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En termes simples, un cerveau fonctionne plus efficacement en s'amusant. Donc, il y a une base scientifique de l'utilisation de l'art, du théâtre, de la couleur, de l'émotion, de l'apprentissage social et même des jeux pour apprendre (Colin et Malcolm 1998).

L'idée que les jeux sérieux facilitent l'apprentissage est corroborée dans de nombreux domaines par exemple en langues et en santé (Mandin 2010), en économie et management (Blunt 2009) en apprentissage de la programmation (Muratet, et al. 2008). Ces « jeux sérieux » devraient plutôt être nommés « jeux utiles », comme le suggère Stéphane Natkin (Natkin et Dupire 2009), car s'ils contribuent à des apprentissages sérieux, par exemple pour celui de connaissances de domaines complexes, ils ne doivent pas, pour autant, être nécessairement sérieux ou ennuyeux.

41 Toutefois, le blogueur (Devauchelle 2011) pose une question corollaire intéressante : «les jeux sérieux permettent-ils vraiment d'apprendre? La question doit être complétée par une deuxième : si oui, quels genres d'apprentissages s'effectuent? [...] L'une des clefs du jeu sérieux serait qu'il utilise des ressorts profonds de l'émotion pour permettre ensuite au jeune d'accéder à la compréhension. D'aucuns diront qu'il s'agit d'apprentissages qui ne sont pas de même nature que les apprentissages scolaires et universitaires.»

Cela rejoint les travaux de (Graesser, et al. 2009) qui démontrent que certaines émotions favorisent des «apprentissages profonds», soit «la compréhension des mécanismes de causalité, la génération d’explications, d’argumentations ou de raisonnements critiques, la résolution de conflits, entre autres». Les jeux sérieux «peuvent rendre l’apprenant-joueur plus réceptif, concentré et engagé dans l’activité».

Outre cet important aspect motivationnel, l’une des forces du jeu sérieux est sa capacité à mettre en scène la complexité (Bogost, cité dans (Ulicsak 2010)) : «... The real promise of games as educational and political tools is in their ability to demonstrate the complexity and interconnectedness of issues. [...] Games can help us shape and explore our values. And today, our values better damned well be complex. They ought to be well informed and nuanced. [...] They ought to take many factors into account».

Mais a contrario, nul besoin de rajouter des dimensions « amusantes ». Il suffit pour qu’il y ait « jeu », utile ou non, que se déploie toute la tension de l’investissement personnel associé. Le joueur n’est pas le spectateur d’un spectacle fût-il interactif, ni un « utilisateur » ou un consommateur d’une application véhiculée par une IHM, « il ne se comporte pas à l’égard du jeu comme à l’égard d’un objet » (Gadamer 1996). Ce qui définit le joueur, et qui définit le caractère ludique, est qu’il est à l’intérieur du jeu et prend forcément au sérieux les buts de son jeu, quel que soit ce jeu. Le jeu n’est donc pas caractérisé par un quelconque facteur de drôlerie, de fantaisie ou de surprise, qu’il faudrait renforcer par des artifices, mais, en suivant donc le philosophe Gadamer, le jeu est caractérisé par l’implication de la subjectivité du joueur « qui s’oublie lui-même (…) dans le mouvement de va-et-vient du jeu. (…) Le joueur se trouve dans un monde qui est déterminé par le sérieux de ses buts »

(Gadamer 1996).

