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4. Villas et jardins, quand le jardin se fait art

4.2. Quand le jardin se fait intérieur

Si le jardin en tant que sujet gravé ou peint n’est pas obligatoirement une œuvre de commande, nous savons toutefois que les propriétaires de ces mêmes jardins étaient des inconditionnels de la représentation picturale, ce que prouvent les grands programmes de fresques qui ornent leurs demeures et qui ont bien évidemment pour sujet un jardin.

4.2.1. La villa d’Este ou l’omniprésence du jardin

Le meilleur exemple que nous possédons est une fois de plus celui de la villa d’Este dont le programme iconographique se développe dans une pièce bien ciblée de la demeure : le salon de la fontaine qui servait de salle de réception et de salle-à-manger. Les travaux d’embellissement furent dirigés par Girolamo Muziano. Ils débutèrent en 1565 pour s’achever quelques années plus tard en 1572, à la mort du Cardinal Hippolyte431. En 1566, Zuccari rejoint Muziano pour l’aider. En 1570 et 1571, c’est au tour de Matteo Neroni, spécialiste de la peinture de paysage puis du Toscan Durante Alberti de faire leur apparition sur le chantier. Les salles du palais conduisent le visiteur dans un espace sacré et mythologique hors du temps. Le choix des vues à l’antique est attribué à Muziano432

. Tout comme le jardin, la villa est devenue un programme iconographique et symbolique à la gloire de son propriétaire. Le salon de la Fontaine est une vaste pièce rendant hommage à Hippolyte d’Este : il fut vraisemblablement le premier à avoir été décoré de fresques en même temps que la salle voisine dédiée à Hercule433. Le salon de la Fontaine jouit d’une position particulière dans l’implantation du complexe de la villa. En effet, il est au centre, en rapport immédiat avec le jardin et dans l’axe central du jardin. Sa voûte est couverte de panneaux au centre desquels le

Banquet des Dieux fait référence à la fonction du lieu. La salle peinte en trompe-l’œil est

transformée en une loggia séparée par de multiples colonnes torsadées laissant apparaître des paysages idylliques, champêtres ornés de ruines antiques et de jets d’eaux. Six panneaux représentent le jardin de la villa d’Este. La fresque majeure, exposée sud-est, c’est-à-dire en direction de Rome, offre une majestueuse perspective du palais et du jardin de Tivoli.

431 Dora Catalano, “La decorazione del Palazzo”, in Isabella Barisi, op. cit., p. 33. 432

Ibid., p. 36.

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Figure 6: Tivoli, Salon de la Fontaine, fresque, dernier tiers du XVIe siècle.

En face d’elle, Paolo Calandrino construisit en 1568 une fontaine réalisée en mosaïques et à l’intérieur de laquelle un panneau représente l’acropole tiburtinienne avec le temple de la Sybille, faisant ainsi directement référence à la fontaine du jardin434. De part et d’autre, nous pouvons encore voir deux groupes de fresques figurant la culture des jardins et surtout l’orgue hydraulique. Le programme de cette salle doit nous interpeller. D’une certaine façon il évoque le jardin lieu de sociabilité car cette salle était faite pour recevoir les convives. Nous savons que le jardin était un sujet cher au cœur du cardinal. La fontaine de la Sybille le rattache certes à un passé prestigieux, la Tivoli antique, celle de l’empereur Adrien, ville de villégiature impériale. En la représentant aux dépends de la Rometta qui, d’un point de vue architectural n’en est pas moins impressionnante, le Cardinal met sa ville en valeur au détriment de Rome435. Nous avons tenté précédemment d’en montrer tout le symbolisme et il semblerait que le Cardinal ait désiré continuer cette glorification de Tivoli. Par ailleurs, cette immense fresque en pente montrant la villa et le jardin est une célébration de ce grand jardin, des travaux titanesques qu’il a fallu réaliser pour arriver au résultat que nous connaissons. Pouvons-nous y voir un rappel des travaux d’Hercule ? Enfin, l’orgue étant, comme nous l’avons vu, l’élément le plus impressionnant de ce jardin, il semble logique que le Cardinal l’ait fait figurer parmi ce programme pictural. Il était le symbole par excellence du jardin

434

Ibid., p. 50 ; voir Annexe n°19, Les fresques du Salon de la Fontaine, p. 183-184.

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d’eau. Il ne faut pas perdre de vue que cette arrivée d’eau, ces bassins et tous les jeux d’eau étaient des prouesses hors du commun à une époque où l’on commençait simplement à remettre en fonctionnement les fontaines et les égouts de Rome436. Il pourrait donc à sa manière représenter lui aussi un des travaux d’Hercule, le nettoyage des écuries d’Augias.

Ce programme pictural n’est pas sans rappeler les ensembles pariétaux que l’on trouvait dans les villas romaines antiques telle que celle de Livie dont nous avons parlé dans notre premier chapitre. Si la villa d’Este eut sans doute le programme le plus ambitieux et le plus surprenant, ce ne fut cependant pas un cas unique. En effet, nous retrouvons le thème du jardin décliné d’une toute autre manière dans d’autres demeures et notamment à Rome.

4.2.2. Des palais en fleurs

Donner un pourcentage de villas ayant eu un programme iconographique représentant un jardin relève de l’impossible car bon nombre de ces palais sont aujourd’hui fermés au public et/ ou ont connu de multiples transformations au fil du temps. Néanmoins deux exemples romains ont survécu et sont visibles au public puisque transformés en musées d’État.

