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Les interprétations de la première décennie de l’indépendance et de la crise de 1972

CHAPITRE 3 : EXPOSÉ ET CONFRONTATION DES PRINCIPALES

2- Les interprétations de la première décennie de l’indépendance et de la crise de 1972

Les analyses qui viennent d’être présentées illustrent les divergences existantes sur l’histoire précoloniale du Burundi et les transformations des relations sociales provoquées par l’administration belge. Il faut à présent nous intéresser à ce qui fera l’objet de notre étude de presse : la crise de 1972. De nouveau, nous chercherons à présenter différentes analyses de la crise et à savoir à quelles conceptions historiques des relations sociales ou ethniques au Burundi elles se rattachent. Ce travail permettra ensuite d’appréhender le traitement de la crise par la presse et de comprendre le type d’analyses que les journalistes développent, la nature des références qu’ils utilisent, et le degré de scientificité des conceptions qu’ils convoquent pour expliquer l’événement. Nous tenterons également de mettre en évidence les enjeux internationaux de la crise qui, à la différence du génocide au Rwanda, se situe en pleine période de guerre froide et de division du monde en deux blocs antagonistes, opposés en théorie sur le plan de l’idéologie et de l’organisation sociale. Nous verrons dans quelle mesure cette situation internationale implique, ou non, une grille de lecture particulière des événements. Puis, après avoir étudié l’analyse de plusieurs universitaires, nous nous intéresserons aux télégrammes confidentiels envoyés, durant le mois de mai 1972, par l’ambassade américaine de Bujumbura au département d’État à Washington. Ceux-ci nous semblent revêtir un intérêt particulier dans la mesure où il ne s’agit pas de textes publics, mais d’une tentative de transmettre en temps réel les informations les plus complètes possibles et les analyses de l’ambassade américaine. Dans le cadre de l’analyse du contexte international de la crise de 1972 en particulier, l’étude de ces télégrammes de l’ambassade des États-Unis, première puissance mondiale et premier pays du bloc occidental durant la guerre froide, peut apporter des éléments de réflexion utiles.

2-1- Le « génocide sélectif » de l’élite hutu. L’analyse de René Lemarchand

Dans un premier temps, il faut examiner l’analyse d’un universitaire qui figure parmi les principaux spécialistes du Burundi : René Lemarchand. Celui-ci expose dans un texte intitulé Génocide sélectif au Burundi40 et publié en commun avec David Martin en 1974, son interprétation de la crise de 1972. Au préalable, il revient brièvement sur les structures sociales du Burundi avant l’arrivée des Européens, afin de réfuter les poncifs de l’histoire burundaise forgés et diffusés à l’époque coloniale. Sans revenir en détail sur cet aspect qui faisait l’objet de la première partie de ce chapitre, il semble utile de résumer en quelques phrases les conceptions historiques de René Lemarchand en ce qui concerne les relations entre Hutu et Tutsi.

René Lemarchand s’oppose à l’image d’un Burundi précolonial dont le clivage principal serait de nature ethnique et opposerait la minorité tutsi à la majorité hutu. Tout d’abord, il démontre l’absence de cohésion au sein de chaque groupe « ethnique ». Il souligne les divisions très importantes au sein même du groupe tutsi, par exemple entre les Hima qui seraient arrivés au Burundi vers le XVIIe ou le XVIIIe siècle, et les Banyaruguru qui seraient arrivés deux à trois cent ans plus tôt. La famille royale serait issue de ce dernier groupe, et des interdits sociaux s’opposaient selon R. Lemarchand au mariage entre une femme hima et les familles banyaruguru les plus proches du pouvoir

40 René Lemarchand, David Martin, 1974 , Génocide sélectif au Burundi, Minority Rights Group, report

royal. D’autre part, l’auteur insiste sur l’importance de la hiérarchie des lignages, qui se montre parfois bien plus déterminante que l’appartenance ethnique. Selon lui, « il arrive

que l’appartenance à des échelons sociaux différents à l’intérieur même de l’ethnie tutsi soit plus perceptible et socialement plus importante que les différences entre Tutsi et Hutu. Cette multiplicité de « paliers sociaux » à l’intérieur de la même ethnie, a été génératrice de multiples conflits entre clans, familles et lignées » 41.

