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4.1 – LE JEU VIDÉO D’HORREUR : UNE QUESTION DE MISE EN SCÈNE

LES SONS ET LA PEUR DANS LES JEUX VIDÉO D’HORREUR

4.1 – LE JEU VIDÉO D’HORREUR : UNE QUESTION DE MISE EN SCÈNE

Les jeux vidéo d’horreur ne datent pas d’hier. Durant les années quatre-vingt, plusieurs jeux vidéo à teneur horrifique, tels Atari’s Haunted House (1981), Sweet

Home (Capcom, 1989)34 ainsi que les adaptations vidéoludiques des films Halloween

(Video Software Specialist, 1983) et Friday the 13th (Pack-In-Video, 1987), étaient disponibles sur les tablettes afin de rassasier les joueurs en quête de sensations fortes. Cependant, comme nous l’avons rappelé dans un texte publié dans Horror Video Games : Essays on the Fusion of Fear and Play, les graphiques très abstraits et les sons synthétisés de ces jeux ne permettaient pas, par exemple, une simulation organique d’éviscération aussi convaincante que certaines œuvres vidéoludiques peuvent le faire de nos jours. En fait, à cette époque, « l’horreur rôdait plus dans l’appareil paratextuel [accompagnant les jeux] que dans les jeux eux-mêmes » (Roux- Girard 2009, p. 147, traduit par l’auteur). Comme l’explique Mark J. P. Wolf:

Les emballages et la publicité [poussaient] les joueurs à s’imaginer qu’il y avait plus dans les jeux qu’il n’y en avait en réalité, et travaillaient activement à contrer et réfuter le degré d’abstraction qui était toujours présent dans [ces derniers]. À l’intérieur des boîtes, les manuels d’instruction essayaient eux aussi d’ajouter aux jeux un contexte narratif excitant, peu importe à quel point improbable il puisse paraître (2003, p. 59, notre traduction).

Dans l’unique numéro de la revue française Horror Games Magazine, Win Sical et Rémi Delekta suggèrent que « le Survival Horror ne pourrait pas exister sans un minimum de capacités techniques. La peur, pour exister, a besoin d’être mise en scène, et cette mise en scène a besoin de moyens » (2003, p. 13). C’est en 1992

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qu’Alone in the Dark (Infogrames), développé par Frédérik Raynal, ébranla entièrement la scène vidéoludique en incorporant des personnages, des monstres et des objets polygonaux dans des décors bidimensionnels pré-rendus. Suivant l’arrivée d’Alone in the Dark, le jeu d’épouvante avait finalement des moyens à sa disposition. De là, plusieurs jeux comme Resident Evil et Silent Hill récupérèrent les principes de mise en scène d’Alone in the Dark faisant évoluer les jeux vidéo d’horreur vers de nouveaux horizons. D’autres jeux, comme Doom 3 (iD Software, 2004) et ceux de la série Comdemned (Monolith, 2006-2008) conservèrent plusieurs ingrédients, mais transposèrent le point de vue du joueur directement dans celui du personnage-joueur, un trait caractéristique du jeu de tir subjectif. Mais encore plus important dans la perspective de ce mémoire, si Alone in the Dark permit une utilisation stratégique de la dimension visuelle des jeux d’épouvante, il créa aussi un nouveau terrain de jeu pour des concepteurs sonores imaginatifs35.

4.1.1. – Entre l’horreur et la terreur

Avant de se lancer dans une analyse plus affinée des différentes stratégies de mise en scène de la peur par le son, il faut spécifier que l’horreur, la peur, la terreur, l’angoisse, l’anxiété et le dégoût, bien qu’étant des émotions généralement analogues, ne sont pas des synonymes. De plus, ce ne sont pas tous les jeux vidéo d’horreur qui cherchent à provoquer l’entièreté de ce spectre émotionnel. Ce qu’il faut retenir, d’un

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Nous tenons à souligner que plusieurs éléments de cette section de chapitre ont été empruntés à notre texte « Plunged Alone into Darkness : Evolution in the Staging of Fear in the Alone in the Dark Series » (2009). Pour une rétrospective historique plus complète, nous vous suggérons aussi de consulter Therrien (2009).



point de vue vidéoludique, c’est que comme Barry Keith Grand le laisse entendre à propos du cinéma : « […] les films d’horreur tentent de provoquer toutes ou quelques-unes de ces réponses à un degré variable » (à paraître en 2010, notre traduction). Ainsi, si certains jeux misent plus particulièrement sur des formes de peur viscérales comme le dégoût36, l’horreur et le choc, d’autres affectent leur joueur à un niveau psychologique en suscitant la création de suspense, de terreur et d’angoisse. Afin de bien comprendre comment les sons arrivent à générer cette gamme d’émotions, il apparait utile de distinguer ce que nous entendons par horreur et terreur.

Selon ce qu’affirme Bernard Perron, à l’aide des écrits de Will H. Rockett (1988), « l’horreur est presque comparable à un dégoût physique et sa cause est toujours externe, perceptible, compréhensible, mesurable, et apparemment matérielle. La terreur, de son côté, est plutôt identifiée à une angoisse plus subtile et imaginative basée sur l’anticipation » (Perron 2004, p. 133, notre traduction). Évidemment, le son a un rôle à jouer dans la mise en place de ces deux pôles. En effet, d’une part, il provoque des sensations spontanées en utilisant, par exemple, les techniques de rendu présentées au chapitre précédent. De l’autre, il contribue à l’élévation du suspense, en créant de l’ambigüité sur les causes et de l’incertitude à propos de l’origine des sons tout en limitant l’information que ces derniers transportent. D’un certain point de vue,

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Nous tenons à préciser que ce type d’émotion entretient un lien encore plus étroit avec la dimension historique des jeux vidéo d’horreur. En effet, ce n’est que tout récemment, grâce à la technologie développée pour les consoles de septième génération (Xbox 360 et PlayStation 3), qu’il est possible d’atteindre un niveau suffisant de photoréalisme et ainsi d’espérer produire un sentiment de dégoût chez le joueur. Nous soulignons que c’est premièrement à l’aide du son qu’il a été possible d’obtenir un rendu de matière suffisant pour engendrer le dégoût, mais qu’il fallu attendre lesdites générations de consoles pour que sentiment soit induit par l’image.

nous pouvons dire que l’horreur et le suspense – ce dernier visant la terreur et l’angoisse comme émotions principales – deviennent les stratégies maîtresses des jeux vidéo d’horreur qui utilisent une pluralité de microstratégies pour les construire et les amplifier.