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Le Japon et les Etats-Unis : vers une redéfinition du partenariat

Dans le document Le Japon (Page 61-66)

haut: Localisation des entreprises productrices de logiciels dans l’agglomération de Tôkyô (source préfecture de Tôkyô), original p.18 Source préfecture de Tôkyô

Chapitre 10. Le Japon et les Etats-Unis : vers une redéfinition du partenariat

Les quarante années de l’après-guerre ont été marquées par une relation privilégiée entre le Japon et les Etats-Unis. Après la défaite de 1945, la bienveillance de l’occupant américain a surpris le peuple japonais et renforcé son admiration à l’égard du vainqueur. Il en est résulté un sentiment de gratitude, qui a facilité la mise sous tutelle militaire de l’archipel après le retrait du SCAP, en 1952. Cette subordination a largement été payée en retour par l’exceptionnelle prospérité économique japonaise, grâce à l'allégement des dépenses militaires et à la formidable capacité d’absorption, par le marché américain, des produits d’exportation nippons.

La fin de la Guerre Froide et le décollage économique de l’Asie ont toutefois remis en cause les termes de la relation nippo-américaine, déjà passablement altérée par des frictions commerciales sectorielles. Toutefois, en dépit de leur rivalité, les deux grandes puissances sont condamnées à s’entendre, tant en raison de l’intensité de leurs échanges, que de la faible marge de manœuvre dont dispose le Japon en matière de défense nationale.

I. Intensité des échanges

1. Complémentarité des profils macroéconomiques 2. Interdépendance commerciale

II. La dépendance militaire et diplomatique du Japon 1. Alliance bénéfique

2. Crispations de part et d’autre du Pacifique III. Quel avenir pour l’alliance nippo-américaine ? 1. Les freins au changement

2. Vers un rôle élargi en matière de sécurité internationale

Mot-clé :

Traité de Sécurité : accord conclu dans le cadre du Traité de Paix entre le Japon et les Etats-Unis, signé à San Francisco en 1951. Cet accord, reconduit à deux reprises (1960 et 1970), autorise les troupes américaines à utiliser les bases de l’archipel pour en garantir la sécurité militaire. L’hostilité des forces de gauche à l’égard de cet accord, tout comme le refus de réviser l’article 9, sont subitement tombés au début des années 1990, lorsque le Parti Socialiste japonais a abandonné sa « ligne pacifiste dure ».

I. Intensité des échanges

1. Complémentarité des profils macroéconomiques

À eux seuls, le Japon et les Etats-Unis cumulent près de la moitié de la production industrielle mondiale (47%). Ces deux superpuissances tirent avantage de la complémentarité de leur profil macroéconomique.

Au plan financier, les deux pays présentent des caractères opposés : alors que les Etats-Unis sont devenus le premier débiteur de la planète, le Japon est depuis 1985 le plus grand créancier mondial. Les épargnants japonais financent, via la souscription de bons du Trésor par les compagnies d’assurances nipponnes, un tiers de la dette des Etats-Unis (443,8 milliards de dollars en 2003).

Les deux pays présentent également une remarquable symétrie dans leurs profils de croissance. Alors que le Japon enregistrait de bonnes performances économiques en 1980, les Etats-Unis connaissaient, au contraire, une phase baissière de leur cycle de croissance sur la même période ; une évolution inverse a été observée au cours de la décennie suivante. Ces mouvements contra-cycliques contribuent dans une certaine mesure à garantir la stabilité de l’économie mondiale.

2. Interdépendance commerciale

Les Etats-Unis figurent au premier rang parmi les partenaires commerciaux du Japon. Ils accueillent près d’un tiers (28,5%) des exportations japonaises. Restés également longtemps premiers fournisseurs de l’archipel, ils sont passés seconds derrière la Chine en 2002, mais pourvoient encore à 15,3% des importations japonaises (contre 36% en 1961).

