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L’hétérogénéité, ou les hétérogénéités, des groupes d’élèves : de quoi parle-t-on ?

Les élèves sont divers à plus d’un titre.

Nombre de réseaux d’éducation prioritaire, dans le constat des difficultés qu’ils identifient, témoignent de cette diversité souvent perçue comme de multiples obstacles à surmonter : dans une même classe, les élèves peuvent être d’âges différents (même si la classe n’est pas une classe à cours double en élémentaire). Ils peuvent être nés en France ou non, leur langue maternelle peut être le français, ou non. Ils vivent au sein de structures familiales diversifiées (monoparentales peut-être, familles nombreuses ou pas), aux logiques de socialisation sans doute différentes (qui peuvent se traduire par exemple par des perceptions et compréhensions diverses de l’école), porteuse d’une culture connivente avec la culture scolaire ou au contraire plus éloignée d’elle (que les parents/enfants soient étrangers ou d’origine étrangère, ou pas).

Il serait long, fastidieux et probablement vain de lister tout ce qui peut faire différence.

En revanche, il est nécessaire, pour la pratique (individuelle ou collective, pour penser les gestes professionnels ou les organisations pédagogiques), d’identifier la traduction de ces multiples diversités dans la compréhension et les démarches

d’apprentissage mises en place par les élèves.

De ce point de vue, trois dimensions liées entre elles peuvent être identifiées :

 l’hétérogénéité des acquis scolaires, du niveau de maîtrise des savoirs et des compétences, de la langue scolaire, et plus largement de la connaissance du monde ;

 l’hétérogénéité des modes d’implication dans les tâches scolaires : diversité de maîtrise des

apprentissages scolaires, du désir d’apprendre à l’école : rejet, passivité, appétence, volonté, envie.

Ces différentes dimensions qui composent l’hétérogénéité des élèves rencontrent l’hétérogénéité des enseignants eux-mêmes (voir le schéma en annexe) et plus largement des adultes qui les encadrent et les accompagnent dans leurs apprentissages, sans oublier leurs parents.

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Que penser de l’hétérogénéité des profils cognitifs et qu’en faire ?

La question des styles cognitifs a été très développée en France dans les années 1980 notamment avec les travaux d’Antoine de la Garanderie qui distinguaient les « visuels » et les « auditifs », reposant sur l’idée que tous les individus n’apprennent pas de la même manière, ce qui semble incontestable, puisque l’on apprend toujours à partir de ce que l’on connaît et pratique déjà.

Mais cette idée a donné lieu à des interprétations qui ont encouragé à repérer les uns et les autres et à tenter de donner à chacun selon ce qu’il était censé être. Ce n’est pas la pratique recommandée par La Garanderie lui-même qui préconisait plutôt de favoriser la variété des approches pédagogiques en classe pour que chacun trouve son compte.

D’autres auteurs ont développé, un peu plus tôt, à partir des travaux de Witkin, aux États-Unis, des théories pour l’apprentissage en fonction d’autres styles cognitifs supposés : les « dépendants du champ perceptif » et les « indépendants du champ perceptif ». Dans le même temps, en Union soviétique (Alexander Luria), on parle, à partir de travaux relatifs au traitement de l’information par le cerveau, de « processus séquencés ou simultanés ».

Toutes ces théories ont été discutées, et notamment par Willingham et Riener qui interrogent l’existence même de styles cognitifs ou styles d’apprentissage : The Myth of learning styles.

Toutefois, plus récemment avec Howard Gardner, la question des intelligences multiples a été remise sur le devant de la scène, mais l’intéressé indique qu’il ne sait pas faire de lien entre les huit types d’intelligence qu’il postule et les pratiques enseignantes souhaitables.

Que ces styles d’apprentissage ou cognitifs existent ou non, il n’y a, à notre connaissance, aucune évidence scientifique qui suggérerait qu’il faille en tenir compte en développant une différenciation de l’enseignement en fonction de ces supposés styles ; ce qui poserait, en outre, un problème de faisabilité avec une classe de 25 élèves.

Ce que l’on peut retenir de ces débats, c’est que, si les individus n’apprennent pas tous de la même manière, il y a trois gestes professionnels qui permettent d’en tenir compte et d’en faire bénéficier tous les élèves :

- la variation des supports et approches des notions étudiées ;

- l’explicitation aux fins de confrontation des démarches d’apprentissage des élèves ;

- le travail des élèves en coopération qui permet de développer des conflits cognitifs dont il faut faire attention à ce qu’ils soient bien assumés et non menaçants, on se référera aux travaux de Buchs, Darnon et autres (cf. Céline Buchs, Céline Darnon, Alain Quiamzade, Gabriel Mugny et Fabrizio Butera, note de synthèse de la Revue française de pédagogie, avril-juin 2008 : « Conflits et apprentissage.

