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Introduction de morceaux, développement masticatoire et autonomie alimentaire

autonomie alimentaire

Commençons par aborder le développement des capacités alimentaires remises dans le contexte du développement global du bébé lors des 3 premières années de vie (cf Tableau 1

tiré de Ramsay, 2001, ci-dessous).

Tableau 1 : Capacités alimentaires et autres capacités développementales selon l’âge du bébé (tableau tiré de Ramsay, 2001).

On constate qu‟avant 1 an, le bébé s‟alimente exclusivement de nourriture liquide, tète, suce et mord, gazouille et babille, et apprend à se tenir assis. Ensuite, entre 1 an et 3 ans, le bébé va développer toutes les compétences qui vont le faire devenir un « petit homme » de par son acquisition de la mastication, conjuguée avec la capacité à se nourrir seul à la cuillère, à marcher et à parler.

Il est intéressant de noter que d‟autres auteurs comme Stevenson (1991) font à peu près la même distinction entre les 12-18 mois et les 18-24 mois, accentuant ainsi la période des 18 mois comme étant une phase charnière dans le développement des capacités masticatoires et d‟avalement. Autour de 18 mois, alors que le bébé acquiert son autonomie alimentaire (mange seul avec cuillère ou fourchette) et se rapproche du régime adulte, se fait le passage vers des habilités oro-motrices quasi matures.

Concernant le développement de l‟autonomie du bébé, il semblerait qu‟un retard au niveau du développement moteur grossier, fin ou oro-moteur puisse avoir un impact négatif sur l‟apprentissage de l‟autonomie alimentaire (Carruth & Skinner 2002).

En conclusion de ces informations développementales, nous nous attendons à ce que les bébés entre 1 et 2 ans manifestent des comportements très différents au niveau alimentaire et que cela aura une influence sur leurs interactions avec leurs parents. Nous aurons l‟occasion de vérifier cela lors de nos analyses de repas filmés.

On peut même penser que l‟introduction de morceaux de texture ou de taille différente constitue une étape importante durant cette période de la vie du bébé car manger des morceaux de plus en plus durs c‟est se rapprocher d‟une alimentation d‟adulte. Ici se jouent beaucoup de choses autour du désir d‟autonomie du bébé que nous aborderons plus tard dans cette revue théorique. Manger comme l‟adulte c‟est bien sûr manger la même nourriture, être capable de mâcher les mêmes textures et associer les mêmes saveurs, mais c‟est aussi et surtout interagir différemment que le « simple » rituel alimentaire d‟avec la mère. C‟est ce que suggèrent les connaissances sur l‟introduction de textures et de tailles diverses dans l‟alimentation du bébé. Beaucoup de changements, d‟apprentissages, tant gustatifs, alimentaires, physiologiques que sociaux sont à l‟œuvre durant cette période des 3 premières années de vie du bébé.

D‟après des études antérieures, nous savons qu‟il y a une grande variabilité dans l‟âge d‟introduction des morceaux dans l‟alimentation des bébés (avant 6 mois jusqu‟à après 10 mois, Northstone et al. 2001). Certains auteurs ont observé qu‟une introduction tardive (après 9 mois) d‟une alimentation solide avec morceaux pourrait être à l‟origine de difficultés alimentaires ultérieures (Northstone et al. 2001). D‟après cette étude, dans la population générale anglaise, pour 70% des bébés, les morceaux sont introduits pour la première fois entre 6 et 9 mois. D‟après Bocquet et al. (2003), en France, le bébé peut commencer à manger des morceaux de légumes, fruits, fromage entre 9 et 12 mois. Nous voyons déjà que les recommandations et les pratiques sont diverses selon les pays.

Selon certaines études, les bébés préfèrent une texture molle et facile à manipuler en bouche plutôt que la texture plus difficile à mâcher mais il n‟y a pas une très grande variabilité entre les bébés. Les données suggèrent que les bébés qui ont expérimenté différentes textures et différents aliments acceptent les textures les plus complexes plus facilement. Et l‟acceptation de textures complexes va de pair avec d‟autres comportements alimentaires. Cela souligne l‟importance de donner aux bébés des opportunités étendues de tester différentes textures comme c‟est également le cas pour saveurs et odeurs. Ceci peut faciliter la transition d‟un régime exclusivement liquide à un régime alimentaire adulte (Blossfeld et al. 2007).

Dans notre étude nous ferons tester différentes tailles de morceaux d‟aliments à des enfants de 12 à 24 mois, quelle que soit leur expérience au préalable avec des morceaux. Trois types d‟aliments, aux textures, formes et tailles différentes seront présentés à trois groupes d‟enfants. Nous pensons que les aliments de texture plus dure et de taille plus élevée seront davantage problématiques pour les enfants et que cela s‟illustrera non seulement par des comportements de refus et/ou de difficulté, mais aussi par une modification de la qualité de

De plus, comme Arvedson (2006) l‟expose que le développement de comportements alimentaires indépendants et socialement adaptés commence dès la naissance et se complète tout au long des premières années de l‟enfance. Les capacités orales sensorimotrices progressent donc avec le développement neurologique général, l‟acquisition du contrôle musculaire incluant la posture et le tonus, les capacités psychosociales, la cognition et le langage. Afin d‟accompagner au mieux le développement des habilités masticatoires du jeune enfant, nous souhaitons donc étudier ici le lien entre les propriétés des aliments (ici la taille) et le développement oro-moteur mais aussi le développement psychomoteur global des bébés (dans notre étude, développement général typique, normal).

