comme à plaisir sa foi dans les conditions essentielles de la
pro-duction, de l’échange, de la répartition et de la consommation
des biens de ce monde ?
M. Gide lui-même donne, quelquefois, des lois économiques
une idée troublante pour de jeunes cerveaux. Quand on dénonce
comme erronée cette prétendue loi de Ricardo sur la rente
fon-cière, que nous voyons nettement démentie par la dépréciation
actuelle des terres, M. Gide proteste et dit : “ Cette loi a été
con-firmée par les faits pendant soixante-quinze ans et a été
démen-tie pendant vingt-cinq ans. ” Sans doute ; mais c’est justement
pour cela que lui manque ce caractère de constance et de
néces-sité auquel se reconnaissent les vraies lois, économiques ou
autres.
Nous aurions donc personnellement quelques réserves à faire sur
l’esprit de l’ouvrage. Mais, cela dit, nous avons hâte de rendre
hommage à la science, à l’érudition, au talent qui font de
l’Histoire des doctrines économiques de MM. Gide et Rist un
traité aussi agréable à lire qu’instructif et suggestif. Il deviendra
vite classique. On sait combien M. Gide excelle à pénétrer et à
discuter la pensée d’autrui. Il a, plus que qui que ce soit, l’art
des nuances et le don de l’analyse. Avec un peu moins de
sou-plesse peut-être, les qualités de son collaborateur promettent
aussi à l’école française un maître, dans toute l’acception du
mot.
De leur œuvre commune on pourrait extraire bien des pages
aussi lumineuses qu’originales. Bornons-nous à citer les
der-nières lignes de leurs conclusions :
“ Si un enseignement se dégage, disent-ils en finissant, de
l’Histoire des Doctrines, c’est la nécessité d’un esprit critique
qui, restant toujours en éveil, ne cessant jamais de contrôler et
d’accueillir avec bienveillance les observations et les
expé-riences nouvelles, permette d’élargir et d’approfondir sans
re-lâche le domaine de la science économique. ”
On ne peut mieux dire. Souhaitons seulement que parmi les
nouveautés qui s’offrent à lui, l’esprit critique auquel on fait ici
appel sache bien distinguer ce qui est réalité de ce qui n’est
qu’apparence et mirage. Séance du 20 novembre 1909.
_______
IX. Henri HAUSER in Revue historique, 1910,
p. 157-168.
La Revue historique ne peut parler aussi longuement qu’il
con-viendrait d’un ouvrage de ce genre. Elle doit dire en quoi ce gros
volume diffère profondément (et heureusement) des manuels
ordinaires, en quoi il intéresse les historiens. Les auteurs
remar-quent eux-mêmes, dans leur préface, que “ l’histoire
écono-mique proprement dite, nous voulons dire l’histoire des
institu-tions et des faits, ne possède pas une seule chaire dans nos
Uni-versités ” ; et, tout en protestant contre une réduction excessive
de l’histoire des idées à celle des faits (p. VII), ils ne séparent
jamais le “ milieu économique ” de l’“ économiste ” lui-même.
Tout au plus peut-on noter, à cet égard, une différence d’accent
entre les chapitres rédigés par M. Gide et ceux qui sont dus à M.
Rist. Si les chapitres sur Sismondi, sur List, sur Proudhon
regor-gent d’histoire, il semble ailleurs qu’on ait mis une certaine
co-quetterie à ne pas laisser les faits prendre trop de place dans la
genèse des doctrines. C’est ainsi que la physiocratie, surtout la
politique économique des physiocrates, doit beaucoup plus
qu’on ne le dit ici à l’économie objective du XVIIIe siècle,
no-tamment à l’expérience du Bureau du commerce. De même, la
théorie de Ricardo s’applique à une Angleterre protectionniste et
à une époque de frets élevés. — Malgré tout, l’esprit “
écono-miste ” se trahit donc dans ce livre : les auteurs semblent
ad-mettre que les hommes ont toujours obéi au principe de
l’économie de l’effort. Hélas ! la nature humaine est plus
com-plexe, et le problème de l’histoire économique est moins un pur
problème de mécanique sociale qu’un problème de psychologie
collective. Ce qui a déterminé les hommes à chaque époque,
c’est non la conception des fins les plus désirables et des
moyens les plus avantageux en soi, mais la conception des fins
et moyens qui étaient considérés comme tels. — Au reste, on ne
peut analyser un livre semblable. On ne peut qu’en conseiller la
lecture et surtout la consultation familière. Les auteurs ont
trou-vé le secret, en pareille matière et en conservant le cadre d’un
manuel, de n’être pas ennuyeux. Ce gros ouvrage n’est jamais
lourd, il est spirituel souvent, émouvant parfois et toujours d’une
limpide clarté, même lorsqu’il traite du marxisme ou de la
théo-rie de la rente. — Je m’étonne de lire, p. 149, que du temps de
Malthus on ne parlait guère encore de l’avortement ni des
amours unisexuels. — Il est dit, p. 177, n. 1, que les machines
agricoles “ n’augmentent pas le rendement ”, mais seulement
“ diminuent le travail ”. Une charrue perfectionnée, une semeuse
augmentent le rendement. — P. 182, argument en faveur des
pessimistes : la terre “ ne contient pas un atome de phosphate ou
d’azote de plus qu’aux temps druidiques ”. Que devient cet
ar-gument en présence de la production industrielle de l’azote ? —
Sur la loi Le Chapelier (de 1791 et non 1792, comme il est écrit
p. 268, n. 2), on ne tient pas compte des raisons de circonstance
mises en lumière par M. Germain Martin. — Sur la formation
des idées de Sismondi, noter l’influence des études qu’il avait
consacrées aux républiques italiennes, à l’opposition du popolo
crasso et du popolo minuto.
_______
X. L. HAVENITH in Revue économique
internationale, 1910, p. 631-632.
C’est un beau livre que l’Histoire des doctrines économiques
Dans le document
LE JUGEMENT DES PAIRS, Gide et Rist analysés par les revues, 1909-1916
(Page 128-131)