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Quand on fait la rencontre du couple formé de Luc et de Jolianne, on croit d’abord avoir affaire à des individus qui souhaitent s’éloigner du modèle traditionnel décrit par Fontaine. Jolianne a 30 ans, n’est pas certaine de ses sentiments envers Luc – ou elle peine à se les avouer – et parait très indépendante, voire volage. Elle a du reste connu sa liaison la plus longue avec un homme marié.107 Elle affirme : « Ben je sais que si je m’engageais sérieusement, y a quelque chose que [Luc] va vouloir que moi j’serai pas prête à y donner : des enfants. […] Moi j’en ai jamais voulu, y a au moins ça de clair présentement dans ma vie. »108 Jolianne finit d’ailleurs par tromper Luc avec son amour de jeunesse, Olivier, mais ce dernier déclare qu’elle ne doit rien

107 Une relation où elle cherchait peut-être à compenser pour le fait que Charles, son père, la néglige.

108 C. DESROSIERS (réal.) & S. BOUCHER (scén.). « Eaux troubles », Aveux, Montréal, Radio-Canada, 6 octobre 2009, Émission de télévision, (60 minutes).

espérer de leur aventure. Malgré cette déconvenue, Jolianne a renoué, le temps d’une nuit, avec un ancien amour, un schème formulaire que Fontaine observe déjà dans la série Nos étés.

C’est le lendemain d’un accident impliquant sa mère que Jolianne peut s’excuser auprès de Luc et lui expliquer les circonstances ayant mené à son infidélité. Dans la scène suivante, elle propose même à Luc de l’épouser, sans qu’on sache exactement si elle blague ou si elle est sérieuse. Or, quelques jours plus tard et après seulement quatre mois de fréquentations, Luc demandera à Charles la main de sa fille. Ce geste étonne d’ailleurs en raison de son caractère suranné. Il n’empêche qu’au dernier épisode de la série, Jolianne essaie la robe de mariage portée par sa mère…

Un tel revirement de situation fait que le personnage de Jolianne, tel que tracé au début de la série, « évolue » radicalement. Tout se passe comme si la mort de Pauline Laplante et le retour de Carl/Simon modifiaient son essence même. On passe en effet d’une femme peu encline à s’engager à quelqu’un qui se prépare carrément à se marier. Du coup, on serait en droit de se demander si un tel revirement vise à aménager un happy ending susceptible de plaire au public plutôt qu’à assurer la cohérence d’un personnage…

Néanmoins, la dynamique entre Jolianne et Luc demeure distincte de celle notée chez les couples étudiés précédemment. De fait, les deux semblent en constante confrontation, se disputant et se mentant sans vergogne. Dans ce couple, c’est la femme qui a peur de l’engagement, un cas de figure observé par Fontaine dans ses recherches sur la représentation des couples postmodernes à la télévision.

Non sans raison, Luc demande à Jolianne comment ils pourront bâtir quelque chose dans le futur si elle n’arrive pas à être honnête avec lui, et Jolianne lui répond du tac au tac : « Qui qui te parle de construire quelque chose ? »109 Luc veut faire bouger les choses, vivre chez Jolianne, tandis que cette dernière lui sert ce commentaire : « Ça fait combien de temps que t’as pas vu ton appart ? »110 Elle met sans cesse les freins, se sentant insatisfaite : « En amour, c’est comme si j’étais toujours en attente de quelque chose de plus, de plus fort… On dirait que je suis pas capable de me contenter de c’qu’y a. Jamais assez. »111 En outre, leurs querelles durent

109 C. DESROSIERS (réal.) & S. BOUCHER (scén.). « Bombe à retardement », Aveux, Montréal, Radio-Canada, 15 septembre 2009, Émission de télévision, (60 minutes).

110 C. DESROSIERS (réal.) & S. BOUCHER (scén.). « L’encerclement », Aveux, Montréal, Radio-Canada, 29 septembre 2009, Émission de télévision, (60 minutes).

111 C. DESROSIERS (réal.) & S. BOUCHER (scén.). « Eaux troubles », Aveux, Montréal, Radio-Canada, 6 octobre 2009, Émission de télévision, (60 minutes).

longtemps, ni l’un ni l’autre ne voulant plier. Quant aux mensonges, ils fusent de part et d’autre. Dès le départ, Jolianne cache l’existence de son frère à Luc, tandis que lui fait sa propre enquête, allant jusqu’à contacter un de ses amis travaillant pour la Sureté du Québec (cf. épisode 4), sans en parler à Jolianne. Dans Comment survivre dans une famille dysfonctionnelle, Raymond M. Jamiolkowski rappelle l’importance de la communication et de la compassion réciproque pour conserver l’équilibre au sein d’une famille112, deux composantes apparemment absentes chez le couple fictif formé de Jolianne et de Luc.

Toutefois, le dysfonctionnement dans le couple Jolianne/Luc semble surtout se manifester à travers le mensonge, lequel crée un perpétuel sentiment de trahison. À cela s’ajoute le manque de tact et de respect de part et d’autre, qui a pour résultat d’envenimer une relation déjà problématique. La faible estime de soi de Jolianne, découlant du fait qu’elle n’existe pas aux yeux de son père, a donc un impact majeur sur sa relation de couple. Après une déclaration bien sentie de la part de Luc, Jolianne répond sur un ton presque blasé : « Qu’est-ce que tu me trouves ? »113 Elle ne paraît pas consciente de sa valeur, sans doute parce qu’elle n’a pas souvent été admirée par son père. Du coup, le changement d’opinion de Jolianne au sujet de Luc, ainsi que son soudain désir de se marier pourraient être interprétés comme un effet collatéral de la relation renouée avec un père dont elle ne voudrait pas heurter les mœurs conservatrices. Il en irait de même pour la « grande demande » faite par Luc, lequel sait à quel point l’opinion de Charles importe pour Jolianne. Somme toute, le retour de Carl permet à Jolianne de se réconcilier avec son père, premier amour perdu brutalement au début de l’âge adulte.

Enfin, le couple Jolianne/Luc permet de revisiter les conclusions de Fontaine à l’effet que le personnage féminin s’avère plus indépendant que jamais dans la fiction télévisuelle contemporaine. Ici, même si le bonheur individuel parait central, l’engagement (sous forme de mariage !), en contrepartie, ne s’en trouve pas exclu pour autant.

112 R. M. JAMIOLKOWSKI. Comment survivre […], p. 38.

113 C. DESROSIERS (réal.) & S. BOUCHER (scén.). « Le passé finit toujours par nous rattraper », Aveux, Montréal, Radio-Canada, 8 septembre 2009, Émission de télévision, (60 minutes).

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