Enfin, à l’instar de J. Gahama, J.-P. Chrétien ou d’autres historiens du Burundi, R. Lemarchand rappelle qu’à l’époque précoloniale le pouvoir était exercé par un groupe particulier, celui des princes du sang appelés Baganwa, eux-mêmes divisés en lignées rivales, et qui n’étaient ni Hutu ni Tutsi. Par contre, avant la conquête coloniale, les fonctions subalternes étaient exercées autant par des Hutu que par des Tutsi. Ayant rappelé ces quelques éléments de l’histoire burundaise qui contredisent la vision d’une opposition multiséculaire entre Hutu et Tutsi, R. Lemarchand conclut : « Voir dans la

saignée du printemps 1972 la preuve d’une « manifestation extrême du vieux problème tribal africain », c’est travestir les faits et fausser les données de l’histoire (...). Au Burundi comme ailleurs, les problèmes tribaux sont indissociables des transformations introduites sous l’égide du colonisateur » 42. Le rôle joué par l’administration coloniale

dans la surimposition de l’identité ethnique est décrit comme essentiel, car en

« réduisant l’identité des individus à une dimension essentiellement ethnique (...), une nouvelle société prend forme entre les mains du colonisateur ; une société de castes pratiquement calquée sur celle du Rwanda » 43.

Après ce bref rappel historique, René Lemarchand entame l’analyse de la crise de 1972. Il tente d’abord de cerner les dimensions du conflit et la nature des différents clivages qui divisent la société burundaise depuis la fin des années 1950. Selon lui, c’est à la faveur de l’introduction du vote en 1956 que les multiples oppositions latentes dans la société auraient commencé à se cristalliser ; des oppositions liées aux clivages traditionnels et qui opposaient Bezi et Batare au sein de l’aristocratie ganwa, mais aussi des oppositions politiques entre partisans de la monarchie et républicains. Ces différentes lignes de clivage, que R. Lemarchand qualifie de « traditionnelles », auraient jusqu’au début des années 1960 « joué le rôle de brise-lames, freinant la mobilisation

des ethnies, ou la canalisant au profit de l’une ou l’autre des factions princières ».

Tandis que l’idée selon laquelle l’appartenance ethnique constituait dès avant la colonisation un axe de mobilisation et de clivage essentiel est très souvent défendue, notamment dans la presse de l’époque, René Lemarchand adopte une position qui la contredit radicalement. Selon lui, non seulement le clivage ethnique ne constitue pas une forme de division ancienne, mais il n’a pu s’imposer qu’en sortant du cadre politique traditionnel. Il écrit ainsi : « Contrairement à ce qui s’est passé au Rwanda en

1959-60, où rien n’entravait la montée des antagonismes ethniques (...), au Burundi ces antagonismes ne pouvaient s’exprimer ouvertement qu’en franchissant les frontières du champ politique traditionnel » 44.

La politique coloniale a donc beaucoup contribué à faire du clivage ethnique le principal axe de division et de mobilisation politique dans la société burundaise. Les différents auteurs étudiés s’accordent sur ce constat, même s’ils divergent sur

41 ibid., p. 5. 42 ibid., p. 7. 43 ibid., p. 8. 44 ibid..

l’existence et l’importance des oppositions ethniques avant la période coloniale. D’autre part, l’exemple du Rwanda joua également un rôle important dans le durcissement des antagonismes entre Hutu et Tutsi. L’influence de l’exemple rwandais s’explique sur le plan historique, dans la mesure où « le colonisateur belge avait déjà modelé la société

du Burundi à l’image de celle du Rwanda ». Ainsi, les événements de 1959 au Rwanda,

qui portèrent au pouvoir des représentants de l’élite hutu, ont eu pour effet de susciter l’espoir chez les Hutu du Burundi et d’alimenter la crainte des Tutsi de se voir renversés par une tourmente du même type. Dès lors, la peur des uns et le sentiment d’oppression des autres favorisent la montée de l’antagonisme ethnique, ce qui fait dire à René Lemarchand qu’en « un sens, c’est à travers une sorte de prophétie autoréalisante que

se développe la dynamique du conflit Hutu-Tutsi à partir de 1960 » 45. La capacité

d’une reconstruction idéologique du passé, réappropriée par les élites burundaises et matérialisée par la « révolution sociale » au Rwanda, à exercer une influence décisive sur la réalité politique, se trouve ici nettement affirmée par René Lemarchand.

