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1. Introduction

Au Canada, les secteurs de la volaille (poulets et dindes1), des œufs (consommation et d’incubation) et du lait sont soumis à un système de gestion de l’offre2. Ce système permet de contrôler les volumes de production afin qu’ils répondent à la demande canadienne, de fixer les prix selon les coûts de production pour assurer une rémunération juste aux producteurs et de limiter les importations pour empêcher que l’entrée de produits étrangers ne vienne accroître l’offre de ces produits (Painter, 2007; Goldfarb, 2009; Couture et al., 2012; Dumais, 2012).

La gestion de l’offre a été mise en place dans les années 1970 alors qu’un contexte de surproduction chronique, de faibles revenus et de fermeture de marchés aux États-Unis et en Europe prévalait dans le secteur laitier canadien (Doyon & Sanchez, 2007; Goldfarb, 2009). Les producteurs laitiers ont été les premiers à bénéficier d'un système national de gestion de l’offre en 1970, ont suivi les producteurs d’œufs (1972), de dindons (1974) et de poulets (1978) dans les années suivantes (MAPAQ, 2011a; Hall Findlay, 2012).

Le système de gestion de l’offre découle d’ententes fédérales-provinciales où les responsabilités sont partagées en regard du niveau de contingentement de la production, de l’allocation des quotas, de la fixation des prix et de la mise en marché des produits. Au Québec, les offices de commercialisation3 se sont vu accorder une délégation de pouvoir en vertu de la Loi sur la mise en marché des produits agricoles, alimentaires et de la pêche (RLRQ, chapitre M-35.1). Ils ont ainsi la responsabilité d’administrer le système de gestion de l’offre à l’échelle provinciale selon les quotas alloués à la province.

Ainsi, au Canada, tout producteur désirant produire de la volaille, des œufs de consommation ou du lait doit détenir des quotas de production dès lors qu’il dépasse un certain seuil de production, par exemple 99 poules pondeuses au Québec (voir Tableaux 1 et 2). Si ces quotas ont été donnés aux producteurs lors de l’implantation du système de gestion de l’offre selon leur niveau historique de production, ils ont aujourd’hui une valeur de revente importante qui peut considérablement varier entre les provinces selon différents choix qui ont été faits par les offices. L’émission de nouveaux quotas dépend quant à elle de l’évolution de la demande du produit fini sur le marché canadien et ces nouveaux quotas, lorsqu’il y en a, sont pour l’essentiel distribué entre les agriculteurs déjà détenteurs d’un quota4. Démarrer une nouvelle production dans ce secteur, ou encore croître pour

1 Nous employons indifféremment les termes de dinde et de dindon pour cette production.

2 En ce qui concerne les œufs d’incubation, les demandes et règlements concernant la production sans quota ne touchent pas ce secteur qui se situe en amont de la production de poulet et d’œufs de consommation. Étant donné que l’enjeu du sans quota est au centre de cette recherche, les œufs d’incubation n’ont pas été considérés.

3 Les Éleveurs de volaille du Québec, les Producteurs de lait du Québec, la Fédération des producteurs d’œufs du Québec et les Producteurs d’œufs d'incubation du Québec.

4 Ces éléments sont détaillés pour le Québec dans le chapitre 5.

2 intégrer la relève nécessite donc un capital important (pouvoir financer les quotas) ainsi que la disponibilité de quotas (avoir accès à du quota).

Si le système de gestion de l’offre a été très efficace depuis sa création pour stabiliser les volumes de production et améliorer les revenus des producteurs, il fait également l’objet de diverses critiques concernant sa capacité à offrir des produits différenciés, notamment dans le secteur de la volaille. Au cours des dernières années, plusieurs articles de presse ont fait état d’une demande accrue au Canada pour des poulets et des œufs différenciés (biologique, en liberté, poulet asiatique, de Cornouailles, provenant d’élevages à petite échelle ou artisanal, élevés sans antibiotique, etc.) et ont déploré l’incapacité qu'auraient les producteurs sous gestion de l’offre à fournir ces produits (Shore, 2010; Ballivy, 2012; Cayo, 2012; Nuttall Smith, 2012; McKenna, 2013; Amir, 2014; Csanady, 2015;

Lamontagne, 2015 a et b; Legendre, 2015; Ménard, 2015).

