• Aucun résultat trouvé

3. RESULTATS

3.2 R ESULTATS DES INTERVIEWS

3.2.2 V IVRE APRES UN AVC/AIT

Dans cette partie nous nous sommes intéressés aux vécus des patients après un AVC, l’objectif étant de comprendre comment l’AVC a impacté sur leur vie ainsi que leurs peurs vis-à-vis de l’AVC et de leur avenir.

Pour comprendre ce que les patients exprimaient lorsqu’ils parlaient de leur vie après un AVC il est intéressant d’emprunter le regard des socio-anthropologues.

D’une manière générale, l’objectif des patients était de retrouver leur rôle social. Quand l’AVC touche un homme, il ne marque pas son empreinte uniquement sur son cerveau mais également sur une réalité complexe dépendante du contexte social, culturel, relationnel et personnel de celui-ci. Si l’on assimile les séquelles de l’AVC à une douleur chronique alors on comprend que celles-ci puissent induire « un renoncement partiel à soi, à la contenance qui est de mise dans les relations sociales. L’individu relâche le

contrôle qui d’ordinaire organise les rapports aux autres. Toute douleur, même la plus modeste, induit une métamorphose, projette dans une dimension inédite de l’existence, elle ouvre en l’homme une métaphysique qui bouleverse l’ordinaire de sa relation aux autres et au monde »63

« Les individus jouent dans leur quotidien, sur de multiples facettes identitaires composites de leur personnalité en fonction des situations ou d’objectifs à atteindre qu’ils se sont fixés ou que la société leur fait obligations de réaliser »64 -

Ainsi on comprend certaines paroles :

-Mme Ga.-UNV (49 ans) : « est-ce que je vais pouvoir assumer ce que j’assumais à la maison, partout ? »

La peur de ne pas reprendre sa place dans sa famille, dans son travail … :

-Mme Ga.-domicile (49 ans) : « et pourtant j’étais quelqu’un d’hyperactif, un peu la « mama » italienne qui centralise tout, tout passait par moi et ils voient que je ne peux plus […] pour l’entourage et pour moi-même c’est une souffrance ».

« […] c’était handicapant puisque je ne prenais pas la parole car je savais que je ne pouvais pas […] et sans parler du travail, en réunion, je ne pouvais pas m’exprimer car j’avais cette lenteur à penser […] Mon gros souci en ce moment c’est que je ne peux pas retravailler à temps complet, bon c’est vrai que j’ai des journées qui sont longues 9-10h et toujours sous pression, j’ai une équipe de 6-8 personnes et le soir, je rentre dans un état épouvantable ».

Mme Ga est courtière en assurance pour de grosses sociétés.

-Mr H.-domicile (39 ans) : « après un AVC, la vie elle change […]après c’est la vie de famille qui en prenait un coup […] il a fallu que je me fasse à l’idée que je ne pouvais plus faire des horaires postés […]le plus dur c’est d’expliquer à sa famille que c’est pas parce qu’on a pas envie, c’est qu’on peut pas que l’on peut plus assumer ».

Mr H. est âgé de 39 ans, il est père de 3 enfants dont certains en bas âge, il a été licencié quelques mois après son AVC.

On comprend à la lumière de ces témoignages l’existence possible d’un handicap alors que le déficit clinique a disparu (score de Rankin = 2 vs NIHSS = 0).

Cette peur est majorée par le regard des autres face à cette maladie invisible lorsque les séquelles ne sont qu’intellectuelles :

- Mme Ga.-domicile (49 ans) : « Quand vous êtes handicapé physique, tout le monde le voit mais quand vous n’avez aucune séquelle physique et que vous n’avez que des séquelles intellectuelles pas grave, vous avez un peu cette souffrance du regard des autres […] je ne fais pas l’effort d’expliquer parce que je n’ai pas envie d’être dans la justification et si je rentrais là dedans hélas, ça pourrait me faire rentrer dans la dépression ».

« Les gens vous regardent avec un drôle d’œil parce que des fois vous avez un peu une attitude nonchalante […] je m’en foutiste […], un bras cassé ça se voit, un cerveau qui ne marche pas très très bien ça ne se voit pas ».

