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Inventaire des difficultés des apprenants : caractéristiques et

Après avoir présenté les comportements des natifs dans les deux sections précédentes, nous pouvons maintenant formuler quelques hypothèses concernant les productions des apprenants francophones du mandarin.

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5.3.1. Niveaux des processus de macro- et micro-planifications

Lors de la tâche de la « frog story », l’enquêtrice fournit d’abord la consigne, qui est de raconter une histoire à partir des images dessinées. En même temps qu’ils regardent les images, les apprenants exécutent la « macro-planification » afin de sélectionner les informations qui leur semblent indispensables pour transmettre l’histoire. À ce stade, l’objectif est de construire un message préverbal en choisissant une perspective en fonction de leurs coordonnées situationnelles (temporelle, spatiale, personnelle, etc.). Comme chaque langue interprète l’espace de façon différente, nous nous attendions en effet à une différence au niveau de la prise de perspective entre les sujets natifs chinois et les apprenants francophones.

Ensuite, la « micro-planification » entrant en jeu, les apprenants organisent linguistiquement les différentes informations préverbales sélectionnées. Ce processus psycholinguistique de production des messages verbaux constitue le cœur de nos recherches.

En nous basant sur les analyses des corpus des natifs, nous pouvons constater plusieurs spécificités de l’expression de la spatialité en mandarin. En effet, pour exprimer un déplacement en mandarin, nos apprenants français doivent d’abord maîtriser la construction des séries verbales, un phénomène qui est rare dans leur langue maternelle française (langue-V) ou même dans une éventuelle langue seconde, l’anglais par exemple (langue-S). Ensuite, nos sujets doivent parvenir à utiliser les verbes de direction (D) et également savoir les combiner avec les verbes de manière (M) et les verbes de repérage (R) lái (venir) et qù (aller), puisque la structure M-D-R est celle qui est la plus représentée chez les natifs sinophones.

De plus, les difficultés ne s’arrêtent pas là car la construction M-D-R peut avoir plusieurs structures possibles si elle est combinée avec un complément d’objet et/ou avec un complément de lieu, ce qui implique un changement considérable

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dans l’ordre des mots. Par ailleurs, la place de LE 1 et LE 2, qui est très importante pour la compréhension de l’énoncé, peut aussi être difficile à maîtriser pour un non-sinophone : si LE 2 (MUT) se place toujours à la fin de l’énoncé, LE 1 (ACC) peut apparaître après le verbe de manière ou après le verbe de direction selon l’ordre des autres éléments. Enfin, quand il s’agit d’un déplacement causatif, la structure avec BA est fréquente dans le corpus des natifs sinophones.

Outre les spécificités citées ci-dessus, l’information de repérage peut également constituer un obstacle pour nos apprenants car elle n’est indispensable dans l’expression du déplacement ni en français ni en anglais. Les apprenants doivent ainsi parvenir à calculer les coordonnées spatiales en mandarin afin d’utiliser pertinemment les verbes de repérage lái (veni) et qù (aller).

Ainsi, au niveau de la micro-planification, nous nous intéressons notamment aux choix du « point de visée » effectués par les apprenants. Rappelons que notre terminologie de « point de visée » désigne un repérage autour duquel est organisé le message préverbal lié à la spatialité. Dans notre étude, nous avons cherché à comprendre comment les apprenants de niveaux différents ordonnent les éléments Manière-Direction-Repérage lors de la construction d’une expression spatiale.

Nos informateurs étaient tous étudiants à l’université Paris 7, et leurs contacts avec le monde sinophone étaient plus ou moins limités à l’université. Leur input venait ainsi principalement des enseignements reçus à l’université. 87 Une connaissance préalable du manuel utilisé par nos apprenants était donc nécessaire pour nous renseigner sur les notions qui leur avaient déjà été exposées lors de l’expérimentation. En effet, si tel ou tel élément n’est pas

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Le manuel utilisé par nos apprenants en 2009-2011 pendant l’expérimentation est C’est du

chinois de Monique HOA (éditions You-Feng). Ce manuel comprend deux volumes. Le

volume I, de la leçon 1 à la leçon 20, est conçu pour les étudiants de Licence 1. Il correspond à deux semestres d’apprentissage, à savoir vingt-quatre semaines. Le volume II, de la leçon 21 à la leçon 40, est utilisé pour les étudiants de Licence 2. À partir de la Licence 3, les étudiants n’ont plus de manuel fixe car les cours sont désormais basés sur les civilisations ou la rhétorique. L’introduction de nouveaux points de grammaire demeure alors limitée.

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observé à un certain stade d’apprentissage, cela peut être dû au programme d’input.

5.3.2. Niveau de l’influence de l’input

Dans le manuel utilisé par nos apprenants, le verbe qù (aller) est introduit dans la leçon 0, que les enseignants ont traitée au cours du stage intensif obligatoire de quinze jours avant la rentrée de L1. 88 Il s’avère que cette leçon n’insiste pas sur la fonction du verbe déictique qù (aller). Autrement dit, les enseignants se seraient contentés d’introduire le verbe comme un nouveau vocabulaire sans davantage d’explications sur son fonctionnement. La situation est similaire pour le verbe lái (venir), qui est introduit dans la liste de vocabulaire de la leçon 5 sans explication. Zhè (ceci) et nà (cela) sont introduits dès la leçon 1 mais dans un seul passage, que nous reproduisons ci-dessous :

zhè, « ceci », désigne quelque chose de proche ; nà, « cela », quelque chose de plus éloigné. (p. 20, Leçon 1)

Dans la leçon 7, l’expression de la localisation est introduite pour la première fois et les étudiants apprennent également les notions zhèlĭ (ici) et nàlĭ (là-bas). Comme l’illustre le passage suivant, la distinction entre distal et proximal n’a pas été précisée, l’attention du manuel étant centrée sur la structure de ces expressions :

Ces pronoms locatifs peuvent être employés comme CO du verbe zai (« être quelque part », NDLR), ou comme sujet d’une phrase, ou encore comme déterminant d’un nom. (p. 97, Leçon 7)

Les verbes de trajectoire (verbe de direction selon notre terminologie) que nous avons mentionnés ci-dessus sont introduits séparément dans des leçons

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L’objectif de ce stage est notamment d’introduire le système de prononciation en mandarin.

