• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 2 REVUE DE LA LITTÉRATURE

2.2 L’Analyse du Cycle de Vie conséquentielle : un outil pour évaluer l’impact

2.2.4 L’inventaire en ACV-C

Examinons les pratiques actuelles pour établir des inventaires d’avant-plan et d’arrière-plan en ACV-C.

Les inventaires d’avant-plan en ACV-C peuvent être obtenus par la méthode descriptive causale qui est basée sur l’analyse de données historiques, des dires d’expert et des « règles du pouce » (B. Weidema, 2005; Bo P Weidema et al., 1999) ou par l’utilisation de modèles économiques (Earles, Halog, Ince, & Skog, 2013).

• La méthode descriptive causale est une méthode par étapes permettant d’analyser le changement étudié et l’état du marché évalué selon différents critères (taille et horizon de temps du changement ; délimitation, tendance et contraintes du marché ; identification de la technologie marginale, c’est-à-dire la plus sensible aux variations de la demande) afin d’aider à choisir les données les plus pertinentes pour décrire l’inventaire. Il s’agit en fait d’une approche simplifiée pour décrire les mécanismes de marché, proposant par exemple l’identification d’une seule technologie marginale sur le marché. Or, en fonction de la taille du changement, plusieurs technologies marginales peuvent être affectées (Mathiesen, Münster, & Fruergaard, 2009). Cette approche n’est donc applicable que pour l’évaluation de changements marginaux (n’ayant pas de conséquences à grande échelle). De plus, cette approche pose l’hypothèse d’une élasticité parfaite de l’offre à long terme, c’est-à-dire que l’offre s’adaptera toujours à la demande, quels que soient les niveaux de demande requis (Bo Pedersen Weidema, Ekvall, & Heijungs, 2009). Il s’agit d’une hypothèse forte notamment lorsque les marchés sont contraints ou imparfaits. L’approche descriptive causale présente donc des limites de représentativité des marchés notamment pour évaluer des conséquences prospectives à long terme.

• Le recours à des modèles économiques semble plus pertinent que la méthode descriptive causale pour l’évaluation de décisions non marginales et prospectives car ces modèles rendent mieux compte du fonctionnement global de l’économie et intègrent de façon intrinsèque l’évolution technologique (Dandres et al., 2011). De plus, les modèles économiques sont capables de capter des chaines de causes à effet pour identifier plus en détail les conséquences indirectes en chaine d’une décision. Enfin, la résolution spatiale de ces modèles permet d’envisager une meilleure modélisation des effets indirects d’une décision et donc des impacts environnementaux associés (Earles & Halog, 2011). Généralement, le praticien ACV est plutôt un utilisateur des résultats des modèles économiques pour réaliser son ACV plutôt qu’un modélisateur. La collaboration avec les modélisateurs du modèle utilisé est généralement requise.

En pratique les inventaires d’arrière-plan utilisés en ACV-C sont souvent des inventaires attributionnels issus de bases de données existantes comme ecoinvent (Dandres, 2012; F. M. Menten et al., 2015; Vázquez-Rowe, Marvuglia, Rege, & Benetto, 2014). En effet les conséquences en chaîne sont souvent difficiles à identifier pour le praticien ACV et la modélisation conséquentielle se limite souvent au premier voire au deuxième niveau de conséquence. Par exemple, la mise en place d’une flotte de véhicules électriques induit une augmentation de la demande en électricité (premier niveau de conséquence) qui induit une augmentation de la demande sur les matières premières pour la production d’électricité marginale (deuxième niveau de conséquence), etc. Cette pratique devrait cependant évoluer grâce à la base de données ecoinvent v3 qui proposent des jeux de données conséquentielles intégrant plusieurs niveaux de conséquences (Weidema B P et al., 2012).

Yang (2016) recommande une approche d’ACV-C basée sur le cadre d’ACV-A. La première étape de l’approche consiste à construire l’inventaire et faire l’ACV-A d’un scénario de statu quo du système étudié. La seconde étape consiste à adapter l’inventaire du statu quo et faire l’ACV-A d’un scénario incluant la décision étudiée. La différence d’impact entre les deux scénarios à chaque pas de temps représente donc l’impact des processus affectés par la décision.

Il n’est pas évident de dresser une taxonomie des différents modèles économiques existants tant leurs hypothèses sous-jacentes et paramétrage respectifs peuvent être variés (Crassous, 2008). De manière générale, les modèles économiques se caractérisent par :

• un type de résolution mathématique : simulation/récursif/optimisation, statique/dynamique, linéaire/non linéaire;

• un principe général de fonctionnement : top-down ou bottom-up ou hybride;

• une structure du modèle : secteurs économiques inclus dans le modèle, couverture spatiale, horizon de temps, finesse de description des marchés/technologies/commodités, hypothèses sur la prise en compte des interactions prix/commodités ou inter-commodités au sein du modèle (élasticité, substitution, etc.);

• un jeu de données : données techniques, scénarios de prix, etc.

Deux grandes catégories de modèles économiques sont utilisées en ACV-C : les modèles

d’équilibre partiel (Partial Equilibrium Model –PEM - en anglais) et les modèles d’équilibre général (Computable General Equilibrium Model – CGEM - en anglais). Chacun présente des

caractéristiques différentes et leurs usages sont complémentaires (Tableau 2.3) (Bahn, Haurie, & Zachary, 2004). Les PEM se concentrent sur l'évaluation de certains marchés et/ou de certaines zones géographiques avec un niveau de détail fin (par produit/technologies et par zones géographiques) permettant d'identifier avec précision les différentes substitutions pouvant s'opérer lors d’un changement. Cependant, certains déterminants aux frontières des modèles PEM, comme les prix, sont exogènes, ce qui empêche la prise en compte des effets rebonds au-delà des frontières du modèle, et induit une vision partielle des processus affectés. Les CGEM s'avèrent performants sur ce point car ils représentent tous les secteurs de l’économie en décrivant les échanges internationaux de manière endogène, mais avec une description plus agrégée des secteurs, ce qui peut rendre difficile voire impossible l'identification des technologies affectées. L’impact environnemental entre technologies au sein d’un même secteur pouvant être très variable, il est donc nécessaire de connaître la nature des technologies affectées pour faire une ACV et pas seulement le secteur concerné. Par exemple, l’électricité, considérée comme un bien homogène, a pourtant un impact environnemental très varié dépendamment de sa technologie de production (centrale à charbon, centrale nucléaire, barrage hydraulique, etc.). De ce fait, Marvuglia et al., (2013) avancent qu’étant donné le caractère agrégé, complexe et difficilement adaptable des CGEM, les PEM seraient plus adaptés à une utilisation pour l’ACV-C. Cependant, le couplage des PEM avec des CGEM pourrait permettre de profiter des atouts de ces deux types de modèles.

Tableau 2.3 – Principales différences de caractéristiques entre les modèles économiques PEM et CGEM PEM CGEM Principe général de fonctionnement Bottom-up Top-down Structure du modèle

Focus sur un nombre restreint de marchés pour des zones géographiques définies

Tous les secteurs de l’économie en décrivant les échanges internationaux de manière endogène

Niveau de détail fin par technologie et par région

Description agrégée par secteur économique

Variables Équations sur des quantités

physiques

Équations sur des valeurs économiques