Favorables aux Etats-Unis jusqu’en 1964, les échanges commerciaux bilatéraux ont depuis lors tourné à l’avantage du Japon, grâce au maintien concerté d’un yen faible. L’expansion de l’économie japonaise n’a fait que creuser encore l'écart, devenu source de frictions récurrentes entre les deux pays. Sous la pression de Washington, les autorités japonaises ont levé progressivement les obstacles douaniers et réglementaires, à mesure que leurs industries nationales étaient prêtes à affronter la concurrence extérieure. Le choc Nixon de 1971, puis les accords du Plaza en 1985, ont mis fin, par ailleurs, à la sous-évaluation artificielle du yen. Mais cela n’a en rien endigué le gonflement de l'excédent commercial nippon à l’égard des Etats-Unis, qui atteignait en 2002 la somme colossale de 64,3 milliards de dollars.

Ce phénomène s’explique par un déséquilibre dans la nature des échanges : les exportations japonaises sont limitées à quelques produits à forte valeur ajoutée (machines et matériel de transport notamment), tandis que les Etats-Unis fournissent à l’archipel une part importante de produits agroalimentaires. Le Japon est par ailleurs accusé, par les Etats-Unis et les pays d’Europe, de maintenir des « obstacles structurels » à la pénétration de leurs produits.

II. La dépendance militaire et diplomatique du Japon 1. Alliance bénéfique

Les Etats-Unis et le Japon sont liés, depuis 1952, par un Traité de Sécurité qui met l’archipel sous le parapluie nucléaire de Washington et engage Tôkyô à entretenir des troupes américaines sur son sol. Cette alliance a été mutuellement bénéfique pendant quarante ans, mais la fin de la Guerre Froide a entraîné des crispations, tant du côté américain que japonais. Par l’article 9 de sa constitution de 1947, le Japon a renoncé à faire la guerre et à entretenir une armée. Comme en Allemagne, l’effort a pu ainsi être porté sur la croissance économique : on estime entre 3 000 et 5 000 milliards de dollars l’économie faite sur la défense nationale au profit de l’appareil productif nippon.

Pour autant, le Japon n’a pas été exonéré de dépenses militaires, loin s’en faut. Devenu le principal pivot des opérations militaires américaines en Asie au cours de la Guerre Froide, il a été pressé par Washington de réarmer dès 1950. En 1954 ont été constituées les Forces d’Autodéfense (FAD), un corps militaire au statut flou ayant pour mission de préserver la paix et l’ordre public sur l’archipel. Toutefois, les autorités japonaises ne se sont pas départies de la « doctrine Yoshida », privilégiant le développement économique au prix d’une subordination militaire et diplomatique à l’égard de Washington. Le budget de la défense a donc été maintenu en dessous de 1% du PIB – sauf entre 1981 et 1987 –, mais comme ce dernier a connu une forte croissance, les FAD sont devenues aujourd’hui la troisième armée mondiale en terme de budget.

2. Crispations de part et d’autre du Pacifique

L’effondrement du bloc soviétique a sapé les bases de l’alliance nippo-américaine, libérant les rancœurs accumulées de part et d’autre. Côté américain, on reproche au Japon de ne pas contribuer suffisamment à la sécurité régionale et internationale, en s’accrochant à l’article 9 qui limite l’usage des FAD. Lors de la Guerre du Golfe, en 1991, Washington a admonesté Tôkyô pour son impuissance à participer à l’effort militaire commun contre l’Irak autrement que par un chèque (celui-ci, de 13 milliards de dollars, n’étant pas en l’occurrence négligeable). Côté japonais, les remontrances de Washington et la subordination envers les Etats-Unis nourrissent un sentiment de frustration croissant. La présence des troupes américaines sur le sol japonais est par ailleurs de plus en plus mal perçue, surtout depuis le viol d’une adolescente par trois GIs à Okinawa en 1995. Nombreux sont ceux qui souhaiteraient que le Japon se dote d’un système de défense « normal », à la hauteur de la superpuissance qu’il est devenu.

III. Quel avenir pour l’alliance nippo-américaine ? 1. Les freins au changement

La disparition de la menace soviétique n’a pas réduit les autres risques auxquels est exposé l’archipel, qui font de l’alliance avec les Etats-Unis un atout incontournable : la montée en force de la Chine, puissance nucléaire pourvue d’impressionnantes capacités militaires, dont rien n’exclut qu’elle ne puisse avoir des ambitions hégémoniques en Asie ; les mouvements incertains d’une Corée du Nord aux abois, capable d’envoyer des missiles sur le Japon et sans doute dotée elle aussi d’un potentiel nucléaire.