Très peu d‟études ont été conduites à propos de l‟acceptation de la texture et de tailles de morceaux dans l‟alimentation du bébé. Stevenson et al. (1991) relèvent à quel point le développement des capacités alimentaires est complexe, « influencé par de multiples facteurs anatomiques, neurophysiologiques, environnementaux, sociaux et culturels ». D‟un point de vue mécanique, certains auteurs (Archambault et al. 1990, Green et al. 1997 and Gisel et al. 1988) ont investigué l‟activité cérébrale, l‟activation musculaire et les cycles de mastication chez le bébé. Archambault et al. (1990) ont montré par exemple que les structures neuronales du cerveau qui dirigent la fonction oromotrice est « plastique » jusqu‟à l‟âge de 2 ans, ce qui implique que les deux premières années de vie sont une période sensible pour le développement oromoteur. Gisel (1988) considère qu‟une fois que le temps mis par le bébé pour mâcher un morceau de nourriture reste constant à travers un groupe d‟âge donné, la maturité pour cette texture spécifique est atteinte (pour la purée, la maturité semble être atteinte à 10 mois). Le même auteur a montré plus tard qu‟avec l‟âge, il y a une augmentation de l‟efficacité alimentaire et une diminution de la durée de mastication ainsi qu‟une augmentation de la durée de mastication pour les aliments à textures les plus dures (Gisel, 1991). Notre étude, inspirée de ces résultats, explore les effets de l‟âge et de la taille de morceaux d‟aliments sur l‟acceptation et la mastication de morceaux par des bébés âgés de 12 à 24 mois. Nous choisissons de suivre une démarche moins mécanique qu‟Archambault et al. (1990) ou Green et al. (1997) qui ont étudié l‟activité musculaire et cérébrale, et nous nous focaliserons sur l‟observation de comportements signifiants à quel point les bébés sont à l‟aise pour mastiquer et avaler des morceaux d‟aliments de tailles données.

Il est important de noter que le moment auquel les mères vont introduire des textures d‟aliments plus dures dans l‟alimentation de leur enfant est lié au comportement alimentaire ultérieur de ce dernier. Northstone et al. (2001) et Coulthard et al. (2009) ont pu observer que les bébés qui se sont vus proposer des aliments « grumeleux » après leur neuvième mois avaient souvent des difficultés alimentaires plus tard. Malheureusement, il n‟est pas clair si cette introduction tardive de nouvelle texture a causé les difficultés ultérieures ou au contraire si ce sont des difficultés préexistantes qui ont causé un retard de l‟introduction. L‟inter-variabilité élevée en termes d‟acceptation de textures d‟aliments comme le montre Blossfeld et al. (2007) suggère davantage d‟investigation sur ce sujet. Ici notre intérêt sera de comparer la confiance du bébé à tester une nouvelle taille de morceau d‟aliment avec sa capacité réelle à la mastiquer, faisant ainsi extension de la notion de « willingness to try new food pieces »16 décrite comme étant un facteur positif lié à l‟acceptation de carottes hachées (Blossfeld et al. 2007).

Conclusion du chapitre 2: Le petit d‟Homme, bien qu‟il naisse avec toute une batterie de capacités sensorielles, va acquérir durant ses premières années de vie une expertise alimentaire grâce à la combinaison d‟apprentissages sensoriels, sociaux et psychologiques. En combinant 3 études de disciplines complémentaires (socio-anthropologique, développementale et psychologie clinique), notre étude tentera de donner des informations sur la manière dont ces divers apprentissages s‟articulent autour de l‟alimentation du bébé.

Le bébé, depuis sa naissance, et durant tout son apprentissage alimentaire, est accompagné par sa mère. Notre prochain chapitre développera l‟aspect interactionnel de l‟alimentation du bébé.

Chapitre 3 : L’alimentation au cœur des interactions mère-enfant

Comment doit-on appréhender les interactions alimentaires mère-enfant ? La scène alimentaire se produit quotidiennement, au moins toutes les 4h après la naissance du bébé lors de l‟allaitement, puis 3 ou 4 fois par jour lorsque le bébé se calque sur le rythme alimentaire adulte. L‟alimentation est donc un cadre particulièrement privilégié pour observer les interactions entre la mère et son enfant. Il nous semble logique par ailleurs de resituer le contexte théorique des interactions précoces globales mère-enfant avant d‟entreprendre l‟étude des interactions à proprement alimentaires.