Régulation des conflits sociocognitifs et apprentissage »).

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Les enseignants face à l’hétérogénéité : tensions, paradoxes… et culpabilité

La « constante macabre » est le miroir diviser la classe en trois tiers : les bons, les moyens, et les « faibles ». (Nombreux sont les enseignants qui se sont vus reprocher « des évaluations trop faciles » puisque « tous les élèves, ou presque, réussissent »). Ces pratiques sont issues d’une conception, profondément ancrée dans l’histoire de notre système éducatif et toujours présente, de l’école qui classe, trie et sélectionne en même temps qu’elle instruit. L’hétérogénéité des élèves, paradoxalement ressentie comme une difficulté pour enseigner, s’en trouve renforcée car, même face à une classe rassemblant d’excellents élèves, la

« courbe de Gauss » ne tardera pas à structurer le groupe.

Ces conceptions et pratiques perdurent dans une école qui aujourd’hui, bien plus qu’hier, se donne pour objectif la réussite de tous les élèves*, dans une école publique qui, bien plus qu’hier, accueille un public diversifié au sein des mêmes structures (par le double effet de la massification et de l’unification des structures scolaires).

Dans ce contexte, le risque de culpabilisation des professionnels est grand… Comment dépasser paradoxes et tensions, particulièrement en éducation prioritaire où se côtoient des élèves en réussite et une proportion importante d’élèves qui ont à relever de nombreux obstacles pour réussir ?

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*« L’objectif de la refondation est de rebâtir une École à la fois juste pour tous et exigeante pour chacun. Cette refondation a pour objet de faire de l’École un lieu de réussite, d’autonomie et d’épanouissement pour tous ; un lieu d’éveil à l’envie et au plaisir

d’apprendre, à la curiosité intellectuelle, à l’ouverture d’esprit » (rapport annexé à la loi de refondation de l’école de la République, 8 juillet 2013)

Pour de nombreux domaines abordés dans ce dossier, on pourra consulter, le livre de Jean- Michel Zakhartchouk, Enseigner en classes hétérogènes , ESF éditeur, 2015.

Sommaire

• L’hétérogénéité peut être une chance !

• Savoir où on va et où on veut faire aller !

• Face à la diversité, varier la pédagogie

• Tenir compte de besoins différents

• Choisir les bons tempos

• Organiser la classe autrement

• Evaluer les progrès de chacun

• La classe qui intègre et inclut tout le monde

• Être un passeur culturel

• Accompagner dans et hors de la classe

• Faire avec l’hétérogénéité, ça s’apprend

Jean-Michel Zakhartchouk est enseignant de français dans des collèges de milieux populaires, formateur et rédacteur de la revue Les Cahiers pédagogiques.

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Risques et illusions de l’homogénéité

Rassembler les élèves par (même) niveau scolaire pour faciliter l’enseignement et permettre d’être plus efficace est une idée largement répandue1. Face à un groupe relative-ment homogène, ou partageant des difficultés proches, il serait plus aisé d’adopter des pratiques répondant aux besoins des élèves et donc d’améliorer leurs apprentissages.

De nombreuses études2, tant au niveau international que dans des contextes nationaux, contredisent pourtant cette idée. Elles ont pu montrer que, sans ajustement du curriculum et à qualité d’enseignement égal, l’effet des classes de niveau était quasi inexistant.

En revanche, les études qualitatives montrent que le niveau moyen de la classe influe sur les contenus, pratiques, temps d’apprentissage, niveau d’exigence du professeur, interactions entre pairs ; ensemble de composantes qui ont un effet favorable pour les élèves les plus avancés et défavorables pour les élèves les plus faibles. En d’autres termes, un élève fort à tout à gagner, en termes d’acquisition scolaire, à être scolarisé dans une classe homogène de niveau élevé quand un élève faible à tout

1 Ces regroupements « homogènes » existent d’ailleurs bien plus aujourd’hui que dans l’école d’autrefois (avec ses classes uniques), du fait de l’organisation largement majoritaire par âge et par niveau de classe (GS, CP, CE1…6e, 5e, etc.).

2 Lire à ce sujet « Classes homogènes versus classes hétérogènes : les apports de la recherche à l’analyse de la problématique », Vincent Dupriez et Hugues Draelants, 2003 ; Bruno Suchaut, « Le Meilleur Compromis pour tous », Cahiers Pédagogiques, 2007 ; Benoît Galand,

« Hétérogénéité des élèves et apprentissages : quelle place pour les pratiques d’enseignement ? », Les Cahiers de recherche en éducation et formation, n° 71, 2009.

à perdre à être scolarisé dans une classe homogène de faible niveau.