Selon ces mêmes observateurs, pour satisfaire cette demande, il serait nécessaire de favoriser le développement de productions à petite échelle dans des canaux de commercialisation alternatifs. Il existerait selon eux de nombreux producteurs qui, bien qu’ils ne disposent pas de quotas, seraient désireux d’occuper ces niches. Ces derniers seraient cependant bloqués dans le développement de leur production de volaille et d’œufs, en raison du coût des quotas, parfois des seuils minimums imposés (voir chapitre 3) et de leur faible disponibilité qui rend un modèle d’exploitation à petite échelle non rentable. Par ailleurs, les petits volumes autorisés sans détenir de quota resteraient insuffisants pour motiver de nouveaux établissements en agriculture, ou encore, pour justifier une diversification des activités sur la ferme qui demanderait des investissements dans des infrastructures d’élevage, de conditionnement et de transformation (Cayo, 2005; Gerson, 2013;

Amir, 2014; Folie-Boivin, 2015; Lamontagne, 2015a).

C’est ainsi que plusieurs de ces producteurs demandent, au Québec comme ailleurs au Canada, d’avoir la possibilité d’augmenter le volume de production sans quota afin de permettre à une telle production de se développer et de combler la demande sur des marchés spécifiques. Un tel assouplissement faisait d’ailleurs partie des propositions de divers acteurs5 dans leurs mémoires déposés auprès de la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois, proposition reprise d’ailleurs dans le rapport final (CAAAQ, 2008).

Au Québec, les pressions se sont intensifiées au cours de la dernière année avec l’Union paysanne (Union Paysanne, 2014), la Coopérative La Mauve (Legendre, 2015) et la Coopérative pour une agriculture de proximité écologique (CAPÉ) (Ménard, 2015) qui ont chacune entrepris des démarches afin de demander une augmentation de la quantité de poulets et d’œufs qu’il est possible de produire sans quota et de rendre plus flexible les règles de mise en marché afin d’étendre la commercialisation à des lieux de vente extérieurs à la ferme : paniers d’agriculture soutenue par la communauté (ASC), marchés publics, marchés de solidarité, etc. Leurs demandes s’appuient, d’une part, sur les arguments évoqués précédemment et, d’autre part, sur le constat que les volumes de

5 En particulier le mémoire déposé par le réseau des jeunes maraîchers écologiques.

3 production autorisés sans quota dans les autres provinces canadiennes sont généralement plus élevés (voir chapitre 3).

Devant ces pressions croissantes pour une augmentation de la production sans quota dans les secteurs sous gestion de l’offre, il semble utile de s’intéresser au portrait actuel de la production sans quota au Québec, à l’impact potentiel de son augmentation sur la gestion de l’offre et sur les entreprises qui en profiteraient, ainsi qu’aux disparités entre les provinces canadiennes quant aux volumes autorisés sans quota. C’est l’objet de cette recherche.

Objectifs et plan du rapport

Compte tenu des connaissances encore limitées sur la production sans quota au Québec, sur ses effets et sur les disparités de réglementations entre les provinces canadiennes, notre recherche a pour objectifs de :

1. Réaliser une analyse comparative des parties prenantes, de la réglementation et des législations entourant les secteurs sous gestion de l’offre dans les différentes provinces canadiennes afin de saisir les dynamiques qui entrent en jeu dans les décisions prises par rapport à l’encadrement de la production et la mise en marché de ces produits. Nous avons plus particulièrement analysé les cas de l’Alberta, de la Colombie-Britannique, de l’Ontario et du Québec, qui offrent une variété de situations illustrant les différences entre provinces. Cette analyse a permis également de mieux comprendre les contraintes réglementaires actuelles qui affectent la capacité de producteurs à petite échelle de commercialiser un produit de spécialité (règles d’hygiène et salubrité, infrastructures d’abattage et transformation, procédures de classement et mirage, etc.).

2. Comprendre l’état actuel de la production sans quota au Québec afin d’analyser la situation (volumes mis en marché, revenus générés, portrait des exploitants se prévalant de volumes sans quota, canaux de mise en marché empruntés, répartition géographique, etc.) et d’identifier les besoins des producteurs concernés, les enjeux perçus quant à la commercialisation d’une production sans quota ainsi que leur vision quant à sa possible augmentation, et ce, dans les secteurs de la volaille, des œufs et du lait.

