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de la saga pour mieux instrumentaliser leurs pratiques

Les acteurs des industries culturelles impliqués dans le développement du phénomène Harry Potter, souvent depuis les débuts de la saga, suscitent différents types de réactions auprès des fans. Il semblerait que ceux-ci soient finalement en proie à une certaine confusion à leur égard et ne sachent pas trop qu’en penser du fait de leur apparent manque d’implication au sein du fandom, que nous allons montrer comme loin d’être total.

B) 1. L'invisibilisation des acteurs des industries culturelles au sein du fandom, source d'une impression de liberté pour les fans

D'un point de vue interne mais aussi externe au fandom de Harry Potter, les acteurs des industries culturelles impliqués dans la saga semblent faire preuve d'une

132 Le Guern, P. « No matter what they do, they can never let you down... Entre esthétique et politique : sociologie des fans, un bilan critique. », In Réseaux (n° 153) : Passionnés, fans et amateurs, p. 40-41. 133 Annexe 5 : Entretien 3, Guillaume (23 ans), p. 110.

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certaine discrétion dans les activités des fans, leur procurant une impression de liberté, loin de leur influence. Ainsi, qu'il s'agisse de Gallimard ou de Warner Bros, aucun n'a véritablement son mot à dire sur le contenu produit par La Gazette du Sorcier, comme nous l'a expliqué Guillaume lors de nos échanges134. Leur présence ne se ressent également pas particulièrement sur les groupes de fans sur Facebook, dans lesquels nous avons recruté les fans avec qui nous nous sommes entretenue. De plus, aucune entreprise culturelle n’était physiquement présente à l'occasion de « La Nuit des Livres » à laquelle nous avons participé. Les fans de Harry Potter paraissent donc relativement libres dans leurs activités et dans leur regroupement communautaire, facilité par les réseaux sociaux et pratiques en ligne. L'absence des industries médiatiques et culturelles ne se perçoit par uniquement sur les plateformes en ligne ; Cyrielle, en parlant des conventions consacrées à la pop culture ou comic-cons, nous a ainsi parlé du fait que les éditeurs y ont bien un stand, mais s'est demandée « finalement qu'est-ce qu'ils font, à part nous vendre ce qu'ils nous vendent à la Fnac habituellement ? Bah pas grand-chose135. ».

La densité de l'univers créé par JK Rowling et de ses adaptations médiatiques donnent matière aux fans pour s'approprier l’œuvre de multiples façons, dans des mesures plus ou moins importantes, comme souligné par Anna :

« Je pense que ce qui est trop bien dans tout ce qui est communauté de fans, de

tous types, que ce soit Harry Potter ou autre, c'est l'appropriation par les gens d'une œuvre et après ils en font ce qu'ils veulent, ça devient un peu leur truc136. »

Cette impression que les fans « font [de l’œuvre] ce qu'ils veulent » est renforcée par la supposée passivité des acteurs des industries culturelles dans le développement de la franchise, qui peut donner aux fans le sentiment que la saga littéraire et cinématographique de Harry Potter est avant tout la leur. L'appropriation de l’œuvre par les fans reste toutefois limitée car les industriels ne leur laisse pas une liberté aussi grande qu'il n'y paraît ; il s'agirait en fait d'une stratégie de leurre, qui consisterait, selon les travaux d'Agathe Nicolas, à « donner les apparences de l’ouverture, de l’interaction,

134 Ibid.

135Annexe 3 : Entretien 1, Cyrielle (28 ans), p. 50. 136

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de la participation, tout en faisant de la fiction un outil de réaffirmation de leur propriété et de leur maîtrise sur les contenus culturels137 ».

B) 2. Le recours à la culture participative pour contrôler et s'emparer des pratiques communautaires des fans pour parvenir à leurs fins

Le concept de « culture participative » a été introduit par Henry Jenkins dans

Textual Poachers (1992) et développé par la suite dans de nombreux travaux sur les

fans et les fandoms, en particulier en lien avec la pop culture et des franchises cinématographiques comme Star Wars. Selon lui, les fans ne seraient plus de simples consommateurs et participeraient activement à produire du contenu et des créations autour de l'objet médiatique qui les passionne, dans une forme d'engagement. Le phénomène Harry Potter en lui-même « est un exemple de culture participative, parce qu’il a une communauté de fans très importante et active, prête à jouer et à amplifier l’expérience liée à Harry Potter138. » Toutefois, cette culture participative à laquelle

s'adonne les fans ne passerait pas inaperçue auprès des acteurs des entreprises culturelles concernés, que Mélanie Bourdaa139, contrairement à Jenkins, pense désireux

de s'emparer des activités des fans pour répondre à leurs propres objectifs. De la même façon, Philippe Le Guern, dans son article publié dans le numéro Passionnés, fans et

amateurs de la revue Réseaux140, met en avant les fans comme un public actif et

productif, aux activités riches et variées que les entreprises culturelles font en sorte de contrôler et de réutiliser à leur compte.

Nous voyons dans la « Nuit des Livres Harry Potter » une illustration de cette mécanique d'appropriation des pratiques communautaires des fans par les acteurs des industries culturelles. Cet évènement, mis en avant comme organisé par les librairies,

137 Nicolas, A. « Troisième Partie : Jeux de pouvoir et frictions synergiques dans la fiction : la fiction

comme enjeu des rapports de force industriels », In La grande saga de l'industrialisation de la culture : le renouveau créatif de la série Harry Potter, p. 8.

138 Garcia-Roca, A. « Reading practices in affinity spaces : participatory forms of digital culture », In Ocnos, Revista de Estudios sobre lectura, 2016, p. 43. Traduction de Nicolas, A., Ibid., p.5. 2019. 139 Bourdaa, M. « La promotion par la création des fans », In Raisons politiques (n° 62) : Pop et populaire, politiques du mainstream, 2011.

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les fans et autres collectifs pour célébrer leur passion pour la saga littéraire de JK Rowling, est en fait piloté par Gallimard en France et Bloomsbury en Angleterre, avec une implication qui, quoique minime par rapport à leurs moyens, reste palpable. Avec un tel dispositif, les maisons d'édition profitent de la participation et de la popularité de collectifs de fans comme La Gazette du Sorcier pour étendre leur influence sur les fans et, dans une certaine mesure, « tester [leur] empire et [augmenter leur] marge de profit141 ». Les fans organisateurs de cette soirée ne sont pas forcément dupes des objectifs visés par les industriels à travers eux ; pour Guillaume, si la « Nuit des Livres » est « quand même avant tout un truc de fans », elle reste aussi une opportunité financière pour Gallimard qui « touche sur tous les livres qu'ils vendent », s'agissant selon lui du « meilleur jour de vente de tous les livres Harry Potter142 ».

C) La légitimité des fans de Harry Potter face à ces entités