Cette définition du caractère ludique nous semble valoir pleinement pour caractériser les jeux sérieux destinés aux professionnels, comme pour l’entraînement d’urgentistes à d’éventuelles opérations en cas de catastrophe(cf. infra, Chapitre 8) : la mission professionnelle (en l’occurrence, limiter grâce à ses connaissances et ses actions le nombre de victimes) est un moteur amplement suffisant pour faire exister la dimension ludique et, dès lors, l’objectif prioritaire des concepteurs sera d’analyser au plus près les situations réelles vécues par les professionnels, pour en dégager et en modéliser les enjeux, et donc les moteurs ludiques sous-jacents. Ce faisant, nous reconnaissons la très grande diversité que peuvent prendre les facteurs de motivation au sein d’une activité (la curiosité, le souci de cohérence logique, le danger…) et ne nions pas le fait que beaucoup de situations d’activité réelles (monotones, absurdes, répulsives…) manquent aussi de ces ressorts. Quand il s’agira d’analyser cette variété de situations pour y chercher une ludicisation des connaissances en jeu, il nous semble qu’il faut chercher avant tout à cerner les enjeux des connaissances les plus cruciales impliquées dans l’activité (et délaisser les aspects anecdotiques).

42 Les situations étant appréhendées par les êtres humains à travers le prisme indissociable de leurs activités et de leurs connaissances, se pose donc la question des connaissances.

Plusieurs auteurs ont mis clairement en évidence la relation entre le caractère ludique et passionnant du jeu et l'apprentissage, entre jouer et apprendre. En considérant les jeux sérieux comme caractérisés par un aspect d’apprentissage (mémorisation, personnalisation) et un aspect ludique (motivation, interaction), l'objectif pour (Sanchez et al., 2011) est d'intégrer le contenu d'apprentissage dans l'aspect ludique. (Fabricatore 2000) différencie deux façons de concevoir les jeux sérieux en parlant de « métaphore extrinsèque » – où l'aspect ludique est une surcouche sans rapport avec le contenu didactique – et de « métaphore intrinsèque » – où l'apprentissage est au cœur de la jouabilité. Puisque le jeu est une implication subjective, on doit considérer la participation comme un vecteur complémentaire et parfois essentiel de l'apprentissage : « J'apprends parce que je participe, parce que je m'engage dans une activité qui m'offre des éléments d'information, de transformation de connaissance ou de pratiques, aussi bien en ayant conscience ou pas des effets éducatifs du processus » (Brougère 2005). La transformation des connaissances, considérées comme des « connaissances pour l'action » (Zacklad 2003), inclut l'apport éventuel de connaissances par le joueur. Particulièrement dans le jeu collectif, chacun apporte au collectif sa « valeur ajoutée » sous forme de savoir, de savoir-faire, de commentaire ou d'initiative, apport facilité lorsque le jeu, participatif et intensif en connaissances comme nous le proposons, permet de recueillir et capitaliser ces contributions.

L'usage des jeux sérieux présente un grand intérêt dans le développement de la psychomotricité chez les élèves, l'amélioration de la concentration, la motivation et l'estime de soi. Les jeux permettent ainsi de développer chez les joueurs des « compétences du XXIe siècle » telles que l'innovation, la pensée critique et systématique, le travail en équipe, pour convoquer, construire, favoriser et générer les savoirs et non pas seulement les consommer (Gee et Schaffer 2010). Pour (Protopsaltis, et al. 2011), il s'agit de l'apprentissage non formel planifié, entre l'apprentissage formel et l'apprentissage non formel du quotidien, quelque part entre l’apprentissage formel et l’apprentissage informel du quotidien. «... The lines between formal and informal, planned or unplanned learning are more and more blurred, and mostly a shift to less formal education occurs. [...] In this contextual change Serious Games contain a great potential to a) set clear pedagogical aims but at the same time b) provide an open learning environment, supporting each individual learning choice and learning-motivation. »

(Le Marc, et al. 2010) notent que dans les jeux, basés sur les actions des joueurs et leurs décisions, les joueurs ne sont pas passifs et ne subissent pas la situation. Ils agissent et sont au centre du jeu. Le jeu existe grâce aux joueurs, qui créent leurs propres valeurs en fonction de leurs choix et de leurs actions. Ce contexte leur permet de faire confiance à leurs propres appréciations et de construire, eux-mêmes, leurs propres expériences et connaissances.