Aussi, si « l’on souhaite privilégier l’équité, c’est-à-dire réduire les écarts entre élèves, sans pour autant affecter le niveau moyen, alors le meilleur pénalisés3 ». Plus largement, il apparaît plus opportun pour la réussite des élèves de maintenir des classes mélangeant des élèves de niveaux variés le plus longtemps possible au cours de la scolarité et de retarder au maximum les différenciations de parcours scolaire.

La tentation de constituer une classe homogène sous-estime les effets potentiellement pervers d’une classe homogène et néglige les effets importants et potentiellement positifs de la diversité des élèves. La présence de ce qui est parfois appelé « une tête de classe » peut en effet éviter une baisse des attentes, un glissement vers une moindre exigence et un appauvris-sement des apports en donnant moins à ceux qui ont moins4.

3 Bruno Suchaut, L’hétérogénéité des élèves : un éclairage par la recherche en éducation, Université de Bourgogne et Irédu-CNRS paru dans Les Cahiers pédagogiques, juin 2007.

4 On peut lire à ce propos dans L’École qui classe, de Joanie Cayouette-Remblière, l’effet du niveau de la classe (p. 141) ; cf. les travaux d’Alain Mingat, La Constitution des classes de niveau au collège, les effets pervers d’une pratique à visée égalisatrice.

7 Par ailleurs, l’apport des pairs entre eux

dans ce qu’il permet d’échanges, de coopération, d’entraide est ignoré ou sous-estimé. Le travail en groupe hétérogène développe les occasions de

« conflits socio-cognitifs » qui favorisent l’accès à des tâches de conceptualisation pour les plus faibles et une consolidation des apprentissages pour les plus forts5. souhaitons instaurer et transmettre à nos élèves : l’entre soi social et scolaire, ou l’apprentissage du « vivre ensemble », la connaissance et la compréhension des différences, des complémentarités, la force de l’entraide, de la coopération, du travail et de l’apprentissage collectifs.

5 Hugon, 2008. D’autres chercheurs (Plante, 2012 ; Rouiller, 2008) préconisent de former des groupes dont les élèves ont des caractéristiques complémentaires. Il semble donc y avoir accord pour éviter les groupes homogènes, notamment des groupes de niveaux (extrait du dossier de délaisser les plus forts. Il est nécessaire d’aider les professionnels de l’éducation prioritaire à appréhender plus positivement la question de l’hétérogénéité de leurs élèves pour savoir en tirer profit plutôt que la considérer comme une anomalie et une entrave.

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« La question de l’hétérogénéité est en effet centrale en ce moment. Elle n’est pas seulement dans les préoccupations du monde éducatif, c’est une des interrogations sociales et politiques les plus sensibles. Devons-nous accueillir des réfugiés ? Avons-nous besoin d’une nouvelle politique d’immigration ? Nous faut-il définir notre identité ? Ces interrogations qui renvoient à notre conception d’autrui peuvent être reformulées ainsi : devons-nous nous ressembler pour pouvoir vivre ensemble ? »

Michel Baraëre, « Éloge de l’hétérogénéité », éditorial du numéro de 163 de la revue Dialogue du GFEN, janvier 2017.

Vidéo de Philippe Mérieu : réflexion d’un pédagogue, « La manière d’enseigner »

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Une posture professionnelle ouverte à la diversité des élèves…

L’hétérogénéité est inévitable. On l’a vu plus haut, les pratiques pédagogiques et éducatives encore très courantes participent à son maintien voire à son aggravation. Et comment penser que des élèves différents à bien des égards seraient disposés de la même manière et au même moment à apprendre et comprendre les mêmes choses, de la même façon, à la même vitesse ?

Nous posons donc le postulat que cette hétérogénéité inévitable doit être prise en compte dans la manière de penser la classe, l’école, le collège et organisée pour en tirer le meilleur parti possible, pour créer les conditions qui en feront une ressource pour tous. Un préalable et trois principes semblent les composantes d’une posture profession-nelle facilitante à cet égard.

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Un préalable : (chercher à) connaître et comprendre les obstacles les plus fréquemment rencontrés par les élèves dans leurs apprentissages (c’est-à-dire les obstacles largement partagés par les élèves scolarisés en éducation prioritaire) et/ou créer les conditions de cette connaissance.

Et trois principes :

- s’appuyer sur la compréhension de ces obstacles pour repenser, ajuster l’ordinaire de la classe, pour rendre l’enseignement donné collectivement immédiatement plus accessible, compréhensible à tous.

Organiser la classe pour inclure tous les élèves ;

- s’appuyer sur les différences entre élèves pour en faire un levier d’apprentissage collectif, penser les relations entre pairs comme une ressource possible ;

- organiser les temps et activités scolaires et périscolaires hors la classe au sein de l’école, de l’établissement, du réseau mais aussi du territoire pour éviter leurs potentiels effets différenciateurs et permettre au contraire un enrichissement des apprentissages.

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II. Comprendre les difficultés et les besoins des élèves