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Les relations Homme-Nature ont fasciné de tous temps les chercheurs des sciences humaines et des sciences biologiques. Des débats intenses, qui sont loin d’être clos, ont notamment concerné l’impact des aires protégées d’Afrique orientale et australe, et de la faune qu’elles hébergent, sur les conditions de vie des populations qui vivent dans, ou en périphérie de ces zones protégées. D’un point de vue écologique, le débat oppose ceux qui affirment que le bétail est en compétition directe avec la faune pour l’accès aux ressources fourragères (Prins, 2000), et ceux qui nuancent ce propos, certains auteurs suggérant que bétail et faune interagissent par une combinaison complexe de compétition/facilitation en fonction de la saison et de l’abondance des ressources (Odadi, 2011) et des espèces considérées (Young et al., 2005). Certains auteurs suggèrent que le pastoralisme est responsable des faibles densités de faune rencontrées à l’heure actuelle en Afrique de l’Ouest (Jewel, 1980)et qu’il entrainera

à terme l’extinction de la faune sauvage d’Afrique de l’Est (Prins, 1992). D’autres auteurs remettent en question la réalité même d’une dégradation de l’environnement due au pastoralisme qui affecterait négativement la faune (Homewood and Rodgers, 1984).

Les écologues, et notamment les biologistes de l’évolution, ont été particulièrement lents à s’intéresser aux problèmes du monde réel (Read and Clark, 2006), et la question épineuse de l’importance de la compétition faune-bétail dans les écosystèmes de savane en est un exemple ((Butt and Turner, 2012), mais voir (A01. Fritz et al., 1996;du Toit et al., 2004;du Toit, 2011)). Il est urgent d’améliorer l’efficacité des modes de gestion des grands herbivores sauvages car ils ont des impacts considérables sur l’état socio-économique et sanitaire, et sur la conservation à une échelle planétaire (Gordon et al., 2004). Pourtant, le fait est que dans la plupart des régions tropicales en voie de développement, le futur n’est pas reluisant pour la grande faune, qui est encore souvent perçue comme un compétiteur direct du bétail pour la production primaire, et/ou comme un réservoir de maladies (Gordon, 2009). De plus, les pandémies de maladies infectieuses émergentes qui ont affecté la planète au cours des deux dernières décennies, ont suscité une inquiétude de la part des acteurs de la santé animale et humaine, et d’une partie du grand public par rapport au rôle épidémiologique de la faune sauvage (Decker et al., 2010). Les animaux, notamment sauvages, ont été identifiés comme une source majeure de nouveaux pathogènes pour l’Homme (Bengis et al., 2004b), et les zones d’interface faune-bétail en zone tropicale feraient partie des « points chauds » de la planète où la probabilité d’émergence de nouveaux pathogènes humains serait la plus élevée (Jones et al., 2008).

Malgré l’intérêt ancien des chercheurs, et les efforts plus récents des gestionnaires de l’environnement et du développement, au cours des dernières décennies, peu de solutions techniques ou institutionnelles ont été mises en place avec succès afin de permettre la coexistence de la grande faune africaine avec les activités humaines, notamment pastorales (Du Toit and Cumming, 1999;du Toit, 2011). Pourtant, il existe de multiples raisons, environnementales, sanitaires et socio-économiques pour lesquelles la gestion des interfaces faune-bétail en zones de savanes africaines devrait recevoir une attention particulière de la part des chercheurs, afin de proposer des solutions de gestion permettant la coexistence. L’Afrique est le continent qui héberge la plus grande diversité d’ongulés natifs (Bourliere and Hadley, 1970). Mais cette biodiversité est fortement menacée. Sur les 77 espèces de la famille des bovidés (ordre Artiodactyles) natifs d’Afrique subsaharienne recensées dans la liste de l’IUCN, 49 sont considérées comme en déclin (3 seulement ont des populations en expansion), et 20 espèces sont considérés comme vulnérables ou menacées (UICN, 2013). Les principales menaces sont représentées par les activités humaines, telles que la chasse et autres prélèvements directs d’animaux, ou de manière indirecte par la destruction d’habitats naturels, souvent détruits au profit de terres agricoles. Il existe d’importantes variations entre les sous-régions d’Afrique considérées (Craigie et al., 2010), mais ce déclin de la grande faune est également perceptible en Afrique australe depuis une quinzaine d’années (Cumming, 2004), et se serait accéléré au cours des dernières années (Craigie et al., 2010). Avec un taux d’accroissement de la population de l’ordre de

2%, et malgré une émigration importante des zones rurales vers les villes (Anonymous, 2012a), la croissance démographique en Afrique subsaharienne au cours des dernières décennies s’est traduite par une colonisation de nouveaux espaces pour les activités agricoles, souvent au détriment des espaces autrefois dédiés à la faune. Le mode de vie des populations agro-pastorale qui vivent en périphérie des aires protégées, d’où ils ont souvent été déplacés, dépend en partie de l’extraction de ressources naturelles de ces espaces, y compris les ressources fourragères. Cependant, loin du mythe d’une Nature vierge entretenu par les brochures touristiques, ces écosystèmes de savane ont été façonnés par l’Homme depuis des millénaires (Bourliere and Hadley, 1970). Les interactions entre la faune et le bétail en zone de savane d’Afrique subsaharienne ne sont pas non plus un fait totalement nouveau. On estime que la diffusion des bovins domestiques a commencé il y a plus de 6 000 ans depuis le Sahel, pour atteindre l’Afrique Australe il y a plus de 2 000 ans (Du Toit and Cumming, 1999).

Les écosystèmes de savane en zone d’interfaces sauvage/domestique en Afrique subsaharienne offrent ainsi des situations privilégiées pour analyser et essayer de comprendre les mécanismes qui gouvernent la transmission interspécifique des pathogènes dans des systèmes complexes. A partir d’exemples issus des travaux auxquels j’ai participé, j’analyse dans les paragraphes qui suivent les conséquences, notamment sanitaires, des interactions faune-bétail en me focalisant essentiellement sur les zones de savane d’Afrique australe. J’envisage ensuite successivement les déterminants écologiques (e.g. compétition pour les ressources, mobilité), et anthropiques (e.g. pratiques d’élevage et de conservation, perceptions des risques et opportunités associés aux interfaces), avant de conclure par une approche fonctionnelle de la transmission de maladies dans les interfaces faune-bétail, qui propose une synthèse de ces différentes approches.