Afin de pouvoir engager l'apprenant dans un jeu sérieux, il faut créer un contexte crédible reflétant des situations réelles ou fictives cohérentes. En cela le jeu sérieux permet de créer un espace de narration dans lequel le joueur va pouvoir développer des stratégies et des procédures pour résoudre des problèmes. (Schank 1990) fait référence à des «schémas d’histoire» pour la lecture, schémas qui fournissent une structure mentale contenant un certain nombre de composants tels que le cadre, le but, la complication et la résolution. Ces schémas joueraient un rôle important dans l’organisation de la cognition chez l’apprenant. Le jeu sérieux peut fournir le même type de composants: un contexte, un

43 ou des buts, des règles, un challenge, permettant à l’apprenant de structurer et organiser les domaines complexes qui lui sont proposés.

Les jeux sérieux sont un moyen privilégié de raconter des histoires grâce à leurs aspects interactifs avec le joueur. A travers eux, nous avons une chance de prendre part à des narrations culturelles. Jouer au Capitalism Land20, par exemple, est une opportunité de participer au drame du capitalisme, jouer à kidadoweb21 (jeu d’échec en ligne) permet de nous engager dans une histoire de conflit et de résolution. Les enseignants experts utilisent souvent des histoires pour enseigner, puisque toute compréhension est mieux conçue comme une narration. Dans un jeu sérieux, le savoir n’est plus fragmenté artificiellement comme dans une situation de classe, par exemple, mais les actions entreprises par l’apprenant pour résoudre les problèmes auxquels il se trouve confronté sont liées par la métaphore ludique et alimentées par les objectifs, le contexte et le challenge du jeu. Il est en effet possible de présenter, par le biais d’un jeu, une situation d’apprentissage faisant sens pour l’apprenant, qui pourra envisager la tâche comme un ensemble dont il percevra l’intérêt dès le départ. Un dispositif de jeu sérieux devrait donc favoriser l’engagement de l’apprenant dans sa tâche et lui donner à la fois envie de persévérer (motivation, flow) et la possibilité d’apprendre (construire ses connaissances) afin de ne pas isoler le sujet de la tâche : c’est le contexte qui donnera sens à la démarche de l’apprenant et qui lui permettra de construire des représentations - envisagées comme transférables - en manipulant les éléments proposés.

(Tardif, 1998) intègre la notion d’apprentissage situé qui s’inscrit dans des environnements pédagogiques qui tiennent compte des préoccupations des élèves, de la logique de leurs questionnements. Les connaissances construites et les compétences développées dans un tel contexte sont très signifiantes et il ne s’agit pas d’apprentissages abstraits, mais d’apprentissages en action et d’apprentissages à partir de l’action. (Jonassen et al., 1994) affirment que l’apprentissage situé se produit quand les apprenants travaillent à des tâches authentiques et réalistes qui reflètent le monde réel. Le contenu du savoir est déterminé par sa contrepartie dans le réel et son contexte. Ces auteurs pensent que si le savoir est décontextualisé, il devient inerte : l’apprenant apprend un nouveau concept mais il est incapable de l’utiliser puisqu’il n’y a pas de contexte réaliste pour le faire. Dans une perspective constructiviste, un environnement d’apprentissage réaliste est crucial puisque le savoir se forme à partir de l’environnement et de l’interaction de l’apprenant avec cet environnement. Les jeux sérieux permettent d’imbriquer l’apprentissage dans le contexte des activités cognitives qui lui donnent sens ( (Lave 1988), (Brown, Collins et Duguid 1989)). Il s’agit d’immerger l’apprenant dans un univers signifiant en corrélation avec les buts d’apprentissage. Ce type de jeu permet à l’apprenant d’explorer le savoir de différents points de vue (Spiro, et al. 1991). Il se prête bien à la création de situations multiples qui permettent à l’apprenant de réutiliser ses nouvelles connaissances en les appliquant de manière différente afin de mieux les assimiler.