La villa Giulia tout d’abord fut créée sur des terres appartenant à la famille Del Monte et fut léguée en 1551à Giovanni Maria Ciocchi del Monte, le futur pape Jules III437. Il étendit la propriété de la demeure et la réaménagea à son goût en faisant venir de prestigieux artistes parmi lesquels Vignola ou encore Pietro Venale da Imola438. Ce dernier nous intéresse tout particulièrement parce que c’est à lui que nous devons le jardin pictural dont il a décoré la voûte et les murs d’un portique donnant sur la cour intérieure.

436 Monique Mosser & Georges Teyssot, op. cit., p. 162. 437

Cecilia Mazzetti di Pietralata, op. cit., p. 137.

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Figure 7: Portique de la villa Giulia, milieu XVIe siècle, fresques.

La voûte ressemble à une immense pergola faite de bambous sur laquelle l’artiste a fait courir des vignes aux raisins mûrs et gonflés, symbole d’abondance, mais également des roses rouges et roses439. Les motifs alternent entre chaque arc, les vignes succédant aux roses etc. Certains y verront les symboles les plus représentatifs du jardin tandis que d’autres y liront des symboles chrétiens, la vigne symbole du sang et de la résurrection et la rose métaphore de la Vierge Marie440. Parmi ces frondaisons se cachent des oiseaux, des rossignols, des papillons et des angelots dont certains « font mine de pisser sur les visiteurs »441. Cette fresque mi- chrétienne mi-païenne - le raisin étant lié à Bacchus et à la renaissance et la rose à Vénus - désire créer un jardin parfait, édénique. Sur les murs ont également été peints des épis de maïs sans le fruit. Il est assez étonnant de voir une telle représentation lorsque l’on sait que le maïs n’avait été découvert que peu de temps auparavant, rapporté des Amériques par Christophe Colomb et que le premier dessin fait de cette plante est daté de 1542. Il fut réalisé par le

439 Voir Annexe n° 20, Les fresques de la villa Giulia, p. 185. 440

Lucia Impelluso, La nature et ses symboles, Milan, éd. Hazan, 2003, p. 32, p. 118

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botaniste Allemand Fuchs442. Trouver ici cet épi est évidemment intéressant. Est-ce un symbole lié à Cérès comme le blé, métaphore d’abondance et de renaissance ? Connaissait-on sa signification de prospérité pour les civilisations précolombiennes ? En tout cas, cela démontre une connaissance des plantes exotiques de la part du Cardinal. Nous avions déjà pu observer ce savoir chez le cardinal Barberini ou dans le traité Giovanni Battista Ferrari qui fait mention de la rose de Chine. Cette galerie, avant-poste du jardin, en présente un parfait, édénique pourvu de nombreux symboles difficiles à interpréter mais qui ne sont pas sans rappeler d’autres jardins romains.

Le second exemple que nous souhaitions étudier est celui de l’actuel Palais Altemps situé au nord de la Place Navone. Le palais actuel fut construit au XVe siècle à la demande de Girolamo Riario. Le cardinal d’origine allemande Marco Sittico Altemps l’acquit en 1568 et c’est à lui que la demeure doit sa loggia peinte443.

Figure 8: Loggia du premier étage au Palazzo Altemps, Rome.

442 Raymond Arveiller, in Alberto Vàrvaro, Atti, Naples, Congresso Internationale di Linguistica e Filologia

Romanza XIV,(15-20 aprile 1974), p. 170.

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Cet exemple est assez similaire à celui de la villa Giulia. Cette loggia se trouve au premier étage, en face de l’unique porte cochère par laquelle le visiteur doit entrer. Par beau temps, les yeux se portent automatiquement vers cet ensemble de couleurs fraîches. Les treilles ocre se détachent sur la vigne verte parsemée ici encore de fruits, raisins bicolores, pêches, grappes et vases de fleurs, roses rouges ou bouquets de fleurs blanches ou roses posées dans des vases en bronze doré. On aperçoit également des branches de lauriers ou d’oliviers ainsi que du lierre s’entortillant autour de différentes espèces végétales. Au travers des frondaisons, on aperçoit un ciel bleu et limpide dans lequel volent ensemble rossignols, hirondelles, perroquets, colombes, papillons mais également putti ou angelots. La diversité animale et florale est beaucoup plus grande qu’à la villa Giulia. Mais la superficie de ce jardin est beaucoup plus réduite puisque la galerie s’étend sur cinq arcades. Au fond se dresse fièrement un nymphée qui n’est pas sans rappeler celui que l’on trouve dans la salle de la fontaine à Tivoli. Fait lui aussi de rocaille et de mosaïque, il ne semble pas devoir être mis en eau – mais peut-être le fut-il à une autre époque. En très peu de place, l’artiste réussit à créer un jardin artificiel édénique, chargé de symboles sans doute identiques à ceux que l’on trouve chez Jules III. La symbolique n’est pas le plus important dans cette étude, ce qui comptait avant tout pour nous, c’était de mettre en avant cet amour du jardin jusque dans la maison et plus particulièrement dans des espaces à mi-chemin entre intérieur et extérieur. Le jardin, continuel entre-deux, continue donc de s’afficher pour le grand plaisir des propriétaires et des visiteurs qui découvrent toujours avec surprise et émerveillement ces lieux qui, l’espace d’un instant, réussissent à nous transporter dans un ailleurs surréaliste et enchanteur.

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