître de conférences à l’université Lyon-II. Les 15 à 20 % restants correspondent à une dizaine de petits groupes indépendants sans idéologie clairement affichée, qui gravitent autour de ces deux pôles majeurs.