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Les consommateurs multiplient les activités de recherche d’informations lorsque le risque perçu est important (Dowling et Staelin,1994). Dans la mesure où l’information permet de réduire l’incertitude, les consommateurs se renseignent auprès de leur réseau personnel et des médias avant de prendre une décision (Dowling et Staelin, 1994; Mit- chell, 1999). La figure 5.1 montre l’évolution des recherches sur le moteur de recherche Google du terme "wheat price" (prix du blé) ainsi que de l’évolution du prix mondial des céréales de Janvier 2004 à Juin 2018. On observe un fort intérêt des internautes au sujet du prix du blé surtout durant les deux périodes qui correspondent aux crises alimentaires de 2007-08 et 2010-11. Lorsque l’on regarde ces deux pics de plus près, on remarque que le premier pic de recherche suit l’évolution des prix des céréales alors que

le second précède le pic des prix des céréales. Pour le premier pic de recherche nous pourrions faire l’hypothèse que c’est parce que les prix sont élevés que les recherches se sont intensifiées mais pour le second cette hypothèse est fragile, puisque le pic de recherche précède le pic du prix. Cela nous conduit à nous interroger sur la possibilité que la crise alimentaire de 2010-2011 soit une crise alimentaire auto-réalisatrice. Plus précisément, est-il possible qu’une mauvaise évaluation du risque par les consomma- teurs ne conduit à une pénurie alimentaire auto-réalisatrice ? Si tel est le cas, alors quels facteurs biaisent la perception du risque du consommateur ?

Figure 4.1 – Corrélation entre le prix mondial des céréales et Google Trends, données FAO et Google Trends.

Malheureusement, la littérature sur les crises alimentaires se consacre principale- ment sur les risques physiques d’approvisionnement (Mitchell, 2008; Rosegrant, 2008; Abbott,2011;Headey, 2011;Martin et Anderson, 2011;Anderson et Nelgen, 2012;Zil- berman et al.,2012) et aborde peu les aspects comportementaux et psychologiques des crises alimentaires. Seul Timmer (2012) s’interroge sur l’impact des biais cognitifs sur le comportement du consommateur, notamment en matière de stockage de précaution.

Dans ce chapitre, nous proposons un modèle théorique de crise alimentaire qui décrit comment la déformation de l’information qui s’opère à travers les canaux de communica-

tion conduit au stockage alimentaire de précaution. Notre modèle se base sur le concept d’amplification sociale du risque. Ce concept repose sur l’hypothèse que les signaux liés à un événement à risque interagissent avec des processus psychologiques et socio-culturels de nature à amplifier ou à atténuer la perception du risque des individus et à déterminer leurs réactions comportementales et de communication (Kasperson et al., 1988; Renn

et al., 1992; Pidgeon et al., 2003). Ainsi, nous dirons qu’il y a amplification sociale du risque d’insécurité alimentaire si la déformation de l’information qui s’opère à travers les processus de communication conduit le consommateur à surévaluer ou à sous-évaluer le niveau du risque. Le cadre théorique des ruées informationnelles proposé parJacklin et Bhattacharya(1988) est repris ici afin de mettre en avant la séquentialité dans le rai- sonnement psychologique du consommateur. Ce cadre permet d’étudier la réaction d’un individu lorsque qu’il reçoit une information supplémentaire. C’est un cadre théorique construit initialement pour étudier les phénomènes de paniques bancaires en situation d’incertitude. A la différence deJacklin et Bhattacharya (1988), cependant, nous consi- dérons que l’individu utilise des heuristiques de jugement (Tversky et Kahneman,1973, 1974) et il communique avec les autres consommateurs. Cette hypothèse permet de lier le comportement de chaque individu à la croyance moyenne des autres individus dans son environnement social. Formellement, nous introduisons une fonction de perception individuelle du risque qui dépend d’un paramètre appelé le "facteur d’amplification du risque". Ce paramètre mesure l’intensité de la croyance collective que des individus dans une localité accordent au signal concernant un événement à risque.

Notre modèle apporte plusieurs contribution à la littérature. Non seulement, la présence d’heuristiques de jugement (Tversky et Kahneman, 1973, 1974) est prise en compte mais aussi, l’influence de la société sur la décision individuelle est modélisée. Trois résultats majeurs sont mis en évidence par notre modèle. Premièrement, nous introduisons la notion de responsabilité morale du consommateur pour le bon fonction- nement du marché dans l’analyse de son comportement en matière d’achat alimentaire. Deuxièmement, nous montrons que le consommateur ne décide de recourir au stockage

alimentaire de précaution que si son gain à le faire est en espérance supérieur à son coût moral personnel, celui-ci étant le sentiment de regret de s’être comporté d’une façon qui nuit au bon fonctionnement du marché. Nous montrons que le coût moral personnel dépend du facteur d’amplification social du risque d’insécurité alimentaire. Il est d’autant plus faible que la majorité des individus dans une localité s’attend à ce que la disponibilité alimentaire à venir soit faible suite aux informations qu’ils ont reçues. Nos résultats montrent aussi que le coût moral personnel est faible lorsque la confiance initiale que les consommateurs portent au système alimentaire est faible (notamment lorsque le degré de diversification du régime alimentaire est faible). Enfin, nos résultats nous ont permis de mettre en exergue l’importance de la communication publique sur les risques d’approvisionnement alimentaire. Notre analyse suggère que l’amplification sociale du risque d’insécurité alimentaire peut être considérablement réduite si la po- litique de prévention inclut un volet d’évaluation et de communication sur les risques d’approvisionnement alimentaire.

La section 4.2 présente le concept d’amplification sociale du risque dans le cadre de la sécurité alimentaire. La section 4.3 est consacrée à la modélisation théorique. La section 4.4 discute du rôle à assigner à la communication publique sur les risques d’approvisionnement alimentaire. Enfin, la dernière section conclut le chapitre.

4.2

Amplification sociale du risque d’insécurité ali-

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