Parfois cette souffrance venait de l’entourage proche du patient, ce qui rendait les choses d’autant plus difficiles, une incompréhension qui pouvait passer pour de l’intolérance.

On peut comprendre que cela puisse conduire à l’isolement et à la dépression.

- Mme Gr.-domicile (40 ans) : « ce qui est dur c’est que c’est une maladie invisible et c’est bizarre parce que tous les gens qui m’ont vu après ils me disent « Oh, ben ça va, t’as bonne mine ! » ce qui signifie « ben en fait t’as rien », mais non, encore aujourd’hui ça va pas bien […], parfois on aimerait qu’il y ait un petit quelque chose qui se voit parce que comme c’est une maladie invisible c’est beaucoup plus difficile à faire comprendre aux autres, les gens réalisent pas en fait ». « ma propre famille […] ils ne veulent pas entendre, ils ne veulent pas comprendre que je sois encore fatiguée ».

Les patients en centre de rééducation ou dans le service de neurovasculaire ne tenaient pas les même propos mais ils n’avaient pas le même recul sur leur maladie.

- Mme Gr.-domicile (40 ans) : « tant que j’étais à l’hôpital, ça allait bien et c’est à la sortie que je me suis pris une claque ».

Certaines séquelles rapportées par les patients en plus de la fatigue physique et intellectuelle, des difficultés de mémorisation et de concentration, les isolaient encore davantage.

- Mme T.-domicile (44 ans) : « le bruit, je ne supporte pas, ça vous agresse,[…] et c’est très handicapant parce qu’il y a du bruit partout, mon mari parle très fort parce qu’il est à moitié sourd et ça j’ai eu du mal, je ne peux plus aller dans des soirées où ça brasse énormément, dans les magasins avec la musique ».

- Mme Gr.-domicile (40 ans): « c’est toujours difficile pour moi le bruit, je ne vais pas à la cantine […] je ne vais pas au resto le week-end […] je ne suis plus du tout multi-tâches alors que je m’en vantais ». On comprend que la véritable difficulté réside dans le maintient de la concentration lorsqu’on leur demande de réaliser des tâches nécessitant une attention sur différents points de manière simultanée tel que poursuivre son travail ou une discussion dans un milieu bruyant, conduire etc …

Comme le résumait parfaitement Mme Gr-domicile (40 ans) : être « multi-tâches ».

Quasiment l’ensemble des patients encore hospitalisés déclaraient être conscients de devoir mener une vie différente suite à leur AVC, une philosophie de vie à revoir, ou simplement des habitudes de vie à changer mais le changement peut faire peur et paraître difficile:

- Mr PR.-UNV (65 ans) : « il faudrait que je fasse un régime », sa compagne « il faudrait que tu fasses un petit peu plus de marche aussi ».

- Mme G.-UNV (69 ans) : « je vais arrêter de fumer ».

- Mr M.-MPR (59 ans) : « Tout le monde me dit « mollo », cool, mais il va bien falloir le gérer cet après et s’est pas facile […] il va falloir que je reconstruise mon côté professionnel, je tire trop sur la charrette tout seul […] je ne sais pas comment je vais faire autrement ».

Parfois l’AVC change complètement le caractère des gens ainsi Mr L.-domicile et Mr Bl.-UNV été devenus très émotifs sans qu’il y ait de syndrome frontal. Est-ce le fait d’avoir été confronté à l’éventualité de la mort ?, la fin de l’illusion de toute puissance ?

Mais les réactions face à l’AVC n’étaient pas aussi consensuelles que l’on pouvait le penser et ainsi lors de 2 interviews nous avons eu des réactions qui pouvaient paraître surprenantes :

- Mme S.-MPR (54 ans) : « j’étais dans une telle situation, je passais ma vie à travailler alors maintenant… cool […] Vous deviez avoir beaucoup de pression ! Maintenant il n’y en a plus (elle rit) ». Mme S. était comptable dans une société d’expert comptable et disait travailler à outrance avec une pression importante et lors de notre entretien qui fût un peu laborieux du fait de son aphasie, elle semblait presque « satisfaite » de pouvoir enfin s’occuper d’elle, comme si l’AVC l’avait en quelque sorte « libérée » d’une situation dans laquelle elle était enfermée et malheureuse.