Pour faire face à l’insécurité régionale, le Japon aurait les moyens de s’équiper d’une armée à sa mesure, en quadruplant les effectifs des FAD et en dotant celles-ci de systèmes offensifs. Toutefois, un réarmement d’une telle ampleur, outre son coût exorbitant (estimé à 5 % du PIB), serait mis en échec par l’irréductible pacifisme du peuple japonais et par une levée de bouclier des pays voisins contre la résurgence de l’impérialisme nippon.

2. Vers un rôle élargi en matière de sécurité internationale

Le maintien du lien ombilical avec les Etats-Unis ne dispense pas le Japon de coopérer davantage à sa propre défense et plus généralement au maintien de la sécurité dans le monde. Tel est le point de vue défendu par les autorités américaines, impatientes de faire reposer sur le Japon une partie de leur fardeau militaire. Cette opinion est également partagée, depuis l’expérience humiliante de la Guerre du Golfe, par une part croissante de la classe politique nipponne, qui souhaite conférer au Japon un rôle diplomatique à sa mesure (avec, à la clé, l’octroi d’un siège permanent au conseil de sécurité de l’ONU). L’article 9 a donc fait l’objet d’une réinterprétation en 1992, grâce à l’adoption d’une loi autorisant les FAD à quitter l’archipel pour participer à des opérations onusiennes de maintien de la paix. Plusieurs missions de ce type ont été organisées : au Cambodge, en Mozambique, au Rwanda, sur les plateaux du Golan, en Afghanistan, au Timor et en Irak.

Les évènements du 11 Septembre ont offert l’occasion de durcir l’interprétation de l’article 9. Des navires japonais ont ainsi participé, pour la première fois, en 2001, à un dispositif offensif en Afghanistan, dans le cadre de mesures antiterroristes ; en mars 2003, le gouvernement japonais a accordé son soutien sans réserve à la guerre d’Irak – pourtant conduite en dehors du cadre onusien – et introduit de nouveaux dispositifs offensifs dans l’armement des FAD. Il a également pris la décision, en décembre 2003, d’envoyer 600 soldats en Irak pour intervenir dans des zones de « non combat », sous la protection des autres armées de la coalition américaine. À l’évidence, la révision de l’article 9 n’est plus qu’une question de temps.

Lexique

Obstacles structurels (structural impediments en anglais) : obstacles non tarifaires freinant la pénétration de produits étrangers au Japon : complexité des formalités administratives, obstacle de la langue, civisme du consommateur japonais, contrôle étroit des marchés publics et système de distribution monopolisé par les sôgô shôsha.

Doctrine Yoshida : ligne de conduite diplomatique définie par Shigeru Yoshida (premier ministre dans les années 1946-1947 et 1948-1954), reposant sur trois principes : profil bas politique, dépendance stratégique et militaire, priorité absolue à la reconstruction et à l’expansion économico-industrielle du pays. Cette doctrine s’est globalement maintenue jusqu'à nos jours, malgré les tentatives du gouvernement Nakasone (1982-1987) de faire du Japon un Etat militairement plus musclé.

Orientations bibliographiques:

Steven Vogel (direction), US-Japan relations in a changing world, Washington DC Bookings Institution Press, 2002, 286 p. Les relations nippo-américaines vues sous divers aspects : défense, économie, technologie, politique intérieure et finance.

Bruno Desjardins, Le Japon, première puissance pacifiste ? Un siècle de débats sur la sécurité, Montréal, Paris, l’Harmattan, coll. Raoul Dandurand, 1997, 154 p. Une analyse du fondement historique des relations internationales nippo-américaines et une évaluation du système de défense japonais.

Eric Seizelet, « Contraintes et défis de la puissance », in Frédéric Charillon (dir.), Les politiques étrangères, ruptures et continuités, Paris, La Documentation française, 2001, p. 179-194. Un bilan détaillé, en quelques pages, des contraintes externes et internes de la politique étrangère nipponne et des nouveaux enjeux auxquels elle est confrontée dans l’après-guerre froide.

Sujets possibles :

- les Etats-Unis et le Japon, partenaires ou rivaux ? - quel avenir pour la défense japonaise ?

Les principaux épisodes de coopération et de conflit dans la relation

Dans le document Le Japon (Page 61-66)