Voyons à présent quelles furent les principales étapes de la crise burundaise et de l’évolution de la nature des clivages politiques depuis la fin des années 1950. Dans le développement de la crise qui aboutit aux massacres de 1972, René Lemarchand distingue quatre phases successives. La première, de 1957 à 1961 soit les années qui précédèrent l’indépendance du Burundi, fut dominée par les luttes internes à l’aristocratie ganwa, opposant Bezi et Batare. Il s’agissait donc de la continuation des rivalités princières traditionnelles bien que celles-ci aient pris, à partir de cette période, l’aspect d’une lutte entre partis politiques modernes. L’UPRONA (Union pour le progrès national), dominée par les Bezi et dirigée par le fils aîné du mwami Mwambutsa, le prince Louis Rwagasore, se trouvait opposée au PDC (Parti démocrate- chrétien) dominé par les Batare. Les élections à l’Assemblée nationale de septembre 1961 donnèrent une victoire écrasante à l’UPRONA. Son dirigeant, Louis Rwagasore, devait alors être nommé premier ministre, mais il fut assassiné dès le mois suivant « par

un tueur à la solde des dirigeants du PDC ». Ces derniers furent en conséquence arrêtés

et condamnés à mort pour leur responsabilité dans l’assassinat, puis exécutés le 14 janvier 1962 à Gitega. À la suite de ces événements, les deux principaux partis se retrouvèrent privés de leurs dirigeants et considérablement affaiblis, ce qui permit à la Cour de reprendre en main le pouvoir.

La deuxième phase de la crise, entre 1961 et 1965, est marquée par la volonté de la Cour de consolider son pouvoir face à l’UPRONA. Mais la seconde caractéristique de cette période réside dans le développement de tensions internes à l’UPRONA, opposant le plus souvent des cadres tutsi à des cadres hutu. La Cour profite de ces tensions pour augmenter encore sa mainmise sur le pouvoir, au point que l’Assemblée nationale se trouve réduite à un rôle figuratif. Alors qu’aux élections de 1965 le parti Hutu remporte une large victoire, la Cour n’en tient aucun compte et nomme à la tête du gouvernement un membre célèbre de l’aristocratie ganwa.

Le mois suivant, des officiers Hutu de l’armée et de la gendarmerie fomentent un coup d’État et assassinent le premier ministre récemment nommé mais sont finalement mis en déroute. Cette première tentative avortée de coup d’État ouvre la troisième phase de la crise car, bien qu’elle se solde par un échec, elle entraîne d’importantes conséquences politiques. D’une part, la répression s’abat sur de

nombreux cadres hutu, militaires ou civils. D’autre part, le mwami Mwambutsa s’enfuit et se réfugie au Zaïre voisin. Dans cette situation où la mort du premier ministre, la fuite du roi et l’ébranlement de l’administration laissent le pouvoir vacant, « un groupe assez

disparate composé de militaires, de fonctionnaires et de « Jeunesses » la plupart d’origine Tutsi ou Hima » 46 devient le détenteur de fait de l’autorité. Ce groupe, à la

tête duquel se trouve le capitaine Micombero, choisit d’investir le fils cadet de Mwambutsa pour lui succéder, sous le nom de Ntare. Micombero est nommé premier ministre, mais c’est lui qui détient la réalité du pouvoir. Ntare se refusant malgré tout à n’être qu’un instrument entre les mains du groupe d’officiers dirigé par Micombero, il est renversé par un nouveau coup d’État quelques mois plus tard. Le 28 novembre 1966, alors que Ntare est en voyage au Zaïre, l’Armée le destitue et proclame la République.

René Lemarchand souligne que le premier gouvernement formé par Micombero fin 1966 consacre un certain partage du pouvoir. Cinq des treize postes ministériels sont confiés à des Hutu, tandis que les huit restants sont partagés entre Tutsi-Hima et Tutsi- Banyaruguru. De même, les origines régionales des ministres sont relativement diversifiées. Pourtant, les clivages régionaux vont peu à peu s’affirmer et le pouvoir être accaparé de façon croissante par des élites originaires de la province de Bururi, dont est issu le président Micombero. Les liens régionaux ne constituent toutefois pas l’unique source de tension au sein du pouvoir, également tiraillé par des rivalités d’ordre clanique et ethnique. Comme l’écrit R. Lemarchand, pour « s’accrocher au pouvoir

Micombero et ses conseillers doivent constamment manœuvrer à la lisière de l’ethnie, de la région et du clan »47. Ces trois axes de division prennent tour à tour le dessus,

atténuant pour un temps les deux autres.