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différentes. Le verbe shàng (monter) apparaît à la leçon 9, tandis que xià (descendre/au-dessous) n’a bizarrement jamais été introduit comme verbe dans les 40 leçons, à part dans « xià xuě (neiger), littéralement "descendre-neige" » à la leçon 21, étudiée au début du premier semestre en Licence 2. Le verbe jìn (entrer) figure dans la liste de vocabulaire de la leçon 18 du manuel sans autre forme d’explication. Le verbe chū (sortir), tout comme xià (descendre), n’ont jamais été présentés sous forme de verbes à l’exception de l’expression dans la leçon 25 « chū wèntí (avoir un problème), littéralement "sortir-problème" ». Le verbe guò (traverser) n’apparaît pour la première fois que dans la leçon 16 sous la forme de l’expression « guò mălù (traverser), littéralement "traverser-route" ». Le verbe huí (rentrer) est présenté à la leçon 16 avec la description suivante :

Hui signifie « rentrer » et demande un complément : hui Beijing « rentrer à Pékin ». (p. 248, Leçon 16)

Nous voyons que dans le manuel les verbes de direction sont présentés isolément sans lien explicite entre eux. Nous ne trouvons la première tentative de présentation de l’expression du déplacement que dans la leçon 16 (au second semestre de L1), où est enseignée la combinaison de certains verbes avec lái (venir) et qù (aller) :

Lai et qu, employés après certains verbes impliquant un déplacement (entrer, sortir, monter, etc), indique la direction du mouvement par rapport à la personne qui parle. Lai indique que le mouvement se fait en direction de l’endroit où se trouve le locuteur, alors que qu indique qu’il se fait en s’éloignant de cet endroit. (p. 249, Leçon 16)

Il faut attendre la leçon 27 (fin du premier semestre de Licence 2) pour voir la première apparition de la combinaison d’un verbe de trajectoire avec les verbes de repérage lái et qù.

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La série « shang (monter) » suivie de lai/qu exprime alors « un déplacement par rapport aux repères dans l’espace + par rapport au locuteur » (p. 120, Leçon 27, volume 2)

Dans la leçon 28, ont été introduites deux combinaisons de trois verbes : « zŏu (marcher) + shàng (monter) + lái (venir) / qu (aller) » et « ná (prendre) + shàng (monter) + lái (venir) / qù (aller) » :

La série « shang (monter) » exprime un déplacement orienté (par rapport à l’espace) du sujet ; la série « zou (marcher) » exprime le mode de déplacement du sujet. (p. 135, Leçon 28)

Pour certaines actions causatives, la construction BA est nécessaire. Or, BA n’apparaît que dans la leçon 26 (volume 2). Autrement dit, son enseignement n’est prévu qu’à la fin du premier semestre de Licence 2.

5.3.3. Hypothèse de cheminement par les apprenants

De ce qui précède, en nous basant sur les caractéristiques spécifiques du mandarin et du français, ainsi que sur les enseignements dispensés à la faculté, nous pouvons imaginer un éventuel itinéraire que nos apprenants suivront au cours de leur apprentissage, en ce qui concerne l’expression du mouvement.

En effet, les apprenants sont susceptibles de privilégier exclusivement les verbes de direction au début de leur apprentissage puisque l’information de la trajectoire est primordiale dans l’expression du mouvement en français, leur langue maternelle. L’influence du transfert de L1 doit certainement être remarquable chez les apprenants du niveau débutant. Puis, au fur et à mesure de leurs contacts avec les divers verbes de direction, il est attendu que les apprenants arrivent ensuite à utiliser les combinaisons de Direction + Repérage. Comme les fonctions et les diverses structures ne sont pas précisées

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dans les cours, les apprenants sont livrés à eux-mêmes pour organiser les différents éléments. Les corpus de niveaux différent ont ainsi pour but de nous montrer les stratégies employées par nos apprenants aux différents stades de leur apprentissage.

Par ailleurs, puisque l’information sur la manière est encodée dans un co-event en français, il est probable que les verbes indiquant la manière de l’action en mandarin apparaissent très tardivement dans les productions des apprenants. Une fois que les apprenants maîtrisent la combinaison M-D-R, il serait intéressant d’analyser leurs choix entre les verbes lái (venir) et qù (aller). Comme le calcul des coordonnées spatiales en mandarin ne figure pas dans les enseignements du manuel, les utilisations de lái (venir) et qù (aller) pourront nous révéler le « point de visée » privilégié par les apprenants aux différents stades de leur apprentissage.

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Chapitre VI

Analyse des corpus des apprenants

Dans cette partie, nous présenterons l’analyse des corpus de nos apprenants. Nous avons réparti nos sujets en trois groupes selon leur niveau d’études : débutant, intermédiaire et avancé. Pour chaque groupe, notre analyse commencera par un commentaire général sur ses productions, puis nous étudierons les structures utilisées et les informations sélectionnées par nos sujets lors de la première et de la seconde expérimentation.