- Mr P.-domicile (64 ans) : « (une histoire) qui m’a enthousiasmé […] je suis vraiment admiratif de la nature humaine, c’est ce qui a dominé quand j’étais malade et ensuite ce qui m’a complètement bluffé c’est la plasticité du cerveau et je suis très heureux de cette expérience ».

Mr P. n’avait pas du tout la même vision que certains patients qui voient leur AVC comme une « punition », il a appréhendé cette période de sa vie comme une expérience nouvelle dont il a tiré de riches enseignements.

Les peurs qui pouvaient exister après un évènement majeur comme l’AVC n’étaient pas vraiment différentes suivant si le patient était encore dans la filière hospitalière ou à domicile notamment en ce qui concerne la peur de la récidive.

La seule chose est que l’on remarque que seuls 2 patients hospitalisés en UNV (Mme L.-UNV et Mr Bl.- UNV) ont exprimé une peur de mourir alors que l’on ne retrouve pas un tel discours chez les patients en rééducation ou à la maison.

Certains patients n’exprimaient d’ailleurs aucune peur, soit parce qu’ils avaient confiance dans les médecins qu’ils jugeaient compétents (Mme M.-UNV), soit parce que l’AVC était pour eux une fatalité sur laquelle ils n’avaient aucune prise (Mr Gi-domicile, Mr DG-domicile) ou bien encore parce que le traitement de sortie était sensé agir tel un « bouclier » les protégeant de toute récidive (Mme Gr.-domicile). On le verra dans le 3° partie traitant de l’information médicale, certains patients délégant complètement les questions médicales à leur entourage (épouse / enfants) n’évoquaient pas de peur spécifique alors que la famille en avait (Mr DG-domicile, Mr D.-UNV), il est essentiel de le prendre en compte dans l’accompagnement notamment neuro-psychologique du patient.

D’une manière générale il apparaît que les patients les plus âgés semblaient être ceux qui appréhendaient le moins leur retour à domicile et ceci quel que soit le stade de leur maladie :

- Mme M.-UNV (77 ans): «il faudra faire attention un peu à tout, pas me fatiguer, moi qui aimais beaucoup danser j’espère que je pourrais encore … ».

précédente ».

- Mr DG.-domicile (76 ans) : Vous avez presque retrouvé une vie comme avant ? 80% […] 100% si j’ai ma voiture devant ma porte et j’ai mes boules de pétanque, alors là oui ».

- Mr Am-MPR (80 ans) : « j’ai deux activités à la maison, la pastelle et l’ordinateur comme je suis droitier ça ira (il est hémiparétique gauche) ».

On peut se demander si la vieillesse ne les avait pas déjà progressivement forcé à s’adapter et peut être justement à limiter le nombre de tâches nécessitant, comme suscité, une concentration intense, à la différence des adultes jeunes et actifs.

Il persistait toutefois une peur, celle d’être moins autonome.

Il semblait pourtant que cette peur soit moindre lorsqu’ils savaient qu’il existait des solutions, qu’ils seraient aidés :

- Mr Am-MPR (80 ans) : « l’embêtant c’est de ne pas pouvoir conduire […] pour aller faire les courses mais c’est l’ADMR qui le fera, […] nous sommes montés à la maison avec l’ergo (thérapeute) et nous avons vu que ce n’est pas trop mal ».

- Mr O-MPR (71 ans) : « je vais retourner chez moi dans ma maison et je ferais des travaux, c’est obligatoire […] un siège pour les escaliers […] mais j’ai un dossier (au Conseil Général) […] je pense que ça va aller ».

Si l’AVC ou l’AIT et leurs séquelles changent la vie quotidienne ils changent également les projets de vie, comme c’est le cas pour Mme T.-domicile, dont le dossier d’adoption en cours pourrait être menacé. On peut imaginer que de la même façon d’autres projets soient remis en question tels qu’une demande de prêt par exemple.

Documents relatifs