Mais la situation s’avère plus complexe encore, avec la montée au sein du groupe au pouvoir d’un petit cercle de politiciens tutsi dont les chefs occupent des postes de premier plan au sein du gouvernement tels Arthémon Simbananiye, le ministre des Affaires étrangères, de la Coopération et du Plan. Selon R. Lemarchand, ces politiciens cherchent à obtenir le soutien de l’armée dans les querelles intestines qui divisent le pouvoir. Mais pour y parvenir, « l’Armée devait au préalable être « purgée »

de ses éléments « déviationnistes », autrement dit d’éléments hutu » 48. Dès 1966, des

mesures avaient été prises pour limiter l’accès des Hutu dans l’Armée, et la découverte d’un « complot » hutu dans la nuit du 16 au 17 septembre 1969 servit de prétexte à l’éviction voire à l’exécution des principaux officiers et hauts fonctionnaires hutu. Trente officiers et hauts fonctionnaires, deux ministres, le directeur de la Sabena à Bujumbura et des dizaines de soldats sont arrêtés, et la majorité seront par la suite exécutés. La répression du complot aboutit à ce que la plupart des postes importants se trouvent désormais occupés par des Tutsi. Cependant, nous l’avons signalé plus haut, les rivalités claniques et régionales au sein même du groupe tutsi demeurent fortes.

Suite à ces événements, l’emprise d’un petit cercle de politiciens au sein du pouvoir s’est encore accrue, d’autant qu’ils bénéficient à présent du soutien du chef d’État-major. Conjointement, ils parviennent à convaincre le capitaine Micombero qu’un groupe de personnalités d’origine banyaruguru - militaires, anciens ministres et hauts fonctionnaires - menacent son pouvoir. Celles-ci sont arrêtées et jugées le 14 janvier 1972, lors d’un procès que R. Lemarchand qualifie de véritable « parodie de

46 ibid., p. 15. 47 ibid., p. 16. 48 ibid., p. 17.

justice » et qui aboutit à neuf condamnations à mort et sept condamnations à la

détention à perpétuité. Les pressions internationales dénonçant un procès manifestement inéquitable conduisent finalement le gouvernement à renoncer aux exécutions, qui sont commuées en peines de prison à vie tandis que certains accusés sont relaxés. Toutefois, les tensions demeurent extrêmement vives. Le procès a mis en lumière les rivalités qui existent au sein du pouvoir entre Banyabururi et Banyaruguru. R. Lemarchand souligne en outre que cet événement a fait l’objet d’une forte médiatisation au moyen de la radio et de la presse, qui ont abondamment relayé les plaidoiries des différentes parties. Il ajoute que « les conséquences ne tardèrent pas à se faire sentir sur les collines. Des

factions et groupuscules rivaux surgirent du jour au lendemain dans de nombreuses localités. C’est dans ce climat hypertendu, saturé d’appréhensions de toutes sortes que le 29 avril, Micombero décide soudainement de destituer tous les membres de son cabinet » 49. Une rébellion éclate quelques heures après, suivie par une répression

impitoyable.

La rébellion éclate simultanément à Bujumbura et au sud du pays dans les provinces de Rumonge, Nyanza-Lac et Bururi. Les groupes d’assaillants sont formés de Hutu burundais dont la plupart semblent avoir lancé leur attaque depuis la Tanzanie, et sont appuyés par des rebelles zaïrois mulélistes issus de la province du Kivu. R. Lemarchand note que si la rébellion a remporté dans un premier temps quelques succès,