D’après (Lave 1988), l’interaction sociale est un composant critique de l’apprentissage situé: les apprenants sont inclus dans une communauté de pratique qui englobe certaines croyances et comportements à acquérir. Cet aspect de la théorie de l’apprentissage situé correspond parfaitement aux jeux en réseau ainsi qu’aux forums et dispositifs mis en place pour permettre aux joueurs de communiquer et d’apprendre à maîtriser à certains jeux sérieux, seuls ou à plusieurs. Cette dimension sociale du jeu sérieux, qui tend à se développer de manière significative, représente en elle-même un objet d’études. L’évolution de la technologie permet en effet d’envisager des situations

20 http://www.capitalismland.com/ 21

44 d’apprentissage et la conception d’interfaces de jeux qui se joueraient en réseau et qui permettraient à plusieurs joueurs de construire ensemble leurs connaissances. Lorsque plusieurs personnes jouent ensemble en tentant de résoudre des problèmes, les propositions de chacun peuvent créer des conflits sociocognitifs et un dynamisme qui permet d’envisager des réponses auxquelles aucun des joueurs n’aurait songé, seul, dans un autre contexte. McLellan (1996) parle de «coaching», modèle inspiré de l’athlétisme, et qui représente un glissement du rôle de l’instructeur en tant que détenteur du savoir à celui de guide et entraîneur du savoir. Il s’agit là d’une forme de tutorat au cours de laquelle l’apprenant, aidé par quelqu’un de plus compétent que lui, et qui peut être un pair, parviendra à intérioriser les conseils de celui ci et à se les approprier. Les joueurs font cela spontanément durant les interactions autour des jeux sérieux, en regardant les joueurs plus compétents et leurs demandant des trucs et des astuces pour avancer dans le jeu. L’idée du tutorat entre les joueurs présente un intérêt précieux pour l’apprentissage, c’est l’un des principes dominants des travaux actuels du socioconstructivisme. Selon (Bruner 1983), le tuteur joue un rôle de médiateur entre les compétences initiales de l’apprenant et celles qu’il développera par la suite en lui permettant d’étayer ses connaissances et en rendant certaines tâches plus intelligibles de façon à l’aider à mettre en œuvre des procédures de résolution. Il s’agit donc là d’un dispositif de soutien dans l’action au cours duquel le tuteur doit rester présent tout en se gardant de se substituer à l’apprenant qui doit, autant que faire se peut, découvrir les règles et les principes par lui-même.

Comme nous l’avons vu, les jeux sérieux favorisent la compréhension des mécanismes de causalité, la génération d’explications, d’argumentations ou de raisonnements critiques, la résolution de conflits, entre autres. Ils mettent en scène la complexité et présente un grand intérêt dans le développement de la psychomotricité chez les joueurs, l'amélioration de la concentration, la motivation, l'estime de soi, l'innovation, la pensée critique et systématique et le travail en équipe, pour convoquer, construire, favoriser et générer les savoirs et non pas seulement les consommer.

Dans notre approche, les jeux sont basés sur les actions des joueurs et leurs décisions. Les joueurs ne sont pas passifs et ne subissent pas la situation, ils agissent et sont au centre du jeu. Ce qui leur permet de construire, eux-mêmes, leurs propres expériences et connaissances. En plus, la confrontation du joueur apprenant à un problème à résoudre, favorise la discussion avec les autres joueurs. Les propositions de chacun peuvent créer des conflits sociocognitifs et un dynamisme qui permet d’envisager des réponses auxquelles aucun des joueurs n’aurait songé, seul, dans un autre contexte et leur permet aussi de construire ensemble leurs connaissances. Donc l’apprentissage ne se fait pas seulement à travers le jeu lui-même mais aussi à travers de la discussion et l’interaction avec les autres joueurs.

Afin de choisir le support d’apprentissage le mieux adapté à notre approche, nous avons étudié la différence entre les jeux sérieux, les jeux vidéos et les simulateurs.