3. Étudier, à l’échelle des exploitations agricoles, la rentabilité d’une production sans quota pour les œufs de consommation, les poulets et le lait, selon divers scénarios de volumes autorisés.

4. Discuter des retombées économiques et des impacts potentiels d’une modification des volumes autorisés sans quota, ainsi que sur le système de gestion de l’offre au Québec dans les secteurs de la volaille, des œufs de consommation et du lait.

5. Sur la base des normes en vigueur, identifier les dangers potentiels liés à un accroissement de la production sans quota et déterminer les profils de risques pour la santé humaine qui y sont reliés. Nous avons repris ici la définition de l’OMS et de la FAO concernant les profils de risques :

« une description de la situation, du produit ou de la denrée concernée, de l’information sur les voies par lesquelles les consommateurs sont exposés au danger en question; des risques possibles liés à cette exposition; des perceptions des risques par les consommateurs et de la répartition des risques possibles parmi les différents segments de la population » (FAO/OMS, 2007, p.22). Une

4 analyse concernant les risques relatifs à la biosécurité a également été conduite sur la base d’une revue de la littérature.

Après avoir rappelé le fonctionnement et les enjeux de la gestion de l’offre et de la mise en marché collective au Canada (chapitre 2), nous examinons dans les chapitres 3 et 4 quels sont les enjeux de la production sans quota dans le pays pour l’approvisionnement en circuits courts. Afin d’illustrer ces enjeux, nous détaillons et comparons la situation dans quatre provinces : l’Alberta, la Colombie-Britannique, l’Ontario et le Québec.

La suite du rapport (chapitres 5 à 8) est consacrée à l’étude des conséquences possibles d’un accroissement des plafonds autorisés pour produire sans quota au Québec pour la volaille, les œufs de consommation et le lait. Nous examinons d’abord quelle est la situation au Québec dans les productions sous gestion de l’offre, avant d’analyser les attentes des différentes parties prenantes concernées, ainsi que celles des producteurs commercialisant en circuits courts (chapitre 5). Afin d’étudier la rentabilité de ces productions, lorsqu’elles sont réalisées à petite échelle, nous étudions divers scénarios de production selon les volumes autorisés et les prix de vente pratiqués (chapitre 6).

Nous analysons ensuite les questions relatives aux risques sanitaires et à la biosécurité afin de déterminer si des risques spécifiques sont attachés à une éventuelle augmentation des plafonds permis pour la production sans quota (chapitre 7), avant de discuter des conclusions transversales que nous pouvons tirer de cette recherche (chapitre 8).

Méthodologie

Outre une revue de la littérature concernant la gestion de l’offre, la production sans quota et les circuits courts, notre recherche repose sur le plan méthodologique sur deux sources complémentaires d’information :

- Des entretiens semi-dirigés auprès de différents acteurs importants (offices de commercialisation, organisations de producteurs, ministères chargés des questions de salubrité des aliments, etc.) dans quatre provinces canadiennes (Alberta, Colombie-Britannique, Ontario, Québec). Ces entretiens ont été complétés par divers échanges de courriels avec des acteurs dans toutes les provinces pour compléter ou valider les informations recueillies.

- Un questionnaire en ligne adressé aux agriculteurs québécois commercialisant en circuits de proximité6. Pour l’essentiel, c’est sur la base de ce questionnaire (et des entretiens que nous avons eus avec les fédérations concernées) que nous avons tenté de tracer un portrait de la production et de la mise en marché sans quota au Québec aujourd’hui. Ce questionnaire a également permis d’identifier les freins et les potentiels de développement dans l’hypothèse d’une augmentation de la production sans quota. Le choix de la population d’enquête, soit les producteurs commercialisant déjà en circuits courts, repose sur l’hypothèse que ces

6Le questionnaire a été approuvé par le Comité d’éthique de la recherche de l’Université Laval : n°

d’approbation 2016-184 / 20-07-2016. Il est présenté plus en détail dans la section 5.3.

5 producteurs seraient les principaux intéressés à un accroissement de la production sans quota, dans la mesure où seule la transformation à la ferme et la commercialisation en circuits courts rendrait cette production économiquement intéressante du fait de la faiblesse des volumes autorisés. Nous discutons plus loin des limites de cette hypothèse.

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2. La gestion de l’offre et la mise en marché collective