« c’est surtout grâce à la réceptivité du milieu ambiant (...) et non à la solidité de son appareil insurrectionnel » 50. En effet, au moment où la rébellion éclate, 25 000 réfugiés

d’origine zaïroise sont installés dans le sud du pays. Ces réfugiés sont essentiellement d’origine Babembe, une ethnie exclue de l’exercice du pouvoir au Kivu comme le sont les Hutu au Burundi ; de ce fait ils se montrent réceptifs aux griefs des rebelles à l’encontre du « lobby de Bururi ». L’organisation des rebelles, dont l’effectif ne dépasserait pas les 10 000 individus, s’avère extrêmement rudimentaire. Cela ne les empêche toutefois pas de se livrer à des massacres contre la population civile tutsi, hommes, femmes et enfants confondus. Ces tueries, qui visent également de manière systématique les fonctionnaires du régime, à Bururi notamment, auraient fait selon R. Lemarchand environ 2000 victimes. Dans un article plus récent, il fournit d’autres estimations, qui « varient entre 3 000 et 5 000 » 51.

Si les massacres commis par les rebelles furent terribles, la répression qui s’ensuivit prit un caractère féroce et systématique qui ne peut s’expliquer par la seule volonté d’écraser la rébellion. Ainsi, rien qu’à Bujumbura la répression fit au moins 4 000 victimes. Elle fut conduite par l’armée, mais R. Lemarchand estime à la suite d’un journaliste du New York Times que ce sont les brigades de la jeunesse du parti unique, les Jeunesses révolutionnaires Rwagasore (JRR), qui ont pris l’initiative des arrestations et des tueries arbitraires. Dans l’ensemble du pays, la répression visa de manière systématique les cadres, les fonctionnaires, les étudiants, les prêtres ou les ouvriers qualifiés d’origine hutu : « La répression prit ainsi l’allure de génocide sélectif

destiné à supprimer toutes les couches instruites ou semi-instruites de l’ethnie hutu » 52.

49 ibid., p. 18. 50 ibid., p. 20.

51 René Lemarchand, 2002, « Le génocide de 1972 au Burundi. Les silences de l’Histoire », in Cahiers

d’études africaines, 167, XLII-3, p. 552.

Ce « génocide sélectif » aurait fait « au moins 100 000 » morts hutu, certaines estimations évoquant même le chiffre de 300 000 victimes53.

R. Lemarchand s’interroge sur les causes d’une violence aussi démesurée en réponse à la rébellion. Avant d’examiner les différentes hypothèses qui furent avancées par le pouvoir burundais et les observateurs de la crise, il souligne que si l’immense majorité des victimes de la répression étaient hutu, des Tutsi furent également massacrés à cette occasion. Une centaine de Tutsi furent ainsi exécutés par l’armée à Gitega, dans la nuit du 6 mai. Ce constat, basé sur un témoignage relevé par Jeremy Greenland, semble attester que des règlements de comptes au sein du pouvoir, entre Tutsi-Hima et Tutsi-Banyaruguru notamment, ont pu se dérouler à la faveur de la répression de la rébellion.

Quant à la version officielle des événements livrée par les autorités du Burundi, elle incrimina dans un premier temps l’ex roi Ntare. Celui-ci, arrivé en Ouganda le 21 mars 1972, devait rentrer au Burundi quelques jours plus tard suite à l’engagement pris par le Président Micombero de ne pas attenter à sa sécurité. En fait, Ntare fut arrêté dès son arrivée à Bujumbura le 30 mars et exécuté un mois plus tard, le premier jour de la rébellion, sous l’accusation de complot en vue d’envahir le pays à l’aide de mercenaires étrangers. Cette version des origines de la rébellion fut toutefois rapidement abandonnée, et les autorités se mirent à dénoncer un « complot hutu » instigué par des personnalités de l’armée et du gouvernement. La rébellion fut dès lors « présentée

comme une gigantesque conspiration hutu visant à « liquider » l’ethnie tutsi » 54.

Pour R. Lemarchand, aucune de ces deux versions ne paraît vraiment convaincante. D’abord, il semble invraisemblable que Ntare ait eu les moyens d’organiser seul l’invasion du pays, d’autant qu’il ne pouvait compter sur l’autorité d’une monarchie défunte ou de son seul nom pour rallier à lui les masses hutu. Quant à la seconde version, R. Lemarchand admet qu’elle soit plausible. Mais s’il n’est pas improbable que certains officiers Hutu aient comploté contre le gouvernement, il paraît impossible que la conspiration ait impliqué de manière aussi systématique l’ensemble