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A NNEXE 1 : S YNTHÈSE DE L ’ ENQUÊTE SUR L ’ EXPÉRIMENTATION

B. LES INVESTIGATEURS

Méthodologie — Les investigateurs, médecins ou membres d’équipes d’investigation (une infirmière de recherche), qui ont répondu à notre enquête se répartissent en 23 hommes (moyenne d’âge 46 ans) et 7 fem- mes (moyenne d’âge 40 ans). 20 répondants exerçaient à l’hôpital ou en pratique mixte (dont 3 médecins généralistes), 10 en ville (dont 6 spécia- listes).

Sur les documents d’IRC qu’utilisent les investigateurs, les points de vue critiques dominent, incriminant le manque de lisibilité et d’intelligibilité des documents, et la prépondérance des objectifs de protection juridique du promoteur sur les objectifs d’information.

Le clivage écrit/oral et la défiance vis-à-vis de l’écrit.

En tout état de cause, le clivage écrit/oral s’opère de manière analogue à celle des firmes : la « vraie » information est orale. La différence d’approche tient à ce que l’investigateur gère directement, dans l’interaction avec le patient, les deux modalités écrite et orale de l’information. L’écrit est vu comme une modalité d’information ineffica- ce ou inappropriée, obligeant à trop de précision et enfonçant un coin dans le pacte de confiance médical. Les documents sont souvent dévalo- risés (la « paperasserie », utile seulement pour « les choses secondaires »). Sur l’utilisation de l’écrit pour l’information sur les risques, les positions sont ambiguës : l’information écrite, vue comme « inquiétante » parce que précise, peut être en même temps un moyen de camouflage, un pré-

texte pour ne pas informer de manière détaillée à l’oral. En tout état de cause, les personnes-sujets sont réputées lire peu ou pas du tout les do- cuments d’IRC — y compris le document qu’elles signent.

Du choix des personnes à solliciter, jusqu’à l’inclusion, la démar- che des investigateurs s’analyse comme un processus de recrute- ment (« Recrutement », au sens moderne, non péjoratif, comme on l’entend dans « cabinet de recrutement », par exemple).

Un ciblage préalable des personnes à solliciter mêle critères médi- caux et extra-médicaux.

La démarche de recrutement comprend une phase de ciblage des per- sonnes à solliciter, dans laquelle, aux critères objectifs d’éligibilité médi- cale se surajoutent des critères subjectifs, extra-médicaux. Cette profili- sation sur critères extra-médicaux est opérée, selon les cas, dans une logique de « gestion du risque relationnel » (se protéger contre le refus et, en ville, « ménager la clientèle » : l’investigateur ne sollicite que les pa- tients dont il est sûr de l’acceptation) ou de sélection qualitative des su- jets (assurer la bonne fin de l’essai, éviter les sorties intempestives : l’investigateur exclut les patients « à problème » ou non capables d’observance rigoureuse).

Cette profilisation est « implicite » dans la plupart des situations de re- cherche ; elle est, en revanche, objectivée au plus haut point dans le cas des recherches où la sollicitation est publique et les candidats beaucoup plus nombreux que les places (essais vaccinaux contre le VIH, typique- ment). (Le ciblage subjectif, — non documenté, à notre connaissance, dans la littérature —, pose le problème de la non-liberté de consentir à ce qui n’est pas proposé.)

L’acte de sollicitation proprement dit est le deuxième temps fort du processus. Il convient de distinguer entre le cas traditionnel où l’investigateur est demandeur (la situation sort de la pratique habituelle et elle est souvent vécue comme « pas facile ») et les configurations « renversées » (sollicitation publique se traduisant par un afflux de candi- dats ; essais indemnisés où les volontaires sont demandeurs).

B.1. Investigateurs : dispositifs processuelset argumentatifs

Les dispositifs processuels (procédures concrètes) et argumentatifs mis en place pour l’IRC sont analysés sous l’angle de leur caractère « spéci- fiant » de la situation, de leur pouvoir différenciant sur l’opposition soin/recherche. On en analyse les dimensions « objective » et « subjec- tive », savoir : d’une part, la factualité de la procédure d’IRC (en un ou plusieurs temps, mobilisant une ou plusieurs personnes) et les

contraintes externes (type d’étude, lieu d’exercice — la pratique de ville surimposant la contrainte de préservation de la personne-sujet en tant que client) ; d’autre part, l’argumentation déployée et les projections de contenus interprétatifs sur la situation et sur les personnes sollicitées. On oppose, sur cette base, deux grandes catégories de dispositifs qui se cons- tituent selon leur caractère continu/discontinu (rupture de temps ou de lieu), séparatif ou non (rupture d’interlocuteur) et selon le type d’argumentation déployée.

Dispositifs d’IRC présentant une spécification forte de la situation. On les rencontre sans surprise dans les situations qui ne présentent pas d’ambiguïté (recherches sur volontaires rémunérés, études génétiques) ; c’est dans la recherche sur volontaires rémunérés que le dispositif est le plus ouvert en termes de liberté de participer, et le plus net en termes de définition de la situation (pas d’enjeu thérapeutique, pas de confusion avec le soin). Mais de tels dispositifs sont également mis en place dans des essais « avec BID » — c’est-à-dire où la confusion entre soin et re- cherche est la plus courante —, par des praticiens qui conceptualisent nettement la distinction soin/recherche ; la procédure d’IRC est alors non seulement discontinue (en plusieurs temps, avec rendez-vous indé- pendant de la consultation de soins), mais aussi séparative, ménageant au patient la possibilité de confirmer ou infirmer une pré-acceptation à un médecin qui n’assure pas le soin.

Dispositifs d’IRC présentant une spécification faible ou nulle de la situation.

On distingue trois configurations principales : le masquage volontaire, le déni de la spécificité de l’acte de recherche, l’intrication objective du soin et de la recherche.

Le masquage volontaire de la spécificité de la situation peut obéir à des motivations différentes, depuis le souci d’épargner le patient (com- portement « archéo-paternaliste ») jusqu’à celui « d’emballer » le client (modèle du « bonimenteur », en pratique de ville).

Le déni de la spécificité de l’acte de recherche est au cœur d’un mécanisme de neutralisation de la spécificité de la situation (« comparant des produits assez comparables, on n’est pas en pleine recherche » dit un investigateur). On le rencontre le plus couramment en ville où jouent des contraintes de relation avec la clientèle (l’investigateur ne sait pas com- ment intégrer dans la présentation de soi le rôle du chercheur-qui-ne-sait- pas et celui du médecin-qui-sait : il présente l’essai comme un « traitement nouveau ») et la réalité des essais pratiqués (phase IV, no-

tamment). — On trouve aussi à l’hôpital des conceptions de la recherche peu spécifiques par rapport au soin, corrélées à des dispositifs d’IRC peu spécifiants. La protection de l’identité médicale et de la relation avec la clientèle n’est pas ici le moteur, — qu’il faut chercher plutôt dans la pro- tocolisation routinisée des thérapeutiques et l’intrication objective du soin et de la recherche (en oncologie, typiquement).

Dans les situations d’intrication objective du soin et de la recher- che, lorsqu’il n’y a pas ou peu d’alternative de traitement (essais ouverts en épileptologie pédiatrique ; protocoles dans le VIH), on observe toute- fois, dans un certain nombre de cas, la mise en place de dispositifs vo- lontairement discontinus (et éventuellement séparatifs). L’argumentation déployée reste très peu spécifiante (on parle de nouveau traitement, de meilleur suivi, de tentative médicale…). La prégnance de la problémati- que vitale affaiblit ou neutralise le pouvoir spécifiant des procédures d’IRC.